
Blog Michel Deleuil
VALEURS PERSONNELLES
NOS TITRES :
L’Annonciation faite à Joseph » a été plusieurs fois proposé, mais toujours supplanté par le titre coutumier du « Buisson Ardent ». L’auteur y voit le testament artistique et humain du roi René, et avance une réinterprétation complète, exprimée aussi bien par le tableau que par les actions de René vers la fin de sa vie : Que les gouvernants travaillent au bien commun, selon la pacifique conduite des bergers.Janvier 2015 ← René d’Anjou, médaille par Pietro da Milano.1460. Je suis René d’Anjou, roi de Naples, duc d’Anjou et de Bar, comte de Provence, beau-frère du roi de France Charles VII, père de la reine Marguerite d’Angleterre, l’un des plus grands princes d’Europe, et je tiens ma vie publique pour un échec. J’ai été battu par Philippe de Bourgogne, par Alfonso d’Aragon, Juan d’Aragon, Venise. J’ai perdu l’héritage de Naples, j’ai cédé mes duchés bien aimés d’Anjou et de Bar, j’ai annexé à la France le comté de Provence alors qu’il était indépendant. J’ai toujours manqué cruellement de finances, et n’ai pu exercer un aussi grand mécénat que les princes italiens ou bourguignons. J’ai usé mon temps dans les affrontements guerriers et les ambassades politiques. J’y ai négligé mon épouse et la Lorraine, perdu famille, amis, revenus, fougue et optimisme. Ma vocation était celle d’un artiste, tout à la fois organisateur des fêtes, peintre, poète, architecte, musicien, botaniste, car l’Art, mon frère, est partout, à table, au lit, au jardin, au gouvernement, dans l’amitié, à la prière, avec des lois, du fil, du marbre ou des fleurs. Je sais de Gerson et de ma mère que la beauté sauvera le monde ! Beauté, éducation, perfectionnement des sens, apprivoisement au bien. La beauté n’est pas un décor ni un loisir, mais le seul bonheur qui vaille : La conscience du bonheur. Et le plus grand des Arts est celui de vivre. Estime la haute vision, accède à celle de la foi, médite le long du beau tapis de l'Apocalypse de mon grand-père, et devant mon triptyque du gouvernement. René, 1409-1480. L’Annonce aux gouvernants Dite triptyque du buisson ardent Introduction L’une des analyses les plus accomplies du triptyque dit « Le Buisson ardent de la cathédrale Saint-Sauveur d’Aix » est certainement celle qui figure dans le livre du Musée Granet (1). L’approche théologique de Denis Coutagne est des plus étoffées.Nous en retenons quatre points :Le livre d’Heures de Jeanne est ouvert sur l’Annonciation, première lettre du psaume.L’ange préviendra Joseph de la Conception virginale de Jésus en lui présentant la Vierge et l’Enfant à naître (livre d’Heures de la mère de René, Annonce aux bergers).Le miroir fait référence à la distance qui sépare Dieu de l’homme.René est un admirateur du principe du bon gouvernement et de la paix. Auparavant, Charles Minott avait proposé Joseph, et non pas Moïse, dans le personnage du berger, un titre ancien étant L’Annonciation faite à Joseph (2). Minott n’a pas été suivi, la tradition étant si solidement ancrée sur Le Buisson ardent qu’il est difficile de la contester. On a longtemps vu dans ce retable de simples prières adressées à la Vierge et à l’Enfant par deux dévots, sous la bienveillance de l’Eglise et des saints : Un acte personnel, convenu, une affiche de la prééminence de Marie, du catholicisme, du civisme pastoral, du goût pour les Vierges à l’Enfant, tous lieux communs d’une noblesse dont la vie quotidienne est loin de ces bonnes intentions. Facteur aggravant, le peintre était inconnu, ou supposé être René. Les temps présents ont établi le nom du peintre et replacé le triptyque à sa juste valeur artistique, celle d’un chef d’œuvre du XVe siècle (3 ; 4 ; 5).Malgré l’avancée réalisée par le livre cité (1), une partie du message de René d’Anjou n’est pas explicitée. Doit-on voir Moïse, Joseph, ou un tiers ? A qui s’adresse le contenu, à la Vierge, aux Rois, à la Noblesse, au Clergé ? L’iconographie dégagée par les études précédentes fait autorité, mais notre fréquentation de René, lors de l’étude Histoire passionnée de René d’Anjou (6), nous amène à proposer une interprétation supplémentaire, plutôt que différente. En 1475, René commande le triptyque à Nicolas Froment, et impose au peintre de venir le réaliser à Aix, afin d’en être le metteur en scène. Ce sera son testament philosophique et artistique, puisqu’il a déposé, en 1474, chez un notaire, son testament patrimonial.Le bilan de ses fonctions de duc, de roi et de comte, est catastrophique. Il cède à Louis XI, après avoir échoué à Naples, sur le Po, et en Catalogne. Il a toujours été brouillé avec les papes. Sa vie privée (famille, aventures amoureuses, finances, etc.) est tout aussi calamiteuse, à l’exception de son goût artistique et de sa philosophie du savoir. Pour ces raisons, on peut imaginer René mobilisant ses dernières forces physiques et mentales, afin de sauver son bilan et de proposer une ligne de conduite aux grands de ce monde, conduite qu’il n’a pas suivie, mais qu’il comprend maintenant, sur le tard. Le titre L’Annonce aux gouvernants nous semble mieux refléter le véritable sujet de l’œuvre. Le pacifique berger garde le troupeau, et représente ce vers quoi doivent tendre les gens de pouvoir, au lieu de dépouiller et d’endeuiller le bon peuple.L’annonce aux gouvernants Dite triptyque du Buisson ardentCathédrale Saint-Sauveur. Retable ouvert. Tempera sur bois, 410 × 305 cm. Cette œuvre est aussi une œuvre d’art.Elle est d’abord un testament philosophique, dont les données sont bien établies.Le commanditaire est René d’Anjou, 66 ans en 1475, comte de Provence. Il habite le palais comtal d’Aix. Veuf en 1452, il s’est remarié en 1454 à Jeanne de Laval, une bretonne.Le peintre est Nicolas Froment, probablement picard, âgé d’environ 42 ans. Il a été formé à l’école flamande de Campin, par Bouts et van der Weyden. Il a travaillé pour René dans sa livrée d’Avignon. Il est devenu son peintre officiel. Il vient d’achever le Diptyque Matheron, par lequel René veut laisser à la postérité son portrait réaliste, sans ornement.Au XVème siècle, on dédie les triptyques à la Vierge. René a une prédilection pour les Annonciations. Il a admiré celle de l’Angelico, au couvent San Marco (Florence), il a commandité celle d’Aix à son valet, Barthélemy d’Eyck. Le retable est destiné à l’autel de la chapelle de René, dans l’église des Grands Carmes d’Aix, où iront aussi ses entrailles.Les volets fermés représentent l’Ange Gabriel et la Vierge de l'Annonciation, peints en grisailles, cheval de bataille fréquent chez les peintres flamands de l’époque. Volets ouverts, les donateurs sont placés de part et d’autre du panneau central, accompagnés de leurs saints protecteurs. Tous les personnages sont facilement identifiables. René est à la place d’honneur, à gauche pour nous, à droite pour le tableau. Jeanne est à notre droite. Ils sont en grandeur nature, sous leurs traits précis, accompagnés d’objets usuels très parlants. Froment serre leur personnalité. D’habitude, les donateurs sont campés de façon plus symbolique (van der Goes pour les Portinari).Le tableau central s’oppose aux panneaux. Il évoque, vu à vol d’oiseau, un monde rêvé. Le ciel d’azur et l’immensité de la scène contrastent avec les tentures rouges et l’intimité des chambres. Un large cadre en grisaille dorée, marqué de messages, isole cette vision centrale spirituelle des panneaux réalistes, vus da sotto in sù, de bas en haut.. Première interprétation : : Selon le Livre de l’Exode 3, qui daterait de la fin du VIIe siècle avant JC, le berger Moïse garde ses moutons dans le massif du Sinaï, quand il est intrigué par un buisson qui brûle sans se consumer. Il s’approche et entend, venant du buisson, une Voix s’adresser à lui. Dieu s’identifie par JE SUIS CELUI QUI EST. Il n’est pas un nouveau Dieu, mais le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, de l’Alliance passée entre Lui et le peuple hébreu. Il dicte à Moïse, et à travers lui, à tout Son peuple : Sortez d’Egypte, allez vers Canaan. Il transmet Ses instructions morales sous forme de tables gravées. Aucun ange ne participe à la scène (7).Dans la Torah, l’Ancien Testament reprend cet épisode. Les instructions y sont appelées PAROLES. Elles se simplifieront avec la tradition et deviendront LES DIX COMMANDEMENTS. La scène du tableau d’Aix marque des différences décisives, volontairement accumulées, par rapport à l’épisode de l’Exode, que l’on ne retrouve plus du tout :Le Buisson n’est pas l’émanation de La Voix, mais le trône visible de la Vierge à l’Enfant. Ce trône a quelques flammèches symboliques. Il n’éblouit pas, il éclaire.Un ange est présent. L’Eglise l’a introduit depuis longtemps, afin de créer le lien entre la Torah et l’Annonce de l’ange Gabriel. Ici l’ange est carrément habillé en haut prélat.L’homme-berger est un vieillard. Il porte l’habit d’un haut fonctionnaire.Le paysage est une large plaine fertile, travaillée, peuplée. Ce n’est plus du tout le Sinaï. Dans l’Exode 3, le Buisson est la première et fulgurante manifestation directe de Dieu, Dieu unique, universel, intemporel, absolu, qui donne des Ordres. L’homme doit aimer Dieu, ne pas pécher, suivre les Commandements. C’est une Révélation.L’apparition dans le Buisson de la Vierge à l’Enfant n’est pas une première. Quelques cas ont précédé le triptyque aixois. La montée de la dévotion à la Vierge date du XIIIe siècle. Les Bénédictins de Saint-Victor, où René est chanoine, et les Frères Carmes, destinataires du triptyque, ont adopté au XIVe siècle le culte marial. En cette année 1475, René offre à Saint-Maximin un clocher pour une horloge. La cloche est dédiée à la Vierge, et il fait graver dessus : Je sonne les guerres, mais vous supplie d’épargner les femmes et les enfants (6).Jeanne de Laval, fort pratiquante, et fort dévote de la Vierge, le pousse dans ce sens.L’ange porte à main droite la baguette avec laquelle il a chassé Adam et Eve du Paradis, mais elle est tournée vers l’arrière, en signe d’apaisement. Son camée expose Adam, Eve, et le Serpent, mais il est vert et rouge, couleurs d’espoir. Sa main gauche est réceptive et son regard persuasif. Son vêtement de haut prélat l’identifie à l’Eglise. Il s’adresse à Joseph :- Je suis envoyé en ami. Après l’expulsion du Paradis, après la Révélation du Sinaï, après l’Annonciation à Marie, voici ton Annonciation, Joseph : Ton Epouse et ton Fils font partie de la Divinité. Par ton Fils, les temps seront révélés et les hommes auront une nouvelle destinée. On peut ne pas accorder beaucoup de sens à ce paysage du XVe siècle. A l’époque, les anachronismes ne sont pas ressentis. Le château présente-t-il une ressemblance avec celui de Saumur, cher à René, les remparts sont-ils une allusion à ceux d’Avignon ? La connotation provençale est mieux étayée. Les églantines du Buisson fleurissent au milieu des pyracanthes, les moutons sont de la race ‘Manosque’, celle-là même du troupeau de René. L’un d’eux est lou floqua, mouton reconnaissable de loin aux pompons laissés sur son dos au moment de la tonte. La verdure et l’eau sont à l’honneur, une source jaillissant du rocher. René appréciait l’irrigation dans ses domaines de Pertuis, Gardanne et Pérignane.Le sens du triptyque serait simple : L’ange prévient Joseph de la Conception virginale de Jésus par son épouse. Cela correspond à la dévotion de René et de Jeanne. Une variante peut aussi y voir l’Annonce faite aux bergers, qui est dans le livre d’Heures de la mère de René. Deuxième interprétation : : En Italie, en 1442, René rencontre et prend pour confesseur (saint) Bernardin de Sienne. Il adopte sa devise IHS dans les flammes. IHS = « Iesus hominum salvator », Jésus Sauveur des Hommes. Bernardin lui conseille d’aimer les animaux plus que les bijoux, les hommes plus que les animaux, Jésus plus que les hommes (6). Les flammes sont d’abord un soleil à 12 rayons, Jésus et le Nouveau Testament étant la lumière. Puis le soleil devient flammes, pour rappeler le martyre de Jésus et Sa Résurrection, comme le Buisson ardent qui ne se consume pas. De même, la Vierge enfante en restant vierge. Les temps révélés renvoient aux miracles attachés à la Vierge et au Fils. Parler ici de Buisson, de Moïse et des Commandements, est une erreur. C’est confondre Ancien et Nouveau Testament, c’est négliger les temps révélés. Dès son enfance, René a compris le sens de son prénom : Renatus, celui qui renaît. On l’amenait devant la fresque de saint Maurille, à Angers, voir l’histoire de l’enfant mort qui renaît (chœur de la cathédrale Saint-Maurice, fresque aujourd’hui cachée par des boiseries).Sainte Anne est à Apt, Marie-Madeleine à Saint-Maximin. En 1448, Robert Damiani, archevêque d’Aix, découvre à Notre-Dame de la Mer un autel antique, et deux corps. Ce sont Marie-Jacobé et Marie-Salomé, demi-sœurs de la Vierge, l’une étant la mère de Jacques le mineur, de Jude et de Joseph, l’autre de Jean l’Evangéliste et de Jacques le majeur. Seul un hérétique pourrait en douter. Toutes ces femmes ont aimé Jésus plus que les hommes. Le comté de Provence est sous le signe de la Vierge. A Aix, on dit : Qu honorara la Maïre, recompensa sara dou Fiou (celui qui honorera la Mère sera récompensé par le Fils).Ce siècle adore Marie, pleure devant une Annonciation ou une Pietà, se confie aux saints locaux et protecteurs. La piété évolue vers la sensibilité, la fascination, la donation.Marie est la Divinité la plus aimée. Elle est le contact des hommes avec l’Absolu, cet Absolu des temps romans et des moines, aujourd’hui à bout de souffle. Marie est l’Eglise séculière. Pour Sixte IV, nier Sa divinité serait nier l’authenticité de Rome. Pour Louis XI, manquer à Sa dévotion serait mettre en péril la couronne. Pour René, La vénérer, c’est solliciter Son intercession pour éviter le purgatoire ou pire.Car risque il y a ! René est persuadé que la longue liste de ses échecs et de ses deuils est liée à ses péchés. Il s’inquiète en particulier de sa relation avec dame Capelet, dont il a eu 3 enfants. Il a fait ouvrir son caveau, et a vu son état de décomposition : Nul doute, elle est destinée à l’enfer. Cela rajoute à son angoisse. La dévotion à Marie est une pressante prière pour son sort personnel.Il fait écrire trois phrases sur le cadre doré du tableau :Nous savons que toi, admirable Mère de Dieu, tu as été conservée comme le buisson que Moïse a vu brûler sans se consumer (livre de la Sagesse).Celui qui t’aura trouvée trouvera la vie et obtiendra du Seigneur la sagesse (Proverbes).Dans le buisson non consumé que Moïse avait vu, nous avons reconnu ton admirable virginité conservée, sainte mère de Dieu (Laudes).A cette époque, on interprète l’Ancien Testament comme la préfiguration du Nouveau. L’ancien Buisson annonçait les temps révélés. Avec le Nouveau Testament, Marie reste vierge, Jésus reste vivant, l’Eglise romaine reste éternelle (elle n’a pas été touchée par les Turcs, alors que les Orthodoxes ont plié). Marie et Jésus interviennent dans l’histoire des hommes, non plus par Commandements, mais par propositions, conseils, encouragements. Les échanges sont descendants, montants, latéraux, ce que le tableau restitue sous la forme de 3 Annonciations, traduites par la composition en triangle Divinité/Eglise/Chrétien.Chaque sommet dépend des deux autres, étant à la fois récepteur et émetteur.Chaque sommet est pour cela occupé par un miroir : Le miroir tenu par Jésus, le camée sur la poitrine de l’ange, les grands yeux écarquillés de Joseph le chrétien. Première Annonciation : Du miroir vers le camée : Le fondement catholique.-Tu seras Mon Eglise, basée sur Rome (René reconnaît l’importance du pape).L’ange est par son vêtement un haut prélat romain. L’Eglise baptise et donne l’Extrême Onction, elle éduque selon le Nouveau Testament, avec infaillibilité. Elle aide l’homme à aménager la terre (hommage aux moines de Saint-Victor). Deuxième Annonciation : De l’ange vers le chrétien : Le fondement terrestre.- Homme, ton destin est de naître ici, d’y vivre et d’y mourir, que tu le veuilles ou non (il pointe la terre du doigt). Je suis envoyé en ami. Je te l’annonce, tu vas voir la Divinité.Le camée et la baguette rappellent l’expulsion du Paradis. Mais Marie a levé cette punition (la baguette penche en arrière). Il parle.Sa bouche est ouverte, ce qui nous choque, car la vérité, au Moyen Age, se dit bouche fermée. On voit même ses dents. Chante-t-il ? Que René signifie-t-il par là ? Nous n’avons pas d’explication.L’homme retire ses chausses, lève les yeux, et aperçoit un miroir. Troisième Annonciation : Du miroir vers le chrétien :Le chrétien entend : Je suis Celui qui est avec vous ! Jésus répand l’amour et l’espoir. Il est venu sur la terre des hommes pour les aider. Du chrétien vers le miroir :En bas, dans la prairie, l’homme a ajouté l’art et la science à l’acte de vie, il est devenu le créateur de son monde, il a pris en main son destin. Il s’intéresse aux choses. Il lui arrive d’imaginer l’Eternité ! Sa quête spirituelle va-t-elle le sauver, le faire accéder à Dieu ?- Homme, renvoie le miroir, contrairement à la bête, tu veux dépasser ton destin, tu veux voir au-delà du miroir, saisir l’Essence derrière l’apparence. Non ! Contente-toi de l’image : Tu ne peux pas devenir Dieu. Mais tu peux devenir ange !René l’a toujours cru, et aujourd’hui, au bilan de sa vie, il le sait : La beauté sauve le monde, elle ne sauve pas du monde. Elle transforme le fourré en jardin, non pas le jardin en Eden. Le destin de l’art est aussi ambitieux, aussi tragique que celui de l’homme. Il veut dépasser le spectacle du monde pour en deviner le sens. Platon et Jésus lui répondent : Du miroir vers le chrétien :- Contente-toi de l’image ! Tu es sorti d’Egypte et de l’idolâtrie. Tu peux maintenant conjuguer l’action à la contemplation, car tu es chez toi, muni du Nouveau Testament.Dans l’écoinçon d’honneur, Dieu bénit de La droite et tient la boule du monde de La gauche. Il accrédite le pouvoir de la Vierge et du Fils. Dans l’écoinçon de droite, la licorne renforce l’idée de pureté. Sur le cadre doré, se succèdent les douze rois d'Israël, ancêtres de la Vierge (l'arbre de Jesse) : Le catholicisme admet l’Ancien Testament comme signe avant coureur, mais il se place résolument dans les temps modernes, avec la Vierge et l’Enfant. L'œuvre au noir précède Moïse. Le monde est sauvage, Saturne et les dieux païens précipitent la vie vers le vieillissement et la mort. La Révélation du Sinaï préfigure l’arrivée de Jésus, les Evangiles, l'œuvre au blanc, Marthe, Marie-Madeleine, Lazare, l’Apocalypse (René a amené à Tarascon son immense tapis). L’esprit se développe, la terre s’apprivoise, les hommes se policent dans l’hommage à la Vierge. Mais les Fidèles ne deviendront jamais Marie, l’unique humain à être devenu Divinité. Ils resteront des humains, avec l’espoir d’une vie meilleure dans l’Au-delà. troisième interprétation : L’annonce aux Gouvernants : Cette analyse personnelle est tirée de ce que nous savons de René (6).Ce prince a reçu la meilleure des éducations. Il a bénéficié d’une parfaite santé, physique et morale. Il a fréquenté de grands dirigeants (sa mère, Agnès Sorel, Jacques Cœur, Come de Medici), de grands capitaines (Richemont, Dunois, Cossa), des savants (Lorenzo Valla, Antoine de la Sale, Marcile Ficin), des juristes (Charles de Bourbon, Palamède Forbin), de grands religieux (Gerson, Parentucelli, Bernardin), des artistes (Villon, Charles d’Orléans, Antoine de Bueil, les frères van Eyck, Fouquet, l’Angelico, Barthélemy d’Eyck, Collantonio, Luca della Robbia, Pietro da Milano, les Laurana, les musiciens de Naples).Sa mère et Gerson lui ont inculqué un grand message -la beauté sauvera le monde-, qu’il a retrouvé tout au long de sa vie : Son saint local angevin Maurille (Tu te sauveras d’Adam et Eve), Francis Bacon (l’esprit humain peut tout), Valla (Scola è scala, l’éducation est une échelle), Bernardin (Elle existe parce qu’elle est belle). Auprès des artistes et par la lecture de Platon, il a senti que l’homme pouvait dépasser l’homme. -Je ne fais pas les ailes aux anges, dit Piero della Francesca, qui pense que les anges sont des hommes, je les fais plus beaux.En cette année 1476, René crée l’école théologique et philosophique de Saint-Maximin, l’œuvre de sa vie dont il est le plus fier. L’homme peut découvrir, se découvrir, apprendre, comprendre, gouverner, avancer en bonheur et reculer en mal. Savoir est saveur.La magnificence l’émerveille : Entrées, tournois, messes, cérémonies, fêtes. Son goût artistique n’a rien de superficiel : Architecture, sculpture, poésie, musique (son musicien est Josquin des Prés), peinture (fresques ou tableaux), horticulture. Il possède Les très riches Heures du duc de Berry, qu’il fait compléter. Il se passionne pour les armoiries, les symboles.Ne cherchons pas à nous sauver du monde, sauvons le monde ! Le monde ? C’est laideur, guerres, épidémies, famines, et pour René la défaite, la prison, le deuil, les remords, les menaces. Il a connu Isabeau, Gilles de Rais, Guillaume Gouffier, Georges de la Trémoille, Sforza, toutes gens perverties. Il a vécu la guerre contre les Anglais, les Bourguignons, les Italiens, les Aragonais, il a souffert des papes, de Charles VII, de Philippe le Bon, de Vaudemont, de Louis XI. Il a souvent été trahi. Il a vu la guerre catalane et y a perdu son fils, la guerre des Deux roses, et y a appris le sort atroce subi par sa fille. Le Téméraire, l’homme le plus riche du monde, qui possède les plus belles villes (Bruges, Gand, Reims, Dijon), les ports, les plaines, les coteaux, ne pense qu’à égaler Hannibal, avec un total mépris pour son peuple. René a connu d’autres fous de pouvoir, comme Sforza à Milan et Sixte IV au Vatican.Si son neveu Louis XI n’est pas un va-t-en guerre, c’est uniquement parce qu’il a peur de perdre. Louis improvise, suit son caprice, use du verbe comme d’une arme, de la vénalité comme d’un art. L’image qu’il a des paysans se résume à l’impôt. Lorenzo Medici (Laurent le magnifique) est sans goût pour l’action. Il préfère le far niente, la soumission à Vénus. Ce prince, qui possède tout, voudrait l’inutile. Pourquoi penser aux paysans, ils sont sans art. Au bilan de sa vie, René constate que ses valeurs chevaleresques l’ont desservi, que sa gestion économique est un fiasco, qu’un mécène désargenté est un piètre mécène.Il a échoué. Son seul avantage est de savoir pourquoi : Il s’est trompé de valeurs.L’aménagement de la terre est le grand ouvrage de l’humanité… Semer, construire, composer, et, par-dessus tout, conduire le troupeau ! Gouverner est la fonction d’excellence.Il comprend mieux la sagesse mariale de sa mère (Yolande d’Aragon) et de ses épouses (Isabelle et Jeanne). La vie campagnarde est la meilleure de toutes, proclame-t-il. Un chroniqueur écrit : J’ai un roi de Sicile veut devenir berger (8).En premier lieu, plus de routiers. Il les a faits disparaître en 1440, lorsqu’il était au pouvoir, en créant la solde, et donc les soldats, pour éviter les pillages. Plus de violences.Se consacrer à la douceur des choses… L’humain est ton devoir, l’humain est ton droit.C’est l’éveil de l’humanité, renovatio. Il en sortira le mot renaissance et l’humanisme. Ces pensées sont traduites dans le triptyque.Volet de gauche, sur le prie-Dieu, René a posé la couronne, en signe de rupture avec les gouvernants actuels (Louis XI, Charles le Téméraire, Richard III, Jean II d’Aragon, Sixte IV). A Angers, sur la gravure pour son tombeau, faite de sa main, la couronne est tombée à terre.Il a fermé son livre d’Heures. Il prie selon ses pensées. Son bonnet est celui avec lequel il jardine (9). Cette activité est depuis toujours vitale pour lui. Elle le met en contact avec le rythme lent de la nature, avec l’harmonie des formes et des couleurs.Volet de droite, saint Jean n’a pas son Livre ni son aigle, mais une coupe, épisode rapporté par la Légende dorée. Les mauvais gouvernants (Aristodème dans le cas présent) font boire du poison au peuple. Saint Jean, la foi et la pensée, en triomphent. Tableau central, un jour nouveau se lève (soleil sur la ville à gauche). Tous les signes militaires sont discrets et défensifs. Aucune trace chevaleresque. Le berger est vêtu comme un haut fonctionnaire. Il n’a pas de bâton. Il exerce par la connaissance des bêtes. Elles, confiantes, viennent le côtoyer. Le message est laïque, adressé aux gouverneurs religieux et laïques : Aimez et respectez vos administrés comme le berger garde ses moutons.On mesure au collier clouté du chien que le loup n’est pas loin, car le mal est plus facile à faire que le bien. La surveillance, la prévention, sont une lutte constante.Deux moutons noirs témoignent des tolérances religieuse, culturelle, raciale. Aix accueille de nombreux Juifs, alors qu’ailleurs l’Inquisition sévit. Les moutons paissent ensembles. Pas de brebis galeuse isolée. Sous le miroir du Bon Pasteur, le berger aide les plus faibles (René ne collectait pas les impôts les mauvaises années).Les chemins sont clairs et les villes sereines. Il fait beau. La source est en position centrale. L’optimisme inonde la scène : Tendresse de Marie, Innocence de l’Enfant, attentions de l’ange, lumière du paysage. Une exception, et de taille : Le visage ridé, crispé, du vieillard.Ses chausses et son vêtement ne sont pas ceux d’un berger. Il se protège du bras parce qu’il a peur. S’il craignait l’éblouissement, il fermerait les yeux. Il comprend qu’il va mourir et passer devant le Tribunal céleste. Il s’effraie en pensant au diable. L’ange veut le tranquilliser : Il est un bon berger. Mais René sait que ce n’est pas à la veille de la mort qu’il faut y songer. Les trois Annonciations proposent un art de vivre tout au long de la vie, dans la simplicité, la sérénité, l’altruisme, l’embellissement du monde.René n’apprécie pas les contritions des moines. Il a été en conflit avec les papes, mais en bons termes avec les archevêques d’Aix (Nicolaï, Robert Roger, Damiani, Olivier de Pennart). Adepte de Platon, il envisage une sorte de religion naturelle qui ignore l'inquiétude du péché, qui tend vers la recherche d'un salut qui a pour nom sérénité. Mais dans les circonstances présentes, pour son testament, il fait allégeance à Rome. Placé plus haut que le berger, l’ange écoute, rassure. L’Eglise, plutôt que de vouloir être une puissance temporelle (baguette), devrait être le support spirituel des humains, sous la lumière du miroir de Jésus (influence de Bernardin). Le camée du péché originel est dépassé par une humanité vertueuse.Le triptyque salut l’œuvre au blanc, et l’espoir de l’œuvre au rouge, la transformation de la matière en esprit, le passage à l’ange, penché sur le Miroir de la Terre pour y découvrir les traits de sa beauté (Teilhard de Chardin, 10). La génération suivante verra quelques grands hommes approfondir les valeurs de la renovatio (Nicolas de Cues, Machiavel, Pic de La Mirandole, Léonard de Vinci). Les princes et les papes se pareront de cette pensée nouvelle, mais pratiqueront une gouvernance à l’opposé. Le temporel, dans sa version la plus avide, le court terme, balayera tout.La nature sera investie, mais comme un champ d’aventures, de conquêtes, non comme le théâtre de l’abondance et de l’amitié (découverte de l’Amérique). L’engouement pour la connaissance, la théologie et l’astronomie en particulier, apportera la science aux hommes, mais pas la paix. L’Eglise/Ange et le Monarque/Joseph conduiront le troupeau dans le génocide mexicain, les friches de l’Inquisition, les souffrances des guerres de religions et le pillage d’Etat. Le catholicisme s’écorchera en Savonarole, en Torquemada et en Alexandre Borgia, puis manquera de défaillir devant Luther. Finalement, l’Eglise de la Réforme traversera ce feu, dans lequel les sorcières, les hérétiques et les savants partiront en fumée.François 1er et Charles Quint affirmeront la prééminence de l’esprit, mais leurs dragons saccageront Trets (1536), raseront Lourmarin, le Lubéron, les terres et les villages que les émigrants de René avaient aménagés selon les valeurs de la renovatio (1545).Faut-il que le plaisir soit grand et la beauté sublime pour compenser tant de douleur ! Cette Annonciation traduit mieux la pensée de René que sa pastorale, Regnault et Jehanneton (1458). Certes, celle-ci est un éloge de la vie campagnarde. Elle s’intéresse aux oiseaux, aux labours, près d’une ruine qui fut causée par Raymond de Turenne (le mauvais gouvernement). Mais elle est intimiste, limitée à l’amour du couple, alors que l’Annonciation tend à l’universel. L’art du triptyque : Volets, cadre et tableau, sont de facture flamande. René a été formé en peinture par les frères van Eyck, à Bar. Il a fait connaître les Flamands à Naples, les Italiens à Aix.Froment est tout désigné. Il réalise ici son chef d’œuvre, supérieur à sa Résurrection de Lazare pour le sieur Coppini, très supérieur à sa Légende de saint Mitre pour Mitre de la Roque, et à son Diptyque, que René place chez Michel Matheron. La grisaille des volets fermés est toute de délicatesse. Les baldaquins en dentelles de pierre qui abritent Gabriel et la Vierge revendiquent le style gothique flamboyant de France, celui-là même que Pierre Souquet installe au même moment sur la façade de Saint-Sauveur d’Aix. Une fois de plus, René est angevin, barrois, et non provençal. 4.1 Le volet de rené d’anjou : René est dans sa chambre, en tenue de chanoine de Saint-Victor. Il a renoncé aux vaines prétentions terrestres. Les étoffes sont blasonnées à son dernier écu. Elles marquent l’appartenance à la maison royale, rappellent son testament patrimonial. Mais elles tombent du prie-Dieu (on n’emporte rien). La fidélité des chiens est supérieure à celle des rois (Début 1476, Louis XI condamne René pour crime de lèse-majesté). Ce chien couché sur les lys est le rustique Briquet, le compagnon du renoncement, des promenades et de l’oubli.Derrière, Marie-Madeleine est en robe rouge, Antoine en haire, appuyé sur son bâton d’ermite, Maurice en tenue militaire. Ils représentent la Provence, Bar et l’Anjou.Le comte lève les yeux et offre à la Vierge son vieux visage désabusé. Froment entendait René affirmer que l’âme avait deux yeux, l’un fixant les horreurs de l’enfer, l’autre contemplant la beauté du paradis. Il profite de la dissymétrie du regard et de la bouche pour évoquer les deux tendances de René : Le côté gauche du visage est celui d’un homme diminué, sceptique, vaincu. Le côté droit est celui du chrétien confiant, de l’artiste inventif, humaniste, qui propose un bilan positif à Jésus et à la Vierge.La virtuosité de Froment fait merveille. Le flacon de Madeleine est identique à celui que fit van der Weyden pour la même sainte. L’armure de Maurice reflète le visage barbu d’Antoine et fait écho au saint Georges de Jan van Eyck. La main gantée de Maurice est un morceau de bravoure, de même que la barbe de 3 jours de René. On remarque l’utilisation de la perspective. La projection de la lumière évite tout contre jour. 4.2 Le volet de Jeanne de Laval : Jeanne est à son livre d’Heures, en chemise, teint pâle et traits anguleux. Ses manques de santé et de beauté lui font éviter les cours brillantes. Dame de grande famille, mais habillée avec sobriété, elle refuse le monde factice et dépravé des chevaliers.Les pommettes et le regard lointain de saint Jean l’évangéliste font référence au style de Barthélemy d’Eyck. Patron de Jeanne, Jean est la Bretagne. Catherine d’Alexandrie rappelle les muettes douleurs de Jeanne, à cause de sa maladie osseuse. Elle est le pénible souvenir italien de René (Naples, Florence, le Nord). Nicolas de Bari, sauveur d’enfants, est le patron de la Lorraine, fief de la première épouse de René, et aujourd’hui de son petit-fils.Froment est tout aussi virtuose. On peut lire le Livre d’Heures. La couronne rappelle celle de la Vierge au chancelier Rolin, de Jan van Eyck. Les enfants sauvés du saloir sont blafards.La profusion de bijoux va à l’encontre de Bernardin (Tu aimeras les animaux plus que les bijoux). Comme chez van Eyck, ce sont des joyaux, que le peintre offre à Marie. Leur seule valeur terrestre est d’exprimer toute son habileté. René a accordé cette liberté à Froment.En observant les deux volets à la fois, on admire la superbe mise en scène : Les perspectives et les têtes des saints mènent à la Vierge, ainsi que les mains en prière. 4.3 Le tableau central : La lumière inonde la scène. Son rendu dans le ciel et dans le paysage est d’une qualité inégalée en 1476, la peinture de paysages étant alors débutante. Les bleutés des lointains sont particulièrement innovants. La clarté provençale rappelle celle de Barthélemy d’Eyck.Froment est maître dans les plis des vêtements (robe de la Vierge, manches de l’ange, toge de Joseph) et dans la confection des détails, qu’il tient du grand van der Weyden. L’escargot au premier plan rend hommage au Barthélemy d’Eyck du Cœur d’amour épris.On peut rapprocher les 12 troncs des 12 Apôtres : Le 12 est universalité. Hormis ceux du rocher sauvage, tous les arbres sont plantés : Grandeur de l’œuvre humaine. Mais ce rocher, tel la Sainte-Baume, est particulier : il donne à ses pieds la source et à son front la Foi !Froment se contente d’être guidé, de servir le contenu, mais avec un savoir faire que l’on ne lui connaît pas par ailleurs.Au soir de sa vie, le Gouvernant rentre à la bergerie, quand, au bord du pâturage, il s’effraye : Ne vais-je pas vers la douleur, la mort, le purgatoire, l’enfer ?- C’est le destin, croyant ! Travaille à la prospérité commune, tu n’emporteras rien. Sur son tombeau d’Angers, René a fait graver : Rois et pasteurs deviennent égaux en mourant (6). Avec la Piéta d’Enguerrand Quarton, l’Annonciation d’Aix et l’illustration du Cœur d’Amour Epris de Barthélemy d’Eyck, la présente Annonciation est un sommet de l’art provençal, bien que de facture flamande. René disparu, la vitalité des peintres d’Avignon et d’Aix cèdera la primauté à l’école de Lyon, conduite par Jean Perréal.Les générations à venir prendront le triptyque pour une forêt de vieux symboles, pour l’utopie d’un prince attardé qui confie banalement ses terres au roi et son âme à la Vierge. Son sens profond, annonciateur de l’humanisme, sera brouillé par les furies de la Renaissance. Il deviendra incompréhensible et n’intéressera plus personne. Il sera Le Buisson ardent (11).Seule l’habileté de Froment surnagera … Alors que le message est toujours d’actualité ! Illustrations : L’Annonciation faite aux gouvernants, volets fermés. Peinture à l’huile, sur bois. Grisaille.L’ange Gabriel, muni du rameau d’olivier, signe de paix, fait son annonce à Marie. Celle-ci a refermé l’Ancien Testament, et se soumet à la Volonté de Dieu, pour le Nouveau.Les niches, les baldaquins, parfaitement rendues, se réclament du style français.Le visage de l’ange, en pleine lumière, est tout en finesse. Celui de Marie est encore quelconque, car elle n’est pas la Vierge. L’Annonciation faite aux gouvernants, détail du volet gauche. Le regard des saints est lointain, afin d’être non immédiat, surnaturel. Chacun avance une main protectrice vers René. Lui est empâté, regard peu convaincu (tout cela suffira-t-il ?). Près de la bouche, la cicatrice de la blessure reçue à Bulgnéville, le dimanche 2 juillet 1431.Saint Maurice, placé au plus haut, a une importance particulière. Son équivalent Saint Georges a par deux fois fait souffrir René : Georges est le saint d’Alfonso, et celui-ci lui a pris Naples. Il est le saint de l’Angleterre, qui a martyrisé sa fille.Saint Antoine a été adopté par René dès sa jeunesse. En 1435, prisonnier à Dijon, René a peint un vitrail pour la Chapelle du palais, avec saint Antoine, pour revendiquer Bar (6).La dévotion à Marie-Madeleine, qui remonte à Charles d’Anjou, frère de saint Louis, est tout aussi marquée : René a fait 4 fois le pèlerinage à la grotte de la Sainte-Baume.Froment excelle avec les visages, les tissus, et plus encore avec les jeux de lumière. L’armure et le flacon sont une prouesse. On peut y ajouter le livre d’Heures et la couronne. Le livre de René est fermé, alors que celui de Jeanne est ouvert : Pour lui, la page est tournée, il n’attend plus que la mort. Pour Jeanne, à 42 ans, la vie a encore à instruire.Les bandes rouges et noires mettent en valeur les visages. L’hermine blanche éclaire celui de René. La netteté de la lumière rappelle le grand Barthélemy d’Eyck. L’Annonciation faite aux gouvernants, détail du volet droit. Jean bénit la coupe empoisonnée de venin et va la boire sans dommage. Catherine tient la palme des martyres et l’épée avec lequel elle a été décapitée. Elle est vêtue du vert de la connaissance. Nicolas porte son attention sur les enfants. Il est la Lorraine (Saint-Nicolas du Port), mais aussi l’amour de Jeanne pour les enfants. Sa cape est admirablement décorée, y compris dans sa partie jaune.A la mort de René (1480), Jeanne se retirera à Beaufort en Vallée, où elle élèvera des chevaux et aidera les paysans. Références : 1 Musée Granet, Le Roi René en son Temps, Aix-en-Provence, 19812 Charles Minott : A note on Nicolas Froment’ Burning buch triptych, Journ Warb 25, 19623 Michel Laclotte, L’école d’Avignon, Gonthier-Seghers, Paris, 19604 Charles Sterling, Nicolas Froment, dans Etudes d’art médiéval, Paris, 19815 Françoise Robin, La cour d’Anjou-Provence, Picard, 19856 Michel Deleuil, Histoire passionnée de René d’Anjou, Ed. Amalthée, 2008.7 Bob Deffinbaugh, Le Buisson ardent (Exode 3).8 Georges Chastelain, Chroniques, 14749 Maryvonne Micquel, Quand le bon roi René était en Provence, Marabout, 197910 Teilhard de Chardin, Œuvres, Seuil, VI, 57.11 Caterina Lumentani et Mari Pietrogiovanna, Retables, Citadelles & Mazenot, 2001.
La vie, ni plus ni moins
L’étoile émet. Elle dit en γ, en UV, IR, visible, magnétique. Elle parle à l’immensité indifférente, depuis des milliards d’années.
Dans ce gigantesque espace/temps, Soleil et Proxima sont tout proches, à 3 milliardièmes de la taille de l’Univers : Le message arrive en guère plus de 4 années, un direct, quoi.
Et voilà que Proxima pose une question à Soleil :
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Cher voisin, tu as une planète du même type que la mienne, comme il y en a des milliards dans notre Voie lactée. Pourquoi le firmament n’a-t-il d’yeux que pour elle ?
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Ce mérite remonte ma chère, à mon adolescence, quand j’ai placé cette planète ni trop prêt ni trop loin de moi. En mère-poule, tu as gardé la tienne à proximité, et tu n’as qu’une boule de lave en fusion. Moi, j’ai ajusté, avec une précision céleste. L’eau tombée du ciel (apportée par les comètes) peut y être liquide. Cela m’a pris 4 milliards d’années, mais à la longue, j’ai trouvé. La lave est devenue roche, l’eau est devenue mer, la planète est devenue Terre. Son gros satellite Lune maintient l’axe de rotation et assure ainsi la gamme des notes, de l’équateur aux pôles.
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Evite-moi le gravitaire, le centrifuge, l’elliptique, l’axial et tout le tintouin, passe les années, saisons, jours et nuits. Explique-moi cette eau, si banale, distribuée partout dans la matière froide, sauf chez nous, bien sûr, les étoiles …
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Oui ma star ! Notre température interdit toute molécule. Nous sommes faits par les atomes simples, H et He, hydrogène et hélium. H est né à la première seconde de l’Univers, bien avant nous. Le privilège des milliards de milliards de milliards de soleils, c’est de transformer H en He. D’où notre chaleur et notre langage lumineux. Tu es très belle en rouge, et pour longtemps encore, ma Proxima. Les premières étoiles ont élaboré des atomes plus lourds, plus complexes, comme C, O, S, P, Si, Al, qui sont partis en gaz, en comètes, en planètes, à l’explosion des Supernovae. Ils sont assemblés en des sels minéraux, qui sont assemblés en matériaux, qui sont assemblés en entités, en poussières, rochers, montagnes, etc.
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Je n’ai toujours pas d’eau …
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Quelle géniale molécule, que celle-là ! Une des plus petites. Mais alors que le méthane est dépourvu d’idées, que l’ammoniac n’en a qu’une, l’eau invente des combinaisons extraordinaires, diverses et variées. Elle participe aux roches, elle participe aux gaz, elle se construit en solide de 36 façons. Chaque neige à sa nuance. Mais là où elle est unique, loin devant quelques pâles imitateurs, c’est quand elle s’assemble en liquide. Sur Terre, il y a juste la pression et la température, juste les différences qu’il faut, en longitude et en altitude, pour que l’eau soit dans les roches, dans l’air, en glaces, en neiges, et en liquide ! Du réglage d’horloger, te dis-je !
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Le liquide fait des torrents, des fleuves, des mers … Et après ?
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Après, il fait la vie ! Les atomes suivent leurs lois, qui sont pour leur noyau, et pour la surface. La chimie avait en potentiel une panoplie de lois, mais les conditions n’étaient pas réunies. Et voilà que sur Terre, il y a 600 millions d’années, commence cette chimie inouïe, dans l’eau liquide. L’eau dissous des atomes en les ionisant, dissous du gaz carbonique, des oxydes et hydrure d’azote, oxydes de soufre, des molécules à 2 carbones apportées par les comètes. Je fournis l’énergie qu’il faut. Un chef d’œuvre ! Des molécules à chaine carbonée se font, se défont, s’assemblent, se désagrègent. On ne sait pas, on tâtonne, on recommence. Tous les possibles y passent, sans aucune prédétermination. Soudain, un assemblage crie Euréka. Il sait reproduire sa combinaison, de sorte qu’il se multiplie, avant de disparaître. Lui meurt, ses assemblages restent, qui meurent en laissant des assemblages, etc. C’est la vie. Après la création des atomes, après la création des systèmes de matières (les galaxies), voici la création du savoir. Cette chimie n’est plus une loi passive. Elle a un sens. Par le codage, elle sait ce qu’elle fait, elle oriente, elle sélectionne, elle se reproduit, elle perdure par procuration.
La matière inerte est splendide par sa résistance au temps, son génie de la lenteur. La matière vivante est splendide par son allure filante et son don de transformation. Elle a testé des milliards de solutions pour en trouver une. La vie est dans l’eau, sur Terre, en l’air. Le cabillot, l’otarie, le sapin, la tomate, la taupe, l’éléphant, la mouche, l’hirondelle, tout cela est à 8 mn de chez moi. Ce spectacle, cette sensationnelle usine à garder la vie en vie, a trouvé un nom, la Nature. Les plantes de cette usine ont transformé de telles quantités de CO2 volcanique en C organique et O2 gaz, que l’air, sur Terre, est riche de 20 % d’oxygène. Les animaux en profitent.
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Tant de bruit sidéral pour des choses si éphémères ? Tes papillons et tes séquoias, c’est anecdotique ! Que d’efforts pathétiques, pour un milliardième de temps ! (14 ans, l’univers ayant 13 Milliards 819 millions d’années).
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Bref séjour, mais incomparable qualité ! Dans l’atmosphère terrestre, j’entretiens une couche d’ozone, car mes UV sont dangereux pour la vie. Le magnétisme de cette planète la protège de mon trop puissant magnétisme. Tout cela est au point. Ma lumière n’est plus une énergie brute. Elle préside à la pluie et au beau temps. Les plantes boivent le rouge de mes rayons, et apparaissent pour cela en vert. Voici 65 millions d’années, elles ont inventé la fleur. Les animaux utilisent un peu de mon spectre avec ce qui s’appelle des yeux. Ils voient et se déplacent guidés par ma lueur.
Il y a 6 millions d’années, un animal se dresse et devient bipède. Il marche en consommant 4 fois moins d’énergie que les singes. Il peut courir longtemps.
Deux millions d’années plus tard, je rends le climat très capricieux. Vie ! Tu adaptes tes codes ou tu meurs. Alors, le bipède apprend à vivre au sec, à l’humide, devant tels ou tels animaux. Il mute, son cerveau grossit. De l’énergie chimique arrive à être consciente du vécu, à l’enregistrer, à s’en souvenir. Champion de l’adaptabilité, ce cerveau devient champion de l’acquis. Il exige en retour un apprentissage, une très longue enfance, une vie familiale et communautaire, afin de transmettre tout ce savoir, si vital pour la survie. Il y a 140 000 ans, en Afrique, naissent dans les chromosomes des enchainements ADN typiques d’un nouvel homme : L’homo sapiens. Tous les êtres humains ont aujourd’hui cet enchainement caractéristique, sauf de très rares individus, qui rappellent des croisements anciens avec une autre branche d’hominidés. Les généalogistes diraient que nous avons tous un ancêtre commun (Adam) et une ancêtre commune (Eve), vieux de 140 000 ans.
Invention de la pensée
La masse de l’univers est matière. Non pas inerte, mais évoluant inconsciemment, sous l’emprise des lois. Le cerveau humain, lui, connaît. Mieux, il crée la connaissance. Les hommes ont su faire le feu, et ils m’ont vénéré comme Le Grand Feu. Ils ont su qu’ils étaient, et n’ont trouvé d’autre qu’eux dans cette situation, conscients de la vie, de la mort, sous un Cosmos muet, sourd et aveugle, parmi une Nature dépourvue de pensée, des animaux instinctifs, des évènements dramatiques.
Au cours de la dernière glaciation, leur population a chuté de 90 % (vers 22 000 av. JC). Ils sont tombés à un total de 300 000, dans un monde vide.
Devant l’angoisse de l’anormalité, de la solitude et de la mort, les hommes ont cherché une entité pensante heureuse. Ils ont peint la quiétude, la vie des grands animaux, le paradis sans état d’âme. Ils ont placé leur incantation au fond des grottes, où je ne pouvais pas voir, où les jours n’étaient pas comptés, alors que dehors le monde était sauvage, glacial ou torride, les nuits effrayantes, le temps inéluctable.
Ils ont vénéré ce dieu intérieur pendant 30 000 ans. Ce faisant, ils accoutumaient leur cerveau à une mystique par l’image. Ils ont appris l’art à partir d’eux-mêmes.
Acceptant finalement les choses comme elles étaient, ils se sont auto apprivoisés. Ils ont utilisé la pensée pour vivre mieux. Ils ont cherché autrement. Ils ont gravé mon image, un cercle et des rayons, pour la beauté des printemps, pour le réchauffement. Ils sont devenus bergers, paysans, artisans. Ils ont compris que j’étais à la source de la poussée des herbes, du déplacement des troupeaux, de la tiédeur heureuse, du miracle de l’arc en ciel. Ils ont eu besoin de dieux naturels, pour le bétail et les récoltes. Ils ont pensé à moi, à la lune, aux étoiles, aux montagnes. Ils ne t’ont pas vue, ma toute petite, mais ils ont repéré ta grande sœur, Alpha du Centaure.
Par évidence, la Terre était le centre de l’Univers. Le dieu solaire venait tous les jours apporter sa lumière et sa chaleur conviviales. L’extraordinaire énergie qui fuit dans l’espace laisse vivre cette infinitésimale énergie du cerveau humain, un rien dans un tout, un rien qui vaut tout. L’Homme s’est consacré à la terre.
A Gavrinis, le fond de l’allée couverte ne recevait mes rayons qu’au jour le plus court de l’année. A Stonehenge, les mégalithes donnaient la durée des jours au dessus des tombeaux princiers. Les morts reverraient-ils un jour le soleil ? On les plaçait pour.
Je suis Utu pour les Sumériens, dieu de la vie, œil de la justice. Les Egyptiens m’appellent Rê, le créateur de vie. Un pharaon a voulu que je sois Aton, le Dieu unique, mais le peuple voyait le Nil, la lune, les étoiles, les tombeaux noirs où je n’entrais pas. Il a gardé le polythéisme. En Perse, je suis Ahura Mazda, dieu de la lumière apportant l'ordre. D’après Hérodote, " Les Perses n'ont pas d'images des Dieux, pas de temple ni d’autel et considèrent leur utilisation comme une folie......".
Comme ma lumière voit presque tout, j’étais la justice, le garant des serments. Parce que j’étais maître du monde, les Aztèques me reconnurent dieu de la guerre, car le pouvoir s’établissait maintenant par les guerres, un fruit maléfique de la pensée.
L’image que j’ai préférée est celle que m’ont donnée les Grecs. Dans le ciel, ils m’ont appelé Hélios. Sur mon char à 4 chevaux, je pars le matin de l’Orient, parcours le ciel et m’arrête le soir, à l’Occident. Pendant la nuit, je reviens mystérieusement à l’Est, peut-être par bateau. J’étais de plus en plus humanisé.
Ma lumière sur Terre a été appelée Apollon, et reconnue pour toutes ses vertus. La lumière est saine. Apollon est purificateur, dieu de la Médecine préventive. Comme Hélios ne vieillit jamais, Apollon est l’éternel printemps, la jeunesse robuste et forte, sans duvet. Sa chevelure flottante couvre ses larges épaules. La lumière est douce, culturelle. « Ce qui est sauvage, plein de désordre et de querelle, la lyre d'Apollon l'apaise ». Apollon est dieu des arts, musique, chant, danse, éloquence et poésie. Il est harmonie, ordonnancement. Tout art doit exprimer un rythme qui soit agréable aux séquences du cerveau humain. Chez les Grecs, la beauté, le juste (cosmos), la vertu et l’ordre social, sont liés. L’ordre parfait régnant dans l’univers, ils appellent l’espace cosmos. L’homme s’est auto domestiqué. Sa part d’humanité est devenue héréditaire.
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Donc, chez toi, grand Phébus, on a su que l’Univers existait. Sur Terre, un chant a déclaré à l’univers qu’il était éternel, juste et beau, et que l’homme était digne.
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« Notre vie et l’Univers doivent avoir un sens », s’est dite la pensée, dont le destin est de penser. Elle a enquêté : « Dieu n’est pas le soleil, mais Celui qui a fait le soleil, et comme Celui qui a fait le soleil a tout fait, Dieu est unique ». L’idée devait servir à unir les peuples sous la même croyance : Le Créateur de l’Univers est universel.
Cela n’a jamais marché. La pensée est contrariante. Les échelles de l’infiniment grand, de l’infiniment petit, du temps, d’un Dieu cosmique incommensurable, sont hors de son échelle. L’idée se perdait dans le silence intersidéral et dans le bruit des pensées locales, bien mieux adaptées à l’échelle humaine.
Alors, pour en savoir plus, les hommes qui cherchent ont ouvert trois voies : Les dieux, les lois naturelles (la science) et les arts, à côté de ceux qui ne cherchent pas.
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Les dieux, ce serait un monde sans lois ni art ?
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Non, seulement sans mort. La vie est si courte !
Intervention des dieux
Pendant longtemps, la quête des dieux fut l’axe principal de la recherche.
Les Chasseurs construisirent un temple, à Tepe (Turquie), 10 000 ans avant JC. Les stèles honoraient la force vitale de la Nature, sous ses formes multiples, toutes des Divinités. Une famille de dieux s’occupa des évènements, attisa les miracles.
Les Pasteurs nomades et les agriculteurs sédentaires agrandirent la famille, jusqu’à ce que le plateau perse imagina un Dieu unique qui avait tout fait.
On ajouta par précaution : « Et qui s’est fait lui-même ». Cette fois, on ne pouvait pas aller plus loin, on tenait l’espace et le temps à la source, Gaia et Cronos.
L’abstraction était puissante mais toujours muette.
Alors, on mit de côté ce passé créateur. On scruta le futur salvateur.
Les prophètes fréquentèrent la Terre. Les hommes étant doté de parole, Dieu lui-même parla, en hébreu, au mont Sinaï. Certains prophètes se présentèrent comme Fils de Dieu. Le Tout-Puissant, le Créateur universel, devint le maître de la mort, un chef de peuple, un Père des prêtres, le Totem de religions différentes, parfois opposées.
Le particulier fonctionne mieux que le général. Dieu est universel, mais pas mondial.
Tu remarqueras deux choses :
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Dieu est la vie sans matière, sans principe mâle/femelle, sans la mort. Si son œuvre était parfaite, l’univers serait non évolutif, sans vie, sans mort. L’imperfection crée l’évolution, évolution de l’espace, de la matière, de la vie.
Mais Dieu ne s’occupe que des hommes, qui eux sont les seuls à s’occuper de Lui. Les étoiles ne sont-elles que le décor du théâtre humain ?
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Dieu veut les hommes sur Terre, selon une vie mortelle, pour leur offrir ensuite une vie éternelle. Le but n’est plus de reproduire la vie, c’est de vivre après la mort. L’Homme ne craint plus l’extinction de l’humanité, mais le mal vivre après la mort. Il abandonne le destin collectif pour son destin individuel.
Les uns ont dit : La vie éternelle est pour l’individu tout entier, corps et âme (Egyptiens, Esséniens). D’autres ont parlé de l’âme seule (les Grecs), espérant que la pensée n’avait pas besoin de support matériel. En Indes, voyant que la vie était condamnée à vivre (réincarnations, la vie reproduit la vie), on visait à s’en évader en plaisant aux dieux. Puis Siddhârta conseilla à chacun de développer sa pensée interne, avec ou sans l’aide des croyances, selon son propre besoin. De générations en générations, la méditation arriverait un jour à une pensée accomplie, sans question, sans matière. Siddhârta allait à la source : Le cerveau.
Les sociétés humaines avaient élaboré une structure correspondant à leurs besoins. L’immense majorité des individus se consacrait à l’agriculture et à l’élevage, afin de nourrir tout le monde. Une petite proportion aristocratique gérait le pouvoir militaire et civil. Une petite proportion cléricale servait à s’adresser à Dieu, à comprendre Ses indices, Ses volontés. Pour ce faire, il fallait être pur. Ainsi, chaque groupe avait besoin des deux autres. La recherche de Dieu s’institutionnalisa en un Clergé. Souvent, le chef civil se nommait chef religieux, ou réciproquement.
La pensée théologique se fit radicale : Tu dois croire. Tu dois croire le Clergé, qui, lui, sait. La concurrence entre rois se traitant par la guerre, et Dieu décidant de tout, les victoires devaient revenir à celui qui avait « le vrai dieu ». Ainsi, Dieu était plus impliqué dans les affaires d’hégémonie que dans le destin des masses paysannes.
Pour expliquer les déconvenues, on inventa à Dieu un ennemi, le Mal. Satan était un esprit qui se cachait dans les hommes. Il était malveillant, responsable des tentations et des malheurs. L’humanité était sur Terre pour servir de champ de bataille entre Dieu et Satan. Dieu triomphera, les étoiles tomberont dans la mer (fin de l’Univers), les Justes seront appelés, lors d’une grandiose fête finale nommée Apocalypse. Les individus entreront dans la vie éternelle, chez Dieu ou chez Satan, selon leur mérite terrestre. La vie atteint l’éternité avec la disparition de l’espace et du temps.
Un monde est visible, profane, satanique, un autre monde est mystique, au-delà (les dieux, les esprits, les morts). De même, une personne est double, faite d'un corps matériel, et d’« âmes abstraites » ou esprits.
Une religion est une représentation des deux mondes, des deux personnes. Elle intercède entre ces doubles, par les mythes fondateurs. Elle met en place une croyance dont découlent des comportements. Dieu est venu enseigner, en sanscrit, en hébreu, en araméen, en toltèque, en arabe. Son Fils a vécu comme un homme. Il a indiqué les bons comportements pour être retenu au jour de l’Apocalypse. Une religion révélée n’a plus à chercher, mais à croire.
Les monothéismes perse, juif, chrétien, étaient peu sensibles à l’art. Dieu était la seule beauté, la seule vertu, la seule justice. On ne devait rien attendre de ce monde, on devait tout attendre de l’Au-delà. Rome unifia le système administratif, réalisa de superbes travaux publics, mais ne modifia pas en profondeur la part religieuse et artistique reçue de la Grèce. L’évolution profane (commerce, administration, citoyenneté, droits civiques) et le conservatisme religieux ne purent faire face à l’évolution de l’esclavage et à la montée des monothéismes orientaux et africains. Constantin (272-337) renforça le rôle de l’empereur et s’allia aux sectes chrétiennes (orthodoxes, donatistes, arianisés) qui troublaient l’Orient. Il avança l’image d’un empereur unique et tout puissant, entouré de ses ministres, comme Dieu est unique et entouré de ses anges. Sur son lit de mort, il se fit baptiser.
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Certains ont donc trouvé : Il ne faut plus chercher. Le clergé a les éléments pour conduire les masses vers le Salut. Donc, les Etats-Eglise ont gouverné. Ils ont surtout dirigé la puissance matérielle des Puissants. Et l’art dans tout cela ?
Intervention de l’art
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Au temps où les hommes étaient dépourvus de tout, un petit dieu se rebelle contre Zeus, lui reprochant son indifférence. Il dérobe le Feu sacré de l’Olympe, feu de la connaissance et des arts, et l'offre aux humains. Ils peuvent désormais s’instruire, faire des outils, suivre Apollon dans les arts. Par ce mythe, le savoir et l’art seraient d’essence divine, comme la foi. Les Hommes, en les pratiquant, se rapprocheraient des dieux. Comme le fit l’orgueilleux Prométhée, ils seraient tentés de se mesurer à eux, et voudraient échapper à leur condition, devenir immortels.
On avait rencontré l’art au fond des cavernes, comme un sur-langage pour appeler les dieux. L’Homme a développé son cerveau grâce au feu, à la confection d’outils, au langage, à la vie communautaire, toutes choses structurantes, demandant que l’on agisse selon un ordre précis et séquencé. Cette activité méthodique et rythmée lui donne conscience d’un progrès, d’un passage du chaos à l’ordre (cosmos), de l’animalité à l’humain. Le naturel étant sauvage, insensé, muet, l’Homme cherche son salut dans le surnaturel. Il invente la sépulture, la longue durée par le culte des ancêtres, l’accès au monde salvateur par la magie, le chamanisme, les rites, les dieux, la religion, l’art. Le langage, le chant, la danse, sont des activités rythmée, cycliques, se calquant sur le goût du cerveau pour l’ordre et la fluidité. L’art régule, simplifie, marque le sacré, évoque une réalité que l’on ne voit pas sans lui. Il tire l’Homme vers le surhumain. La pensée est humaine, la pensée de la pensée est surhumaine.
Le cerveau fonctionne maintenant avec la technique, la sociabilité, le chamanisme et l’art. Ce dernier indique la présence divine, apaise les effrois, donne espoir, non pas comme une esthétique, mais comme un langage mystique.
Il y a 8 000 ans, la vie devient complexe, sociale, locale, hiérarchisée. L’art invente des formes et des rythmes accessibles à tous : Le signe. Une succession de signes dans un ordre précis constitue une phrase (hiéroglyphes, chinois). Le cerveau sapiens recherche une harmonie facile à reconnaître et à mémoriser.
Dans les tombes égyptiennes, les danseuses ne sont pas l’image des danseuses du palais, mais le signe des danseuses du monde éternel. La présence du sacré s’exprime par des formes anti normales Toujours le génie avait tiré de l’apparence les formes d’un autre monde (André Malraux, L’Intemporel, Gallimard, Paris 1976). La déformation plastique des statuettes, les masques schématiques, la répétition de symboles géométriques, tout marque cette volonté d’attirer le divin par une beauté opposée au naturel. Evocation d’un monde éternel, absolu, incommensurable.
En Grèce, il y a 5 000 ans, les arts rompent avec cet absolu écrasant. Ils témoignent de l’aspiration à la liberté, à la paix, au bonheur non plus post mortem, mais terrestre. Nature et surnature sont en symbiose. La beauté est une morale, une vertu, un plaisir de la raison humaine (de l’acquis), et aussi un plaisir de l’émotion (de l’inné). L’harmonie architecturale, la pureté des sculptures, des vases etc., sont la quête de la beauté apollinienne parfaite. Zeus trouve son plaisir à la muse qui possède une lyre pure et qui danse avec des sandales libres (Homère). Dionysos, dieu de la vigne, du vin et de l’inspiration, aidé des silènes, des bacchantes et des satyres, préserve le génie individuel, l’instinct, la beauté sauvage, à côté de cette perfection apollinienne. Apollon et Dionysos. L’art aura toujours cette dualité : Parfaire / Donner l’idée brute ; Pro / anti esthétique.
L’homme grec joue dans le champ du possible, pour l’amélioration, l’existence voulue, et non la vie subie. Alors qu’ailleurs l’art peut devenir un outil de propagande des rois, que la science peut servir les prêtres pour assoir leur pouvoir, en Grèce l’art et la connaissance se veulent une manifestation de la qualité humaine entière.
Culte du héros, du poète, du savant, car « La géométrie est toute puissante entre les hommes et les dieux » (Platon). L’Orient expose le hiératique, le non temps, la soumission des hommes aux dieux. L’Occident part de l’homme pour dialoguer avec les dieux. Dans les deux cas, l’art rend tolérant et socialise. L’art égyptien contribue à unir le nord et le sud du pays, autant que les mesures politiques (-3100 par Ménès), celui des Indes dépasse les caractères ethniques et climatiques fortement opposés (unification vers -400).
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N’en déplaise à Prométhée, les dieux n’ont manifesté de goûts artistiques que dans l’imaginaire des humains. Ils servent d’idéal, de but final à l’évolution, génération par génération. Religion et Art sont des creusets contre le temps et l’émiettement culturel.
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Oui, la particularité humaine était l’apprentissage, elle est maintenant l’enseignement. Textes sacrés, temples, œuvres, tout défie le temps et lègue au futur. Ce sera encore plus vrai avec la science. Elle ne discutera pas les questions de croyance ou de goût, qui sont du domaine des autres approches. Elle se prononcera sur ce qui est vérifiable, mais là, elle ne transigera pas. Une loi démontrée est admise, universelle.
Intervention de la science
L’incompatibilité entre vérité scientifique et vérité ‘autre’ est totale et inconciliable. Prends l’exemple de la formation de l’Univers. Le Livre de la Genèse décrit cette formation en 6 jours. Plantes au 4ième jour, et moi, Soleil, étoiles, au 5ième. C’est une parole divine, sacrée. L’homme la prend pour vraie (Babylone). Mais s’il désire des preuves, s’il veut établir lui-même une vérité (Grèce), il va constater que la notion de jour est liée au soleil, et trouver bizarre que les jours aient existé avant lui, de même que les plantes. Il conclura : La Genèse ne fait pas partie de la science. On ne sait rien sur l’Univers, il faut chercher.
Des millénaires ont été nécessaires pour isoler la science, la dégager des pseudo vérités, des pseudo raisonnements, des traditions, des sujets interdits. Epicure a peut-être été le premier à s’affranchir des dieux, à observer librement, et Galilée le premier à le faire vraiment. Newton entre dans la science mais croit encore à l’alchimie.
Au XXIième siècle, la science est fortement développée. Elle sait beaucoup de choses sur l’Univers, sur les atomes, sur la vie. Parce qu’elle est expérimentale, elle est connaissance des matières, inertes ou vivantes, à toutes les échelles.
Une différence fondamentale entre l’Art et la Science est la direction de leur développement. L’Art s’étend horizontalement. Il ne fait pas mieux que Lascaux, Praxitèle, Le Notre ou Mozart, il fait autre chose, condamné à être créatif. La Science s’étend aussi, mais, surtout, elle monte. On en sait plus aujourd’hui que Copernic ou Darwin. La Science est par excellence le pourvoyeur de la dimension connaissance du développement humain.
Bien avant la quête scientifique, l’Homme a pratiqué des techniques, comme la taille des outils, la semence des graines, la construction des huttes. Un jour, il a voulu compter les animaux, refaire ses parcelles après la crue, mesurer les quantités de grains, prévoir les saisons … Ce jour-là, les mathématiques et l’astronomie ne sont pas nées, mais une longue pratique de proto sciences a commencé, qui aboutira un jour, avec Newton, aux sciences.
Les premières pyramides, Carnac puis Stonehenge sont basées sur la géométrie.
La première écriture a 5300 ans. Elle permet d’enregistrer des savoir faire.
A Babylone, deux mille ans plus tard, les tablettes contiennent les 4 opérations (+ ; - ; x ; :) et des équations résolues. A partir de -747, les observations astronomiques sont archivées. On découvre des mouvements, des périodes, un temps long. On note des données médicales, médicinales.
Euclide écrit 9 livres de géométrie et 4 d’arithmétique. Epicure imagine l’existence des atomes. Platon comprend que les mathématiques sont un langage ‘pur’, dégagé des contraintes du réel, soumis à ses seules lois de base et de démonstration.
En Chine, l’activité est tournée vers la technologie. Elle conduit à de nombreuses inventions. Les Indes, plus attirées par la théorie, avancent les chiffres dits arabes, la notion du zéro, l’écriture décimale, le calcul de π. Les Arabes transmettent ces savoirs, permettent des travaux en astronomie, optique, médecine, mathématiques.
En 1410, Pierre d’Ailly découvre que les étoiles ne tournent pas autour de la Terre. Il me proclame, moi, Soleil, véritable centre de l’Univers. Les hommes perdent la place égocentrique qu’ils s’étaient attribuée avec les dieux et les arts.
Deux siècles plus tard, Kepler établit les trajectoires elliptiques des planètes et leur vitesse variable pendant le parcours. Les hommes perdent l’idée de la perfection immuable du Cosmos. L’architecte Pierre Puget fait des coupoles elliptiques.
Nous allons bientôt être mis à notre place, ma Proxima.
Mais avant, je voudrais évoquer un sommet, où les voies de Dieu, des arts, et des techniques, ont agi de concert, pour la dernière embellie humaine avant la science.
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Qu’allons-nous visiter, l’Inde, la Chine, Bagdad, Constantinople ou le Mexique ?
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L’Europe, l’épanouissement de l’antique société paysanne / monastique / seigneuriale.
Les Romains n’approfondissent pas la voie religieuse. L’Église chrétienne veut alors le pouvoir. Par chance pour elle, Julien l’Apostat meurt. Le christianisme devient la religion unique de l’Empire (Théodose, 394), mais ne crée pas la chrétienté, parce qu’elle vient d’en haut, éloignée des masses paysannes, fracturée entre Rome et Constantinople, diluée dans les peuples envahisseurs.
En Occident, au milieu des razzias, les moines poursuivent l’illustration des livres, le travail des bijoux et des métaux, pour marquer la sainteté de l’Ecriture. Le faible Etat-Eglise a bien des difficultés à bâtir quelques baptistères et quelques cella. La terre contamine le ciel. On confond joyaux de l’esprit et verroterie de bijoux. Le roi inculte parle au nom de Dieu, la Cour ne pense qu’aux parures et aux amulettes, les élites courent après les reliques. Les maladies et le froid se chargent de l’anéantissement.
En Orient, par contre, les grands investissements se poursuivent (Sainte-Sophie, 532-537 par Justinien). L’art quitte le naturalisme grec, pour évoquer un sur-monde sans espace ni temps : Abandon de la perspective, du décor, de la souplesse des corps et des vêtements, promotion de la frontalité des personnages, de la solennité des gestes.
Sous Charlemagne, grâce à des moines savants, experts et artistes, un art propre aux abbayes s’extirpe peu à peu de l’art profane du pouvoir. Mais l’effondrement des IX- Xième siècles est pire que celui de l’Empire romain. L’Europe ressemble à un chaos habité par de rares hommes affolés.
Une force prend en main le peu qu’il reste de savoir, d’espoir et de foi. C’est celle des moines. Ils élaborent une société et un art nouveaux, à partir non plus du haut, mais de la base, non plus du palais, mais du terroir. Tous les Humains participent. Deux siècles plus tard, vers 1200, l’Europe est repeuplée, en paix relative, sans esclaves ni serfs, dotée d’une religion unique et bien suivie, capable d’un grand art, pour représenter le Surnaturel. La terre a été défrichée, apprivoisée, travaillée par une multitude de paysans qui habitent des hameaux, qui parlent les langues d’où vont naître les langues modernes. Le paysage du village et de son clocher, du curé et du forgeron, est né. « Ce sont ces efforts patients, ces adaptations solides, qui ont fourni la base industrielle au développement du monde moderne, dont les vraies et décisives conquêtes plongent toujours leurs racines dans le génie médiéval » (Histoire du peuple français, Vol 1, Régine Pernoud, Nouvelle lib de France, Paris, 1951).
Architecture de pierre, au service de la spiritualité. Symboles, lecture simple des volumes, des perspectives, des sons, et des fresques. L’église est lieu de vérité. La liturgie devient somptueuse, la sculpture et la peinture montrent les formes de cette vérité chrétienne (XI-XIIIième siècles). Non pas une esthétique, mais la traduction, dans le visible et le sonore, du corps et de l’âme (époque romane).
La beauté est une transcendance. L’esprit identifie une harmonie extérieure (musique, danse, architecture, sculpture, peinture, objets) qui coïncide avec sa propre structure interne, ce qui induit une sensation agréable (Umberto Ecco).
Beauté métaphysique seule (saint Bernard, les Cisterciens), ou accompagnée de la beauté physique (Cluny, Abélard, Suger, saint Thomas d’Aquin). L’art admet des adaptations, des initiatives personnelles, se plait à la diversité et même à l’originalité. Les Humains exaltent le meilleur de leurs techniques dans l’offrande à Dieu, et, ce faisant, ils humanisent le savoir (corporations) et l’art (écoles). Ils promulguent le commerce (Venise), les aménagements (ponts), la connaissance (universités).
Ce temps de la Chrétienté européenne, du moine, de l’artisan et du laboureur, ne dure pas. Le vieux système de l’Etat-Eglise reprend le dessus, avec rois et évêques, avec les Croisades, les guerres (XIII-XVième siècles) et les épidémies.
La chrétienté orientale s’éteint quand Sainte-Sophie devient une mosquée (1453).
En Italie, l’organisation en petits Etats échappe à l’hégémonie des grands Etats gothiques. Elle favorise la vivacité artistique et réduit l’orgueil princier. Les villes poursuivent mieux qu’ailleurs l’épanouissement roman du XIIième siècle (Florence).
Ce foisonnement d’artistes et de savants sera qualifié de Renaissance, répandra le goût de la connaissance, de la découverte, de l’affirmation de l’homme, pendant que les systèmes Etat-Eglise gouverneront tout à l’inverse (génocides, inquisition, guerres civiles, guerres d’Etats, bâillonnement de la science).
Passons sur les grandes conquêtes mongoles et arabes : Voilà l’état du monde avant la science. L’évolution se fera définitivement par les techniques, en entrant dans une ère dite industrielle, techniques qui ne seront plus tournées vers Dieu, mais vers les biens matériels (capitalisme). Une fois de plus, les hommes se rapprochent des hommes.
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Quelle épopée, que cette pensée ! Son isolement lui fait espérer le Surnaturel, elle invente l’art pour l’évoquer. Les techniques agricoles lui font espérer des dieux protecteurs. Elle crée les sociétés religieuses, les rites, le savoir initiatique. L’angoisse de la mort l’amène à croire en l’Au-delà, au Dieu absolu. Elle instaure le sacré, l’art immense, lance des techniques formidables, monte des cathédrales, exalte la morale, le bonheur pacifique, l’art profane. Le pouvoir Etat-Eglise défaille, et elle conçoit l’humanisme, le perfectionnement de l’homme, en ne négligeant aucun sujet.
Voici les hommes armés de techniques et de présciences. La nature n’est plus leur état, mais leur projet, un projet qu’ils établissent par le sentiment et par la raison.
Que vont-ils inventer ?
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Des technologies extraordinaires, une science développée, un pâle début de démocratie (XVIII-XXIième siècles). La science élargit son champ (biologie, médecine, sciences humaines, sciences sociales, économie). Après avoir établi la démarche des sciences exactes (mathématiques, physique, chimie), elle promulgue des prouesses techniques. Les hommes utilisent l’électricité, écartent la peste et le choléra, réalisent un voyage sur la lune, trouvent les codes de la reproduction de la vie, informatisent des milliards de milliards d’échanges. Ces bipèdes volent en avion, roulent en voiture, se distraient de médias. Ils ont grandi de 7 cm, allongé leur vie de 30 ans. Ils ont atténué la douleur physique, vulgarisé des moyens puissants pour s’informer.
Les problèmes sont à l’inverse de ceux du passé : Les hommes sont trop nombreux, sur une Terre trop petite. Ils ont pour seule ambition une vie unique. Ils sont tassés dans des villes immenses, anonymes, amalgamant le luxe et la misère, l’esprit brillant et l’inculture, l’altruisme et la corruption, le sens artistique et l’artéfact, la foi et la négation de tout dieu, les droits de l’Homme et le mépris des devoirs. Ils ne savent plus qui décide, car les lois financières sont spéculatives et secrètes.
L’Homme n’a jamais fait autant de discours, de contrats, de votes, autant d’erreurs, autant de guerres. Il n’a jamais bénéficié d’autant d’informations, de lois, de recours, et subi autant d’insatisfactions. Le bonheur simple s’est perdu dans le comparatif.
La science n’empiète pas sur les domaines religieux et artistique, mais les hommes délaissent ces voies, par manque de vocation. Ils se cantonnent à l’individuel, ils rompent le lien entre les générations. Le Sacré devient sujet d’histoire, sans vision sur l’humanité nouvelle. L’art se contente de prouesses technologiques (gratte-ciels, musées) et de salles de ventes, car il est devenu un bien de consommation.
La démocratie n’est pas établie. La connaissance évolue plus vite que l’enseignement.
Ce monde nouveau demande une religion et un art nouveaux. Mais les deux balbutient. En l’an 2000, la Terre est l’instrument de la technologie humaine.
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Je tire une impression triste sur la science, sur les arts et les dieux …
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Le fait est, ma belle, qu’il faut du temps au cerveau pour digérer ces nouvelles donnes, bien plus soudaines que les glaciations ou les empires. Le cerveau crée des technologies et de la connaissance plus vite que son adaptabilité, au point d’être dominé par ses inventions, dans une fuite en avant qui l’amène à accélérer encore, phénomène dit , le système financier ayant pris le pas sur l’undustriel.
Le cerveau pourrait s’émerveiller, mais, sentant que le fond lui échappe, il devient fataliste. Il avait des buts sans moyens, il a des moyens sans but.
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S’émerveiller de foi et d’art, je conçois, mais s’émerveiller de sciences ?
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La science est plus proche de l’art que tu ne crois. Un raisonnement mathématique ne s’adresse pas aux sens classiques, mais au 6ième sens, l’intelligence. L'observation d'une formule mathématique active les mêmes zones du cerveau que la contemplation d'une œuvre d'art. Elle engendre une émotion poétique pure.
Un panel de mathématiciens a désigné l'identité d'Euler, proposée en 1748, comme étant la plus belle des équations :
Cette relation entre e, i, et π, (des constantes fondamentales) utilise trois opérations simples (addition, multiplication et exponentiation) où e représente l'analyse, i représente l'algèbre, π représente la géométrie, l'entier 1 l'arithmétique et le nombre 0 la base des mathématiques. La beauté nait de cette riche simplicité.
L’Homme connait des chiffres fabuleux sur les infiniment petit et grand. Il sait qu’il habite l’espace-temps, au milieu de forces immenses et simples, de phénomènes gigantesques dans les étoiles, minuscules dans les atomes, très élaborés dans le vivant. Il est mathématicien, biologiste, chirurgien, ingénieur, historien, sociologue, juriste, maçon, agriculteur, avocat, agent d’assurances. Il a les éléments pour apprendre tout au long de sa vie. Une vie qui pourrait avoir peu de contraintes, se dérouler dans l’éthique, la curiosité des choses, la compréhension de la mort. Il n’y est pas adapté. Course journalière et mort.
Ecoute malgré tout ce qu’ont établi les hommes.
La matière de l’Univers devait se résumer en un bloc sans vide, de la taille d’un œuf ! Les atomes en sont nés, et ils ne sont presque que du vide. Ils se sont groupés en systèmes galactiques, qui ne sont presque que du vide. La vie a réalisé des espèces et des pensées oubliées, qui ne sont presque que du vide. Vide servile, meublant l’expansion de l’espace-temps, l’entropie.
Albert Einstein a salué cette grandiose entrée de l’Homme dans le monde des infiniment petit et grand :
« Ce qu’il y a d’incompréhensible, c’est que l’Univers soit compréhensible ».
Un vivant de 80 kg élucide le colossal et le minuscule. Il se dit : Je n’aurais jamais cru que cela soit possible de ma part …
Au second degré, c’est la fierté du cerveau. L’Univers présente diverses conditions, mais, pour chacune, une loi s’applique, sans aucune défaillance. Les humains ont posé des postulats, puis une logique, puis des lois, et ils s’aperçoivent que les lois qu’ils énoncent s’appliquent à l’Univers. Quelle réussite ! Nul hasard en cela. Le cerveau a sélectionné selon la vérification expérimentale. De réel, il n’y en a qu’un. C’est plus intrigant pour les mathématiques, qui sont autonomes. Voilà un sujet de mystère et de poésie, car l’univers est encore plus mathématique que physique.
Au troisième degré, on peut s’extasier devant un Univers régulier, totalement soumis aux entités (espace-temps, forces), docilement évolutif. Les hommes anciens l’on cru parfait, éternel, parce qu’ils n’en voyaient que l’instant. Les hommes modernes le trouvent parfait parce qu’il évolue inéluctablement, loyalement. Il n’y a pas de miracle. Le miracle, c’est qu’il n’y ait pas de miracle, c’est que le déterminisme soit universel et compris par l’Homme. Son cerveau possède une dimension qui manque à la matière : L’imagination, qu’il peut offrir aux dieux, aux arts, aux sciences, au bonheur. Rien n'est plus puissant qu'une idée dont le temps est venu (Victor Hugo).
Intervention de l’intelligence humaine
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Ne retrouvons-nous pas là 50 000 ans de pensées religieuse, artistique, technique, la structuration du cerveau, l’ordre, la distanciation par rapport au sauvage, au chaos ?
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L’Homme a admiré l’ordre cosmique et y a placé les dieux. Il a découvert un cosmos immense, évolutif, violent. La science redonne mesure et ordre, non plus sur l’instant, mais sur la distance, la durée, l’énergie, le vivant.
Sa société n’est pas à la hauteur de ses connaissances, parce que religion et art ne sont pas à la hauteur de la science. Celle-ci n’a fermé aucune porte, mais elle se retrouve seule à faire rêver.
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A faire rêver ? Peut-on par exemple rêver de moi ?
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Parmi les 3 000 milliards de milliards d’étoiles qu’il a pu voir, l’homme a mesuré que tu étais la plus proche, que la température de ta surface est de 3,5 millions de degrés, avec des pointes à 5 millions. Moi, je me contente de 2 millions en surface mais j’ai 15 millions au centre. Il rêve d’adopter la façon dont nous produisons l’énergie.
Tu continueras pendant 4 milliards d’années à changer ton hydrogène en hélium, tu évolueras du rouge au bleu, puis en naine blanche. Il sait que tu produiras alors du carbone, ce carbone qui lui est si cher, car support de la chimie de la vie.
Dans quelques temps, tu ne seras plus ma voisine, car tout bouge dans ce beau monde. Notre galaxie, la Voie Lactée, nous entraine à 550 km / s dans le mouvement d’expansion. Nous faisons partie du bras Orion, à 26 000 années lumière du centre. Je tourne autour du centre, mais le parcours est si long (250 millions d’années lumière) que je n’ai fait que 20 tours depuis ma naissance. Cette année, la Terre aura parcouru 930 millions de km autour de moi, à une vitesse moyenne de 30 km/s. La beauté immobile de mouvements si rapides relève de la grâce.
On peut s’émerveiller d’une coccinelle, d’un nuage. Prends un cumulus de 1 km3. J’en produis des dizaines de milliers par jour. Et bien ce nuage contient 20 000 tonnes d’eau, 10 trains de marchandises. Il a nécessité 16 millions de kWh pour que cette eau soit évaporée, soit l’équivalent d’une centrale atomique tournant pendant 16 h., pour ce seul nuage. Sur la France, il tombe 486 milliards de tonnes d’eau par an, soit en moyenne 88 cm / m2, dont l’évaporation demanderait 1 million de centrales pendant un an. Nous les étoiles, sommes énergie, masse, vitesse, aveuglément.
L’homme est petit, éphémère, mais voyant.
Les masses font tout autant impression que l’énergie. Elles viennent de mouvements infimes, internes au proton atomique (bosons) : Si la Terre a la masse 1, j’ai la masse 330 000, et la Voie Lactée la masse 1 milliard de milliards. Sa voisine Andromède contient encore plus de matière. Un tout petit effet à l’intérieur du proton donne ces gigantesques masses, la gravité. Le nombre de protons de l’Univers est faramineux, quand on sait que 600 milliards de milliards de protons pèsent, sur Terre, 1 mg.
Ces protons sont assemblés par 6 dans le noyau du carbone. Prends un atome C engagé dans le vivant, dans une protéine d’un lilas, d’un saumon, d’un cheval, d’un homme, peu importe, et imaginons son histoire.
Il s’est formé il y a 3 milliards d’années, au cœur d’une naine blanche de la Voie Lactée, à partir de protons H qui avaient eux 12 milliards d’années. Il a été pulvérisé en poussières. Il a voyagé 2,5 milliards d’années, à -250 d°, dans une comète. En passant près de la Terre, de la poussière a été capturée. Rien ne se perd, tout se transforme : L’atome C reste le même, à travers des combinaisons successives. Impossible d’en connaître la séquence, longue d’un milliard de cas infiniment variables. Voici un exemple très écourté : Méthane, gaz carbonique, algue, amibe, poisson, reptile, fougère, diplodocus, fleur, humus, baobab, buisson, gazelle, repas d’un hominidé, herbe, marmotte, plume d’aigle, graminée, repas d’un homo sapiens, poireau, pomme, repas de notre homme, synthèse de sa fibre musculaire. Ce C est l’un des 800 milliards de milliards d’atomes C que possède cet informaticien. L’atome C est le même depuis le départ, et pour tous, plante, pétrole, plastique, muscle. Ses échanges électroniques du passé sont effacés, au profit de l’actuelle combinaison protéique dans la fibre, et C s’apprête à la quitter. Cet homme est l’extraordinaire montage actuel d’atomes d’histoires disparates – pense aux diverses provenances de ses molécules d’eau ! – et cet homme est unique, pensant, aimant, travaillant, parce que les atomes sont inaltérables et parfaitement identiques, interchangeables pour la même espèce. Peu importe si des C venaient d’un volcan ou d’une comète : La création atomique suit des règles strictes, universelles, et quasi éternelles. L’homme est dans des combinaisons d’assemblages. A lui de rêver !
Le bébé naîtrait avec un cerveau émotionnel et développerait un cerveau rationnel, social. Par son émotion, il croira qu’il existe une vie antérieure (cycle des renaissances en Orient). Par sa conscience, il croira qu’il exister une vie postérieure (éternité en Occident).
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Il rêve donc autour de la mort …
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Non, maintenant qu’il a un fond de connaissances, il rêve du présent.
La vie est dans des combinaisons d’électrons. L’agriculture utilise la photosynthèse, l’industrie produit des matériaux comme le ciment ou la fibre optique, des services comme l’électricité ou le téléphone portable. Le cerveau humain, fait de 86 milliards de cellules, commence à s’intéresser à la plus extraordinaire machine électronique de l’univers : Le cerveau humain. Grâce à la fluorescence, on va peut-être élucider une partie de l’activité cérébrale.
L’une de ces technologies peut être un danger mortel pour l’humanité : L’intelligence artificielle, le robot. Par négligence ou par hostilité, on pourrait donner à cette intelligence un degré de développement par lequel elle se redéfinirait seule, et pourrait échapper au cerveau, qui évolue plus lentement. Certains ont proposé de définir Dieu comme l’intelligence absolue, sans cerveau ni artifice.
L’artifice pourrait-il être le sorcier de l’apprenti ?
De quoi approfondir science, philosophies, arts et religions …
Quand Gutenberg créa le livre, le savoir fut diffusé, en réclamant de l’éducation. La société des hommes changea. Aujourd’hui, l’information est diffusée, totale, partout, directe, sans être pensée ni concentrée. Elle ne demande pas d’éducation, juste des abonnements. La société des hommes change. La pédagogie et les institutions classiques sont dépassées. Les biens distinctifs de l’Homme (l’enseignement, la connaissance, l’acquis, la vie sociétale) se perdent. L’Homme a démontré son adaptabilité aux contingences extérieures, qui allaient moderato. Cette fois, il crée lui-même une contingence externe qui va prestissimo. Les lois, les politiques et les philosophes appliquent les recettes d’hier, devenues inopérantes.
La Terre est sortie des ères géologiques pour entrer dans l’ère de l’Homme. Le groupe de travail de l’ICS a proposé comme basculement le 16 juillet 1945, date de l’explosion de la première bombe atomique. Le cerveau sapiens n’est plus sollicité de la même façon. Lentement, il va évoluer, peut-être régresser, si les machines travaillent pour lui, et qu’il ne s’intéresse à rien.
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Tu m’avais parlé de Gerson le sage, qui présentait l’intelligence comme un 6ième sens, définissait la civilisation comme le perfectionnement de la santé et des sens, de tous les sens (vue, ouïe, odorat, goût, toucher, art, conscience, citoyenneté, morale, philosophie, aptitude au bonheur). Souhaitons aux hommes qu’ils aillent dans ce sens.
ANDRE CAMPRA (1660-1744)
Fils d’un turinois musicien et chirurgien, Jean-François Campra, et de l’aixoise Louise Fabry, il naît à Aix le 3 décembre 1660. Il reçoit une formation religieuse, qui se double, à partir de 1674, d’une formation musicale, car il entre dans les chœurs de Saint-Sauveur qui sont dirigés par Guillaume Poitevin.
Il est reçu prêtre en 1678, et va exercer à Toulon. Il commence à écrire de la musique sacrée, mais aussi à participer à des activités théâtrales suspectes quant à la morale. Il est renvoyé en 1681. Il devient alors maître de musique de Saint-Trophime d’Arles (81-83) puis de Saint-Etienne de Toulouse, où il reste 11 ans. Il étoffe son équipe, fait entrer deux violons, écrit des motets, un opéra, et continue son activité théâtrale. Les relations se tendent.
En congé pendant six mois, il va à Paris et ne reviendra plus (1694). Il devient maître de musique à Notre-Dame, mais il est de plus en plus attiré par le théâtre. Il écrit L’Europe Galante (1697), opéra-ballet qui a du succès. Le prince de Conti l’engage. Il démissionne donc de Notre-Dame (1700) et se tourne résolument vers la musique légère des salons. Hésione (1700) et Tancrède (1702), deux opéras, le rendent célèbre et sont encore joués aujourd’hui. Il est chef d’orchestre de l’Académie Royale. Sa comédie-ballet Les Fêtes Vénitiennes (1710) en fait la vedette de l’époque, comme les opéras Idoménée (1712), Enée et Didon (1714). Le Régent, qui est un élève de Marc Antoine Charpentier, aime le côté italianisant de sa musique et le fait entrer à la chapelle royale de Versailles (1715), où il côtoie certainement les Bontemps.
Après 1720, il se tourne à nouveau vers la musique religieuse (cantates, Nisi Dominus, Requiem, motets). En 1730, il devient le Directeur de l’Opéra du prince de Conti. Il meurt très âgé, le 29 juin 1744, à Versailles.
A son époque, sa musique plait par la simplicité avec laquelle elle unit les goûts français et italien, dans les morceaux religieux ou profanes, musique à la fois solide et ouverte à la couleur locale. De nos jours, son inspiration est jugée limitée, facile et ennuyeuse. On lui reconnaît le grand mérite d’avoir rendu adulte le genre de la comédie-ballet, et d’avoir été le trait d’union entre Lully et Rameau. Tous trois sont les seuls versaillais à être restés.
Campra est né la même année qu’Alessandro Scarlatti, Louis Nicolas Clérambault et l’écrivain Daniel Defoe.
Un livre lui est consacré : André Campra, par Maurice Barthélemy, Actes Sud, 1993.
FRANCOIS AUGUSTE MIGNET (1796-1884)
Inlassable journaliste, archiviste, historien, mais sans le talent de Michelet, Mignet aura cependant les honneurs, grâce à la protection de son ami Thiers.
Né à Aix le 8 mai 1796, il est condisciple de Thiers (faculté de droit) et devient son ami dans la vie parisienne du règne de Charles X.
Lauréat de l’Académie des Inscriptions (1720), rédacteur dans les journaux (le Constitutionnel, le Courrier français, la Revue des deux mondes, le Journal des Savants) cofondateur du National, il signe la protestation contre la loi sur la presse. Il écrit De la Féodalité et des Institutions de saint Louis (1822) et surtout les deux volumes de l’Histoire de la Révolution française (1824).
Sous Louis-Philippe, il devient directeur des archives au ministère des Affaires étrangères, Conseiller d’Etat, membre de l’Académie des Sciences morales et politiques (1832), secrétaire perpétuel de cette académie (1836). Il est élu à l’Académie française grâce à Thiers, contre Victor Hugo (29/12/1836). Il votera plus tard contre Théophile Gautier, tant Thiers et lui n’aiment pas les romantiques (encore une différence avec Michelet).
Grande croix de la Légion d’Honneur.
Il a beaucoup écrit sur les problèmes entre la France et l’Espagne :
. Négociations de la succession d’Espagne sous Louis XIV
. Antonio Pérez et Philippe II
. Vie de Franklin (1848)
. Histoire de Marie Stuart (1851)
. Charles Quint, son abdication, sa mort (1855)
. Rivalité de François I et Charles Quint (1875)
. Nouveaux éloges historiques (1877).
Autant Thiers traverse le siècle au présent, autant Mignet reste dans ses archives. Il meurt en 1884, après avoir connu tous les régimes du siècle.
CLAUDE MATHIEU PELEGRIN (1682-1763)
Il succède à son maître Guillaume Poitevin à la direction de la maîtrise de Saint-Sauveur. C’est l’un des plus grands compositeurs véritablement aixois, dont la notoriété –à son époque- dépasse largement le cadre régional. Le Bénédictus, Vedité exultenus, Jubilate.
ADOLPHE THIERS (1797-1877)
Ce nain adipeux, éternel insatisfait, utilisé par les grands banquiers et haï des Bonapartistes, a su utiliser ses relations à ses propres fins.
Il naît à Marseille le 15 avril 1797. Pierre Thiers, le père n’épouse la mère, Marie Amic, qu’un mois plus tard. Puis il renie le fils, abandonne la mère et poursuit sa vie de débauche. C’est la grand-mère qui élève Adolphe, au hameau du plan marseillais. La sœur de Marie est la mère d’André Chénier. Thiers va à l’école à Bouc puis à Marseille, où il est boursier. Il suit la Faculté de droit d’Aix, avec Mignet, Philippe Aude, Rouchon-Guigues. En 1818, il présente un mémoire à l’académie d’Aix, sur l’éloquence. En 1819, il concourt à l’Académie sur l’éloge à Vauvenargues. A l’aveugle, il est élu, mais on l’écarte car il est jugé trop libéral. L’année suivante, il présente le même mémoire. Reconnu, on l’écarte pour un autre mémoire, qu’il a écrit aussi. Finalement on lui laisse le prix. Il est avocat à Aix. En 1821, il part à Paris.
Il est proche de Talleyrand et fréquente l’aixois Jacques Antoine Manuel, député républicain. Manuel l’introduit chez le banquier Laffitte, entre au Constitutionnel et fonde le National. Il est un opposant à la royauté et Charles X. Du bon côté avec Louis-Philippe, il est ministre des travaux publics, puis de l’intérieur en 1832, du commerce, président du conseil de 1836 à 40. Il est le rival de l’homme de droite, Guizot.
Après 48, il est député à la constituante puis à la législative. Après le coup d’état, il sera député d’opposition de 63 à 70, un des chefs des républicains. En 70, il parcourt l’Europe pour l’intéresser au sort de la France, sans succès.
En 71, 26 départements l’élisent député de la chambre de Bordeaux. Il est chef de l’exécutif et doit combattre la Commune, poursuivre les négociations avec la Prusse. Il parvient à faire évacuer le territoire, après avoir sacrifié la Commune sans ménagement.
Sa vie politique est doublée, surtout dans sa jeunesse, d’une vie d’écrivain et d’historien. Opposé aux romantiques et à la gauche, Thiers se place comme Laffitte dans le clan des républicains conservateurs. Il a écrit une histoire de la Révolution, une histoire du Consulat et de l’Empire. Il est élu à l’Académie française alors qu’il est premier ministre (1832). Très influent, il favorise ses amis, Salvandy, Mignet et Rémusat. Il vote pour Littré, Autran, Barbier, et contre Théophile Gautier. Son poulain est Emile Olivier. (Le poète Joseph Autran est enterré à la Malle).
Très ambitieux et rusé, Thiers a été utilisé, comme il a utilisé nombre de relations. Dans les salons, ses ennemis le traitaient de nain adipeux et prétendaient qu’on ne pourrait jamais savoir ce qu’il pensait. Ses amis le trouvaient républicain convaincu, travailleur et fidèle.
L’Académie d’Aix
Elle est fondée en 1808. Parmi ses membres, le général aixois Miollis, qui commande les troupes à Rome. En 1812, son président est Portalis, qui est comte, conseiller d’Etat, rédacteur du code civil. En 1828, Portalis sera ministre de la justice.
En 1820, Thiers reçoit le prix de l’académie, par ruse. En 1828, Champollion voit chez l’ancien maire Sallier des manuscrits du temps de Ramsès.
1830 : Entrent à l’Académie Champollion et Ampère. Roux-Alphéran, jugé trop royaliste, est rayé après la révolution. Il sera réintégré en 1840.
1837 : Philippe Aude, maire d’Aix, devient membre, Emeric David aussi.
1844 : Le botaniste-chimiste Deleuil, qui dirige la ferme pilote de Montorone, à St Cannat, devient membre. C’est lui qui a introduit la race anglo-chinoise porcine.
1846 : Gustave Rambot, économiste, sociologue et poète, devient membre.
1855 : Le marquis Gaston de Saporta, de grande famille, botaniste, devient membre.
1858 : Mort de Roux-Alphéran. Entre Charles de Ribbe, neveu des Miollis (général et évêque)
1859 : Mort de Rambot, qui laisse un legs.La cathédrale Saint-Sauveur d’Aix-en-Provence abrite un retable énigmatique. L’intitulé «
Sensation romane
Michel Deleuil, mai 2012
De très grands historiens de l’art (voir bibliographie) ont décrit et interprété l’art roman de façon magistrale. Ceci n’est qu’une synthèse, qui se veut courte et facile d’accès, mais qui emprunte tout son contenu à ces savants (Duby, Eco, Focillon, Faure, Mâle, Malraux, Oursel, etc.)
● Simples touristes, nous pouvons mieux apprécier. Cet art exprime bien plus que de la beauté.
● Européens, Français, nous y retrouvons nos racines. Leur part agricole s’amenuise aujourd’hui, mais leur part civique, humaine, optimiste et savante, reste grandement d’actualité.
● Adeptes d’une religion, nous renforçons notre foi en mesurant ce que peut faire la croyance tournée vers le bien.
Notre-Dame de Thiviers, Dordogne, fin du XI° s.
Sur la route du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, une église romane, comme tant d’autres.
Chapiteau de la croisée.
Au centre, le Christ debout présente l’hostie et remet les clés du paradis à Pierre, placé à Sa droite. A Sa gauche, Marie-Madeleine suit la scène avec attention (main d’écoute).
Acte solennel qui fait de Pierre le premier évêque et le fondateur de l’Eglise.
Si le sculpteur avait cherché à représenter la scène, tel un journaliste, le Christ aurait regardé Pierre. Il veut au contraire en exprimer le sens immatériel. Centré, de face, symétrique, bouche close, le Christ est Vérité, Loyauté. Ceux qui suivront Ses préceptes (hostie) et Son enseignement (Eglise-Pierre) seront sauvés. Marie-Madeleine, témoin de la Résurrection, en est persuadée. Eux sont aussi bouche close (fiables) mais légèrement de profil (importance moindre). Pour mieux dégager la spiritualité, le sculpteur réduit l’importance des corps, néglige les vêtements (plis frustres) et soigne les attributs : Chacun reconnaît Marie-Madeleine à son flacon et à ses tresses. Pierre tient précieusement Le livre (ce n’est pas le moment de compliquer par la présence du coq). Les visages sont fins, emprunts de quiétude, les gestes n’ont aucune hésitation. Sous le tailloir, des rinceaux aident à se plonger dans l’abstrait du message. Le pèlerin est comblé : La Chrétienté est grande !
L’architecte est lui aussi satisfait. La colonne fait partie d’un pilier qui supporte le clocher. La voute vient appuyer sur le tailloir que la colonne doit soutenir. La pierre nouant ces forces (le chapiteau) a été bien choisie, bien sculptée, pour passer discrètement du carré au cercle. Afin de donner du relief, le sculpteur l’a assez profondément évidée, mais la résistance a été préservée.
Rien n’est ici maladroit ni naïf. Rien n’est fait pour être beau. On peut à la limite parler de candeur par rapport à nos cerveaux, qui connaissent Jean Goujon, Pierre Puget et Picasso.
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Préhistoire, Antiquité (-30 000 ; + 500)
Au cours d’une évolution de 7 millions d’années, certains hominidés sont devenus hommes grâce à l’outil, au feu, au langage, à la vie communautaire, toutes choses structurantes, demandant à agir dans un ordre précis et séquencé (développement main-cerveau). Le cerveau, à la fois promoteur et redevable d’une activité méthodique et rythmée, aurait pris conscience d’un progrès, comme d’un passage du chaos à l’ordre, de l’animalité à l’humain.
Les paléontologues ne s’accordent pas sur l’évolution suivante, qui est l’apparition de l’art. Plusieurs théories s’opposent sur la question du pourquoi, mais s’accordent sur la réponse au quand. On ne peut tenir compte du chant, de la danse, de la peinture des corps, disparus à jamais. Alors, l’art nait avec les peintures et les sculptures des cavernes, il y a 31 000 ans, à la grotte Chauvet (paléolithique aurignacien, plus tard magdalénien vers -15 000).
Georges Bataille a proposé une analyse de l’art magdalénien qui fait consensus entre plusieurs hypothèses (La peinture préhistorique de Lascaux, ou naissance de l’art, (1955), Genève, Albert Skira, 1980). Les hommes s’étaient affirmés par le travail, l’outil, la vie du clan. Entre -150 000 et -30 000, ils prennent conscience de la mort et de la sexualité non instinctive, choses que les animaux, dans leur innocence première, n’ont pas. Cette double différenciation est vécue comme un mal-être. Pourquoi l’homme, et lui seul, s’interroge-t-il sur la mort ? Pourquoi rien ne lui fait écho dans la nature, alors qu’il en fait partie ? Il voit les dégâts d’une sexualité débridée, qui lui est spécifique.
Le naturel restant muet, l’homme cherche son salut dans le surnaturel. Il invente la sépulture, la longue durée par le culte des ancêtres, l’accès au monde salvateur par la magie, le chamanisme, l’art.
Puisque le jour est naturel, la tombe et l’art sont une incantation sans lumière, sous terre ou au fond des cavernes. L’artiste exalte la pureté animale, l’instinct sans tache, le savoir vivre et mourir des grands animaux. Point de plantes, point de paysages, seulement de superbes animaux vivants et sereins. Très peu d’humains sont représentés, et encore le sont-ils de façon « enfantine », sans visage, malingres, souvent morts ou « sorciers ». La multiplication des mains et des vulves est significative : Maîtrise et sexualité, ordre et désordre, désarroi de se savoir atteint de conscience, d’imagination et de rêve. La sexualité ne fait pas allusion au plaisir ni à l’épanouissement. Réduite à des schémas, elle avance comme un interdit ou une peur, (couple sexe-mort).
L’art des cavernes révèlerait ainsi la mélancolie d’un paradis perdu – qui était le destin naturel, sans angoisse–, d’une chute dans un monde distant, muet, fermé aux aspirations humaines –la punition terrestre–. Désormais, le cerveau fonctionne avec la technique, la pensée et l’art, ce dernier communicant avec le surnaturel, tentant d’apaiser les effrois, donnant espoir. Ces animaux sont « un Eden », le symbole de la vie sans problème. Ils ne sont pas une esthétique, ils sont une mystique.
Aujourd’hui, nous n’en sentons plus le questionnement éperdu. Il nous en reste la beauté, beauté qui était le moyen par lequel cet art s’adressait à l’au-delà des chasseurs, à la surnature. L’homme avait trouvé dans son cerveau une harmonie supérieure, une lecture simple et agréable comme une musique, un écho à ses pensées. Sa main dessina la trace intermédiaire entre le réel et l’esprit. Au fond des ténèbres, il offrit son art à l’Inconnu. Nous en sentons l’ordre rassurant, l’expression de la perfection de la vie, hors de l’espace et du temps, ce qui confère à notre cerveau le plus haut plaisir et lui fait prendre la beauté pour le but.
Ce sont d’entrée des « chefs d’œuvres » de la peinture, comme si l’architecture et la sculpture commençaient par Chartres, la musique par Mozart. Ils excellent dans le figuratif comme dans la déformation, le signe, le refus du naturalisme. Ils créent des rythmes par des chevauchements, des jeux de relief, sous les éclairages partiels et mobiles de la torche.
Ce sommet qualitatif reste limité sur le plan quantitatif (nombre de grottes, accès restreint à quelques personnes). Une voie de plein air réunit les foules et concurrence ce moment d’égarement sublime de l’humanité, qui dura 30 000 ans. Le plein air se base sur la nature et propose d’interpréter les signes d’ici-bas que les Esprits distillent aux humains. Le chamane interprète. Dans certaines conditions (transe, exaltation, comportement de groupe), le signe fait penser à autre chose qu’à sa propre réalité et prend un sens divinatoire.
Le thaumaturge manipule signes et assistants par la parole, le chant, la musique, la danse. Ces arts sont fugitifs mais efficaces, car l’émotion est mise en commun. Ils s’opposent à l’art durable et intellectuel des cavernes.
Le Néolithique est très différent du Paléolithique. L’homme devient un extraordinaire artisan, un agriculteur, un pasteur, un sédentaire. L’agriculture, l’élevage, la vie sociale, augmentent son besoin d’ordre, de rationnel, de travail. Il y a rupture. Le conflit de pensées et d’intérêts entre les chasseurs et les éleveurs se prolonge dans le mythe de la lutte entre Caïn et Abel.
Qui amène le printemps, qui déclenche l’éclair, qui fait pousser les graines, les fruits, qui commande la course du soleil ? Le monde naturel est une surface qui dépend du monde souterrain des racines, graines et sources, ainsi que du monde céleste de la lumière, de l’air, de la chaleur et de la pluie. Des bouleversements {Création du Nil blanc vers –10 000 par la sur verse du lac Victoria, extension de la mer Noire par la sur verse de la Méditerranée (mythe du Déluge, arche de Noé)} marquent les esprits. Lié au climat, l’homme s’acharne à déchiffrer les signes de la terre et des cieux. Il adopte les protections totémiques, conçoit lui-même des idoles, offre des lieux sacrés, des prières, des dons, des sacrifices humains au monde surnaturel (Europe, Afrique, Asie, Amériques).
Chaque groupe adopte une idole particulière, une sorte de saint protecteur.
Chez les Sémites, la divinité locale est souvent représentée par un animal. Chez les Pré-indoeuropéens elle est plutôt femme, homme, ou dessin géométrique. Dans tous les cas, l’art du signe refuse violemment le naturalisme. La présence du sacré s’exprime par des formes anti normales ou des chants sacrés (védisme). Déméter, déesse de l’agriculture, est une vierge noire à tête de cheval. Pan, protecteur des bergers et des troupeaux, est un homme aux jambes de bouc. Kali, déesse-mère aux Indes, a de multiples bras. La déformation plastique des statuettes, les masques schématiques, la répétition de symboles géométriques, tout marque cette volonté d’attirer le divin par une beauté extraordinaire au sens premier du terme. Inversement, le peuple distingue spontanément la présence du sacré dans ces formes exceptionnelles.
La vie devenant complexe, sociale, locale, hiérarchisée, cet art invente des formes et des rythmes accessibles à tous. Le signe apporte un moyen de communication lisible entre les hommes et les esprits et aussi entre les hommes. Le simple dessin d’un œil signale l’organe œil, signifie aussi action de regarder, et aussi vision spirituelle. Une succession de signes dans un ordre précis constitue une phrase. Codifiés, pris « à la lettre » les signes deviennent l’écriture. Les hiéroglyphes se basent sur l’image concrète, le cunéiforme sur la disposition de motifs élémentaires (type codes-barres), le chinois sur une solution intermédiaire.
L’art sacré et l’art profane sont désormais en vases communicant. Le cerveau sapiens sapiens affiche sa continuité : Recherche d’une harmonie simplificatrice, facile à reconnaître et à mémoriser, non naturaliste, originale.
Quelques divinités anciennes seront vénérées jusque dans l’Antiquité. Le long du Nil, le soleil (Ré) est associé au pré dieu Atoum. Osiris commande à la végétation, particulièrement aux céréales. Tué par son frère, il ressuscite, comme le printemps, comme la crue du Nil. Il règne dans le monde souterrain des graines, et les morts doivent lui rendre des comptes. Son fils Horus, le faucon, exerce au contraire au-dessus de la terre. Dans le panthéon grec primitif, Gaia crée la Terre et épouse Ouranos, le Ciel. Ils ont pour fils les Cyclopes et les Titans. Le Titan Cronos tue son père et s’empare du monde (du temps). Il épouse sa sœur Rhéa et engendre Déméter, déesse de la fertilité et des jardins. Le fils de Déméter, Ploutos, personnifie la richesse (qui vient donc de l’agriculture).
Aux quatre éléments (eau, air, terre, feu), qui sont bruyants et mortels, s’oppose le ciel étoilé, circulaire, inaltérable, silencieux, éternel, parfait, d’une autre nature, celle des dieux.
La piété cosmique est suivie maintenant par des hommes nombreux, citadins ou villageois.
L’organisation sociale se hiérarchise en trois niveaux. En haut, les maîtres du sol, le roi et les dignitaires. Au milieu, ceux qui lisent les signes et qui lisent tout court, les prêtres et les fonctionnaires. En bas, ceux qui travaillent, artisans, paysans, esclaves. Pourvus de plus de moyens, les rois lancent des signes colossaux, indestructibles, hors du temps : (mégalithes, pyramides, temples, palais, tour de Babel). Ces sanctuaires cachent une chambre hors de la lumière, un au-dedans opposé à un au-dehors. Les prêtres servent les cérémonies, étudient le ciel pour y trouver des horoscopes, des prophéties, car le mouvement des étoiles est d’ordre divin. L’art devient celui de la pierre (dure et durable), de l’architecture, de la sculpture, de la physique, des mathématiques, car la contemplation du cosmos n’a pas de meilleure aide que la mesure des espaces, du temps, des trajectoires, que l’usage de la logique et de l’équilibre des raisonnements. Le cerveau sélectionne ce qui convient le mieux à son plaisir, à sa mémoire, à sa puissance. L’art est l’expression du pouvoir royal, des empires, mais aussi l’écho de la structure interne de l’agencement de nos neurones.
En Egypte, le cheminement néolithique aboutit à des formes types, des compositions répétées. Dès – 4000, les peintures ont pour règle de montrer la dimension la plus longue : Visage et pieds de profil, torse de face. Les canons sont des signes optimisés non transformables. L’art n’est pas une initiative individuelle, mais une discipline collective. L’artiste et le scribe sont frères. Le stéréotype, l’organisation, les proportions, les rythmes apprivoisés, sont toutes choses où le cerveau trouve émerveillement et quiétude. Les canons sont donc fixés une fois pour toutes.
Les modes de vie sont conçus sur le même principe : Vivre en accord avec les règles établies pour sauver son corps et son nom devant Osiris. Car la vie éternelle est semblable à la vie terrestre, l’âme et le corps restant unis. D’où la momification et l’écriture des noms sur les tombeaux.
En Grèce, dès – 3000, les arts sacrés et profanes évoquent de façon expressive l’aspiration à la liberté, à la paix, au bonheur terrestre, que l’Egypte et l’Orient abordent moins. Nature et surnature sont en symbiose, les dieux sont à l’image des hommes, plutôt sur l’Olympe qu’au Ciel. Culte du héros, du poète, du savant, car « La géométrie est toute puissante entre les hommes et les dieux » (Platon). La vérité est une manifestation du bien, et il n’y a pas de plus grande vérité que mathématique. Alors qu’ailleurs l’art peut devenir un outil de propagande des rois et des pharaons, que la science peut servir aux prêtres pour assoir leur pouvoir, ici l’art et la connaissance sont une manifestation concrète de la beauté, une collaboration des dieux, une morale, une vertu. L’Eternel incommensurable (sinon terrifiant) de l’Orient, est ici amical, à portée de main. En Crète, entre – 1600 et – 1400, l’artiste saisit le mouvement, l’instant, quand l’Orient marque le hiératique, le non temps. L’un part de la soumission des hommes aux dieux, hors de la nature (âme), l’autre part de la nature et de l’homme (esprit). Dans les deux cas, l’art traduit des tendances collectives profondes, dépasse les rivalités locales (ethniques, linguistiques, d’intérêts), rend tolérant et socialise.
La Grèce crée une langue pour l’épopée (langue dite homérique), et les Grecs, si différents et si rivaux entre eux, se reconnaissent frères dans cette langue, qui présente les dieux, la morale et l’héroïsme (l’Iliade et l’Odyssée). L’art égyptien contribue à unir le nord et le sud du pays, autant que les mesures politiques (-3100 par Ménès), celui des Indes dépasse les caractères ethniques et climatiques opposés (aryens contre autochtones, unification vers -400 par le bouddhisme).
L’harmonie architecturale, la perfection des sculptures, des vases etc. de la Grèce antique, sont le fruit de la quête de la beauté chère aux dieux. Apollon est dieu du soleil, des arts et de la raison. Il protège les muses. Zeus trouve son plaisir à la muse qui possède une lyre pure et qui danse avec des sandales libres (Homère). Le génie humaniste de la Grèce est dans cette beauté, plaisir des dieux et de la raison humaine. Il n’est pas que là. Dionysos contrebalance Apollon. Il est dieu de la vigne, du vin et de l’inspiration, accompagné par les silènes, les bacchantes et les satyres. En lui se préserve le génie individuel, l’instinct, la certitude que lorsque la beauté apollinienne parfaite sera trouvée, l’homme en cherchera une autre, venue du sauvage. Chez les Egyptiens, certains artistes transgressent les canons et peignent de façon naturaliste et profane.
Encadré par la tradition, commandité par les souverains et les prêtres, l’art n’en demeure pas moins le langage de la transcendance, le contact du peuple avec les dieux et la vie éternelle.
Dans la conception égyptienne puis juive, tout est gloire de Dieu, dans un monde médiocre et mortel. Seul restera un royaume qui n’est pas de ce monde. Les dieux imposent aux hommes le destin. Les dieux uniques sont masculins et la femme reste péché-mort. Dans la conception grecque, le destin (moira) est la marche inéluctable du temps (Cronos). Les dieux y sont soumis comme les hommes, mais eux vivent sans effort et sans mort. Le divin n’est pas concevable sans la nature. Oh mon âme, n’aspire pas à la vie immortelle, mais épuise le champ du possible ! (Pindare). L’éternité est pour les dieux, et l’homme ne peut devenir dieu (Platon, mythe de la caverne). Il lui reste le champ du possible, l’âgon, l’évolution, l’amélioration, d’où le culte de la vigueur et de la gloire, d’où les jeux olympiques, les concours de poésie, l’enseignement par des sages. L’homme peut s’enchanter de son existence. Le couple femme-vie succède au vieux couple sexe-mort (Aphrodite, Artémis, Athéna, Déméter, Héra, Némésis, muses et néréides).
Conception juive Conception grecque
Eternel, infini, Dieu incommensurable Cronos, espace, temps
Homme (se donner à Dieu) Dieux, Homme-Femme, Terre (physis) (se donner à l’humain)
Terre Néant
Cosmos, en grec, c’est l’ordre juste, juste comme une note de musique, une proportion réussie (nombre d’or). C’est la quiétude, la vertu, l’ordre social, qui résultent d’un bel ordonnancement. L’ordre parfait règne dans l’univers, qui est donc un cosmos. L’homme est seul à admirer le cosmos, seul aussi à créer le désordre et l’injustice (tragédie grecque). A l’opposé, le judaïsme invoque Dieu pour que l’homme puisse l’emporter sur la nature (miracles). Le seul ordre juste est celui de Dieu. Aux Indes, les dieux peuvent garantir l’ordre, ou au contraire revenir au chaos si l’humanité pèche.
Le polythéisme et le monothéisme ont longtemps coexistés, en Egypte, en Orient et en Grèce. Le polythéisme donnait une souplesse et repoussait l’intolérance des sectes. Après de longs débats, les peuples le conservèrent. Les Juifs gardèrent leurs idoles, bien après Moïse. Lorsqu’ils furent amenés en captivité à Babylone, ils pensèrent que leurs dieux étaient mauvais, puisqu’ils ne donnaient pas la victoire. Ils adoptèrent le monothéisme (-600). Baal, le Veau d’or, etc., furent abandonnés. Les Bouddhistes tolérèrent l’idée de dieu dans la mesure où elle pouvait élever l’homme (-600).
Les polythéismes égyptien, étrusque, carthaginois, grec, celte, ligure, ibère, numide, permirent à ces populations de cohabiter et d’échanger tout autour de la Méditerranée. Alexandre se défendit de conquérir les croyances et les arts des autres pays. Il les adopta ou les fusionna, se contentant d’abattre les pouvoirs politiques. L’art montrait qu’il n’existait pas une solution à la croyance, à la mystique, à la beauté, mais une multitude de cheminements. Le cerveau accepta cette complexité alliant finesse et incertitudes, altérité et insécurité. Les Indes, les mondes grec, hellénistique, latin, et celte, contemplaient la beauté métaphysique et la beauté physique comme leur champ du possible. Kakos kai agathos, beau et bon, harmonie entre beauté, bonté, vérité et justice.
Les monothéismes perse, juif puis chrétien, étaient par nature peu sensibles à l’art. Dieu était la seule beauté, la seule vertu, la seule justice. On ne devait rien attendre de ce monde, on devait tout attendre de l’Au-delà.
Rome unifia le système administratif, réalisa de superbes travaux publics, mais ne modifia pas en profondeur la part religieuse et artistique reçue de la Grèce. Une si grande évolution profane (commerce, administration, citoyenneté, droits civiques) et un si médiocre conservatisme religieux ne put faire face à l’évolution de l’esclavage et à la montée des monothéismes orientaux et africains. Le champ du possible n’avait aucun sens pour les légions d’esclaves et pour l’Orient monothéiste. Le vieux culte néolithique des cités agricoles grecques ne correspondait plus au pouvoir d’un immense empire. Constantin (272-337) renforça le rôle de l’empereur et s’allia aux sectes chrétiennes (orthodoxes, donatistes, arianisés) qui troublaient l’Orient. Par ce coup de génie, il avança l’image d’un empereur unique et tout puissant, entouré de ses ministres, comme Dieu est unique et entouré de ses anges. Sur son lit de mort, il se fit baptiser.
Il n’avait pas voulu promouvoir une secte plutôt qu’une autre. Il utilisait la puissance spirituelle de ces sectes monothéistes pour sauver l’Etat. Dans le système romain en effet, l’empereur est le chef civil et religieux. Ce « christianisme d’Etat », cette conception universelle d’une direction d’Empire laïque et sacerdotale furent acceptés par les Eglises, qui accédaient au pouvoir trente ans seulement après les persécutions de Dioclétien.
Méprisé par la base, souvent considéré comme païen, l’art devint celui de la cour, du travail de l’ivoire, de l’orfèvrerie, des métaux, se contentant parfois de verroterie. Indéfiniment lié au présent, il évolua vite avec les changements politiques des grandes invasions.
L’autel d’urbain aygosi.
Michel Deleuil, septembre 2014
Depuis 1823, la cathédrale Saint-Sauveur d’Aix abrite, dans son collatéral gauche, un autel de pierre, dit traditionnellement, autel des Aygosi. Il était, à l’origine, installé dans l'église des Carmes.
La singulière iconographique, la qualité sculpturale, et les énormes démêlés qui ont affecté la famille Aygosi, se concurrencent pour conférer la valeur de cet autel.
Le vécu d’Urbain Aygosi est la raison de sa commande, passée en 1469.
L’affaire Aygosi est parsemée de quelques vérités avérées, dans un champ de ragots et de légendes, l’ensemble dépeignant parfaitement la mentalité du XVème siècle.
Bertrand Aygosi est notaire, minotier, hôtelier et marchand, propriétaire des moulins de la Torse, d’un hôtel rue de la Masse et d’une maison rue des Brouquiès (des tonneliers, actuelle rue Chabrier). Parce qu’il est sans enfant, il désigne en 1447 un jeune apothicaire marseillais nommé Urbain Maximin pour héritier, à condition que celui-ci adopte son nom (1). Aygosi a bien un neveu, Antoine, fils de son frère Raimond. Mais ils sont fâchés, alors qu’il souhaite sauver le nom du lignage.
Cette pratique d’adoption avec changement de nom est légale.
On imagine l’animosité d’Antoine envers l’intrus. L’huile est jetée sur le feu quand tous deux prétendent épouser la belle Marguerite Cassagnes. Après des années d’assaut courtois des deux rivaux, Marguerite choisit Urbain. Antoine est plus que furieux.
Le contexte général aggrave encore cette rivalité.
Urbain est soutenu par les Hospitaliers de Saint-Jean de Malte, Antoine par les Prêcheurs. Les deux Ordres sont en concurrence sur les donations qui précèdent les décès. Les nobles se font plutôt inhumer aux Hospitaliers, les riches bourgeois plutôt à la Madeleine des Prêcheurs, sauf dans le cas présent de Bertrand Aygosi, parti aux Carmes. Saint-Sauveur prélève une taxe sur les inhumations, quel que soit leur lieu. C’est plus efficace.
Alors, Antoine jette la malédiction sur Urbain et sa famille. Assurer la descendance ? Hé bien, ils n’auront pas d’enfants. S’enrichir par les moulins de la Torse ? Ils seront détruits …
Antoine a un appui : Son ami le riche drapier Corpici. Celui-ci a commandé à Barthélemy d’Eyck, sur demande du roi René, une Annonciation pour les Prêcheurs, œuvre achevée en 1457, en pleine crise Aygosi. Or, derrière l’ange Gabriel, les temps anciens s’éteignent : L’arc tréflé porte les figures maléfiques d’un dragon et d’une chauve-souris. Des prophètes juifs, habillés à la turque, blottis sous les baldaquins des colonnes, parachèvent ces temps révolus. René en a voulu ainsi, pour y opposer, devant Gabriel, la qualité des temps nouveaux révélés. Il se délecte d’avoir amené des rabbins dans une église …
Il n’en faut pas plus pour persuader les tenants des Hospitaliers : Le tableau est ensorcelé. Les moindres détails sont interprétés comme des maléfiques. On pointe du doigt le fœtus, qui ne porte pas de croix, on voit des plumes de chouette (en réalité de bécasse). La rumeur d’une Annonciation démoniaque se répand, au point qu’à Angers, le roi René en est averti.
Urbain prend au sérieux les menaces d’Antoine. Sa belle Marguerite, qu’il a épousée voila 5 ans, ne lui donne toujours pas d’enfant, alors que son devoir est de perpétuer le nom. Contre la Torse, il utilise une tour, encore visible aujourd’hui, pour protéger ses moulins.
Le 28 décembre 1467, une partie de l’église des Prêcheurs s'effondre. Marguerite, après 15 ans de mariage, se découvre en ceinte. Elle accouche d’une petite fille.
Alors Urbain, remerciant Dieu d’avoir vaincu la malédiction, offre un autel aux Carmes : Il fait sculpter tout un ensemble, dans la belle pierre de Calissanne (1469-70).
Avant de quitter ce fond sulfureux, observons l’attitude du roi René. Il fait financer l’Annonciation par Corpici, parce que ses fonds sont au plus bas. En mettant les temps anciens dans l’ombre et Marie en pleine lumière, il rend hommage à la Vierge. Il ne prend pas position dans la querelle entre Hospitaliers et Prêcheurs. Il va prier à Saint-Sauveur, dont il est membre du Chapitre, et destine ses dons aux Carmes, dévots de la Vierge (Triptyque dit ‘du Buisson ardent’), alors que sa paroisse est celle des Prêcheurs. Il a enterré sa fille Blanche aux Carmes, et c’est là qu’il laissera ses entrailles.
Iconographie du tombeau d’urbain aygosi.
Lors du transfert des Carmes à la cathédrale, l’autel a été remonté de façon incomplète.
La partie basse est destinée à recueillir le corps d’Urbain.
Au-dessus, l’autel porte en son centre un tabernacle montrant un Christ de Pitié L’inscription s’adresse à nous : Vois, mortel, c'est pour toi que se livre une telle victime.
De par et d’autre, les blasons d’Urbain, à gauche, et de Marguerite Aygosi, à droite.
Sur l’autel, une scène à cinq personnages est disposée en triptyque. S’ajoute un monstre. Les donateurs sont de part et d’autre de sainte Anne trinitaire, c’est-à-dire de Jésus, tenu par Marie, devant sainte Anne.
Sur les piliers, se trouvaient les statues de la Vierge et de saint Jean, aujourd'hui exposées au musée Granet.
A la clé du porche, le blason d’Urbain.
Au-dessus, une crucifixion. Le Christ a les pieds posés sur le crâne d’Adam. Il est surmonté d’un pélican. L’inscription est explicite : Je suis devenu semblable au pélican. Cet animal passe en effet pour nourrir ses petits de son sang. De part et d’autre, le soleil et la lune.
Tous les historiens d’art s’accordent pour reconnaître en saint Maurice et en sainte Marguerite, les donateurs Urbain et Marguerite.
Sainte Marguerite est en situation ‘issante’, c’est-à-dire en train de sortir du flanc du dragon qui vient de l’avaler. En effet, selon la légende, sainte Marguerite est née en 284 à Antioche et s’est convertie au christianisme à la lecture de la Bible. Le gouverneur romain Olibrius, séduit par sa beauté, veut l’épouser, mais elle résiste à tout, y compris aux supplices. Quand le dragon l’engloutit dans son ventre, elle est munie d’une croix et sort indemne par le flanc du monstre. Alors Olibrius renonce et la fait décapiter (305).
La croix devait être entre ses mains, brandie en avant. Elle a disparu, peut-être en 1823.
La perle, autre attribut de la sainte, est, elle, bien visible sur sa coiffe. Une marguerite est en effet une petite pierre précieuse, blanche, remplie de vertus, comme la sainte jeune fille, pure et vertueuse.
Le livre, autre attribut, est resté dans la gueule de la bête.
L’épisode est opportunément rappelé : Marguerite résiste à Olibrius le païen et au dragon diabolique … comme Marguerite a résisté à Antoine et à la malédiction.
Les femmes se mettent sous la protection de Marguerite au moment d’enfanter, pour être délivrées comme elle, sans dommage. Marguerite sort du ventre du monstre et Marie Aygosi sort du ventre de sa maman.
Quarante ans plus tôt, Jeanne d’Arc avait cité Marguerite comme étant l’une de ses voix, ce qui avait relancé la ferveur envers cette sainte. Marguerite Cassagnes ne doit pas être loin d’avoir 40 ans.
Le dragon est un saurien muni d’oreilles et d’une aile de chauve-souris. Pour montrer qu’il a avalé Marguerite, le sculpteur laisse dépasser le Livre de sa gueule. Ainsi, l’animal stupide et maléfique, démuni de tout intellect, accomplit le pire des sacrilèges. On sait que les dragons, terrassés par saint Michel, saint Georges, sainte Marthe, etc., représentent les païens et le mépris de la Sainte Bible. Après le concile de Trente (1547), l’Eglise a annulé l’épisode de la sortie du flanc du dragon, par trop légendaire. L’autel a alors été désigné comme étant celui de la Tarasque. Roux Alphéran y a même reconnu sainte Marthe. Ce n’était pas la volonté d’Urbain ni celle du sculpteur. Le monstre qui sévissait à Tarascon est affublé d’une tête de lion, se rapprochant même d’une tête humaine. Après Trente, Marguerite et Marthe ont été associées par la ferveur populaire : La sainteté dompte le paganisme et le diable, comme Marthe. Mais ici, c’est bien Marguerite issante, se sauvant de la malédiction.
Saint Maurice est à la place d’honneur, représenté sous les traits d’Urbain, en habit militaire du XVème siècle. Le donateur en fait son saint patron, faute de connaître un saint Urbain. Mais pourquoi Maurice ? C’est le saint invoqué pour tenir bon dans les épreuves. Légionnaire romain de Thèbes, en Egypte, il est transféré en Gaule avec sa légion, pour exterminer les chrétiens. Or, ces soldats sont chrétiens. Maurice et quelques compagnons refusent d’obéir. Ils sont exécutés à Augaune en Valais (289). On remarquera la similitude avec Marguerite : Urbain et son épouse proclament leur résistance aux agissements néfastes d’Antoine et de ses complices. Dans 5 ans, Maurice, saint patron de l’Anjou, apparaitra dans le retable ‘du Buisson’ dû à Nicolas Froment, aux Carmes, tout près de l’autel d’Urbain.
Sainte Anne, la Vierge et Jésus. C’est le sujet principal de l’œuvre. Sainte Anne, qui serait la mère de Marie, n’apparaît pas dans les Evangiles. Sa ferveur naît avec la Légende dorée, qui date du XIIIème siècle, et qui atteint son apogée au XVème siècle. L’auteur, Jacques de Voragine, présente la généalogie des descendants de sainte Anne, base qui est appelée La Sainte Parenté, pour ne pas empiéter sur La Sainte Famille.
Selon la tradition, Anne, épouse de Joachim, se désespère de ne pas avoir d’enfant. Cela dure 20 ans, quand, au cours d’une rencontre miraculeux à la porte de Jérusalem, elle apprend qu’elle va être mère d’une fille, Marie. Elle doit être encore assez jeune, car elle aura deux autres filles, toujours prénommées Marie, avec deux autres maris.
Toujours selon la tradition, une partie des reliques de sainte Anne aurait été amenée à Apt. La Provence est donc riche de Marie Madeleine, Marie Jacobé, Marie Salomé et Anne.
Jacques le Majeur, Simon et Jude sont des apôtres. Jacques n’est probablement pas Jacques le mineur, et Jean Baptiste n’est pas celui qui a baptisé Jésus.
La sainte parenté
Anne
1er mari 2ème mari 3ème mari
Joachim Cléophas Salomé
La Vierge Marie Marie Jacobé Marie Salomé
Jésus Jacques Jacques le Majeur
Joseph le Juste Jean Baptiste
Simon le Zélote
Jude
Les représentations d’Anne + la Vierge + Jésus se sont multipliées (citons Masaccio et Léonard). Le nom de Trinité a été interdit par l’Eglise, on comprend pourquoi. On a alors parlé de Trinité mariale ou bien d’Anne trinitaire.
Pour l’autel d’Urbain Aygosi, Anne trinitaire convient parfaitement, car il met en valeur celle que les donateurs veulent célébrer. Ils l’indiquent par une inscription : « Anne, la glorieuse mère de la Vierge Marie est vénérée dans la présente chapelle. Noble homme Urbain Aygosi a exposé ici le comble de l'amour. En la présente année du Seigneur 1470, la chapelle est achevée par la grâce de Dieu, le 28 janvier. »
La raison en est claire : Marguerite a attendu pour être mère, comme Anne, qui a ensuite engendré une merveille, fruit de son amour avec Joachim. La petite Aygosi est prénommée très logiquement Marie.
L’inscription du phylactère célèbre le donateur, dévot d’Anne trinitaire.
Les statues de la Vierge et de saint Jean, de part et d'autre de l'autel, aujourd’hui absentes, représentaient les Carmes, pour leur adoption du culte de la Vierge, et les Hospitaliers de Saint-Jean de Rhodes. L’autel célèbre donc la naissance de Marie Aygosi, mais aussi la prééminence des Carmes et des Hospitaliers, sous entendu au dépend des Prêcheurs.
Le donateur n’a pas hésité à se mettre en avant. Il se présente à la place d’honneur, à la droite de saint Anne, dans le costume de saint Maurice. Il fait inscrire « Noble homme Urbain Aygosi a exposé ici le comble de l'amour ». Il affiche par trois fois son blason, de part et d’autre de l’autel et à la clé du porche (le blason à droite est pour moitié le sien, pour moitié celui des Cassagnes). Il associe enfin le pélican au Christ, une façon de rappeler les sacrifices (donations) qu’il a engagés afin d’avoir un enfant.
La sculpture du tombeau d’urbain aygosi.
Dans les vieux documents, le sculpteur est désigné par le sobriquet de ‘l’Italien’, ce qui a orienté les historiens vers Francesco Laurana, venu de Naples avec son maître Pietro da Milano, pour exercer chez le roi René (Le Mans et Aix, 1461-66, nombreuses médailles).
Mais Laurana retourne à Naples et en Sicile en 1467, et ne se fixe en Provence qu’à partir de 1477, où il produit entre autres le Portement de Croix d’Avignon, le tombeau de Cossa à Tarascon, la chapelle de saint Lazare à la Major de Marseille. Il était donc absent au moment de la réalisation de l’autel.
Audinet Stephani a été identifié récemment par les restaurateurs. Originaire de Cambrai, il est actif en Provence de 1447 à 1476 et laisse des œuvres à Carpentras, Marseille, Saint-Maximin et Aix. Son style est vif, plus réaliste que poétique. C’est un honneur que d’avoir été confondu avec Laurana. Ils sont en effet assez proches.
Il existe au musée de Cluny, une autre œuvre d’Audinet Stephani. C’est une statuette d'orante représentant l’épouse de Raymond Puget, donatrice du "Saint-Pilon", sur la route de Saint-Maximin à la Sainte-Baume.
Ce Saint-Pilon était un petit monument, élevé à l’endroit où la tradition situe l’intervention de saint Maximin auprès de Marie Madeleine. Elle est relevée mourante par l’évêque, qui la conduit dans la grotte, où elle survit. Rappelons qu’Urbain s’appelait Maximin. Son sculpteur était tout trouvé.
← Photo de 1930.
Saint-Maximin.
Madame Puget en orante.
Œuvre d’Audinet Stephani.
Entre 1463 et 1467.
Exaltation de Marie Madeleine portée par quatre anges, jusqu’à la grotte de la Sainte-Baume. Elle regarde d’ailleurs dans la direction.
L’autel d’Urbain comporte plusieurs curiosités.
Le tabernacle, un peu chargé, contient la Croix, les instruments de la passion, le coq, saint Pierre, le soleil et la lune. Le Christ souffrant est debout dans un tombeau. Il ne s’agit pas d’une Résurrection, mais de la volonté de dire que Jésus est mort pour nous.
← L’autel d’Urbain Aygosi : Détail, Anne trinitaire.
La Vierge apparaît très petite par rapport à sainte Anne et à Jésus. Elle est tête et cou nus, cheveux flottant, et donc très libérée, pour l’époque.
L’Enfant tient le monde, dont il est le Sauveur, et le phylactère, dont il est le garant. Il est représenté « comme un homme en réduction » et habillé. Ce style moyenâgeux laisse place, à l’époque de Stephani, à un bébé grassouillet et nu, afin d’augmenter l’humanisation et la sensibilité.
Sainte Anne est très grande par rapport à la Vierge, peut-être parce qu’elle est le sujet principal du triptyque. Elle, par contre, est tête couverte. Sa main droite se pose délicatement sur l’épaule de Jésus. Le tout est donc tiré d’un seul bloc.
Les plis sont en haut relief. Les visages sont sereins et gracieux. Même excellence pour sainte Marguerite et saint Maurice. Le sculpteur a voulu que les têtes soient toutes à la même hauteur, sauf celle de sainte Anne, qui dépasse nettement. Elle est la seule, aussi, à regarder le spectateur.
Le Christ en Croix est imberbe, et donc non marié. Son nimbe dépasse la poutre horizontale, signe de supériorité de l’Esprit sur la fatalité. Ses mains sont cloutées au niveau de la pomme, comme il est habituel au Moyen Age. A sa droite, un soleil étincelant de 17 rayons, à sa gauche une lune au visage de femme voilée, forces rationnelles et sentimentales, énergiques et ténues, alliées dans la course du temps. Rien que de très classique dans tout cela.
Stephani apparaît ici comme un artiste sûr, habile et vigoureux, mais peu innovant. Il pouvait donner toute sa mesure dans le monstre, mais il ne parvient qu’à une tête pas assez laide, pas assez cruelle, pas assez décidée, une tête plus amusante que dangereuse.
Au siècle suivant, le nom d’Aygosi disparaît complètement. Ni Antoine ni Urbain n’ont pu perpétuer le nom auquel Bertrand tenait tant. De tout ce bruit, il nous reste cet autel et la tour du même nom : Aygosi n’a pas atteint la postérité par la descendance, mais par l’art.
La maison rue des Brouquiès (Chabrier), passa, avant 1550, à Durand de Pontevès, seigneur de Flassans, frère du chef de la Ligue contre les Protestants. Il se peut que ce soit la 4ème maison à gauche en partant de la rue Méjanes (2). L’avant dernière maison à droite a une particularité : En 1620, Peiresc et de Gautier y tracèrent une ligne : Le méridien 0, qui porte aujourd’hui le nom de méridien de Greenwich. Toujours aussi discret, Peiresc n’avait pas pris pour base sa propre maison, à 500 m plus à l’est, mais celle d’un ami.
1 Christian Maurel, Médiévales 19, automne 1990, p 34.
2 Roux-Alphéran, Les rues d’Aix, tome 1, Les Presses du Languedoc, 1985, p 114
← L’autel d’Urbain Aygosi.
Détail :
Marguerite issante du dragon.
Le monstre est dans la boue. Il tient la Bible ouverte dans sa gueule. Il est muni d’ailes de chauves-souris, ce qui accentue la diabolisation.
Stephani n’a jamais dû voir de crocodile, mais le réalisme n’a pas lieu d’être : Le signe de l’anormalité suffit, et rien n’est normal.
Marguerite a encore ses jambes dans le flanc de la bête. Sa cape se resserre à l’orifice.
Sa couronne de perles est illuminée par la pierre blanche. Sa chevelure est d’un bel effet plastique.
La marseillaise
Pour ou contre notre hymne national ?
Texte :
1. Allons enfants de la Patrie,
le jour de gloire est arrivé
contre nous de la tyrannie
L’étendard sanglant est levé. (Bis)
Entendez-vous dans les campagnes
Mugir ces féroces soldats
ils viennent jusque dans vos bras
Egorger vos fils et vos compagnes.
(REFRAIN)
Aux armes citoyens,
formez vos bataillons
Marchons ! Marchons !
Qu'un sang impur
Abreuve nos sillons !
2. Que veut cette horde d'esclaves,
de traitres, de rois conjurés ?
Pour qui ces ignobles entraves
ces fers dès longtemps préparés ? (Bis)
Français, pour nous, ah! Quel outrage
Quels transports il doit exciter ?
C'est nous qu'on ose méditer
de rendre à l'antique esclavage !
(REFRAIN)
3. Quoi! Ces cohortes étrangères
feraient la loi dans nos foyers!
Quoi! Ces phalanges mercenaires
terrasseraient nos fils guerriers! (Bis)
Grand dieu! Par des mains enchainées
nos fronts sous le joug se ploieraient
de vils despotes deviendraient
les maîtres des destinées!
(REFRAIN)
4. Tremblez, tyrans et vous perfides
l'opprobre de tous les partis,
tremblez! vos projets parricides
vont enfin recevoir leur prix! (Bis)
Tout est soldats pour vous combattre,
s'ils tombent, nos jeunes héros,
la France en produit de nouveaux,
contre vous tous prêts à se battre!
(REFRAIN)
5. Français, en guerriers magnanimes
portez ou retenez vos coups!
Epargnez ces tristes victimes,
à regret s'armant contre nous. (Bis)
Mais ces despotes sanguinaires,
Mais ces complices de Bouillé,
tous ces tigres qui, sans pitié,
déchirent le sein de leur mère!
(REFRAIN)
6. Nous entrerons dans la carrière
Quand nos ainés n'y seront plus,
nous y trouverons leur poussière
et la trace de leurs vertus (bis)
bien moins jaloux de leur cercueil,
nous aurons le sublime orgueil
de les venger ou de les suivre!
(REFRAIN)
7. Amour sacré de la Patrie,
conduis, soutiens nos bras vengeurs
liberté, liberté chérie
Combats avec tes défenseurs! (Bis)
Sous nos drapeaux, que la victoire
accoure à tes mâles accents
que tes ennemis expirants
voient ton triomphe et notre gloire!
(REFRAIN)
Depuis sa création, ce chant suscite la fierté chez les uns, la critique chez les autres.
Pour les premiers, peut-on modifier, ou pire, supprimer, un hymne au son duquel tant de cérémonies ont été marquées par son caractère officiel, synonyme de France ? L’article 2 de la Constitution de la Vième République statue : L'hymne national est La Marseillaise.
A son écoute, des millions de soldats, des millions de civils, se sont engagés dans un esprit de patriotisme et de solidarité nationale.
Pour les seconds, la sensibilité actuelle n’a plus rien de commun avec celle de 1792. Ses paroles violentes, méprisantes vis-à-vis des autres peuples, font aujourd’hui mauvaise figure comparées aux autres hymnes (Pays d’Europe, Grande Bretagne, Russie, USA, etc.). Nombre de penseurs et d’historiens ont fait des propositions pour modifier ou changer le texte.
Pour prendre position, il est selon moi indispensable de connaître au préalable les circonstances de la création de La Marseillaise, puis les péripéties de son adoption.
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Naissance d’un chant :
Fin juin 1791, le roi est arrêté à Varennes, alors qu’il allait rejoindre les Emigrés et l’armée autrichienne. L’Assemblée est si divisée qu’elle conserve le roi, en partie parce que l’empereur d’Autriche (Léopold II, frère de Marie-Antoinette), adresse des menaces.
La Constituante laisse place à la Législative. La nouvelle assemblée a une majorité girondine, dont les chefs sont résolument pour la guerre. Non pas pour modifier les frontières, ou pour endormir Paris, mais pour exporter les idées, pour libérer les peuples. Brissot déclare que la guerre sera une croisade universelle (31/12/1791).
Le parti de la guerre a deux oppositions internes. Les Feuillants défendent la monarchie et la noblesse. Les Révolutionnaires sociaux redoutent la défaite, la perte des avancées, l’occupation de la France (Marat, Robespierre).
Bien que l’armée soit totalement désorganisée, les Girondins foncent dans le conflit. Le 25 mars 1792, la France lance un ultimatum à François II pour qu’il disperse les Emigrés (Léopold est mort). Elle compte sur la fougue des patriotes, sur un élan quasi mystique.
Le 20 avril 1792, la France déclare la guerre à l’Autriche.
Le point névralgique est l’Alsace, avec Strasbourg. Le capitaine Rouget de Lisle y arrive le 25 avril. Il est porteur des idées girondines : Garder un roi constitutionnel, les ennemis étant la Cour, les Emigrés, les Réfractaires, et l’empereur. Le maire lui demande d’écrire un chant, qui répandrait l’enthousiasme pour la guerre. Rouget, qui a écrit des opéras, se lance dans une douzaine de strophes séparées par un refrain, et les intitule "Chant de guerre pour l'armée du Rhin". On ne sait pas qui a composé la musique. Certains avancent Giovanni Viotti en 1781. Les paroles galvanisent les esprits.
Depuis Paris, Barbaroux demande à chacune des villes de Marseille et de Montpellier « 500 hommes prêts à mourir ». Le 22 juin 1792, un délégué du Club des amis de la Constitution, le docteur Mireur, entonne pour la première fois à Marseille ce chant venu de Strasbourg on ne sait comment, et qu’il a entendu à Montpellier. Le chant est imprimé dès le lendemain. Le 2 juillet un tiré à part de ce chant est distribué aux volontaires marseillais qui l'entonnent pendant leur marche vers Paris, où ils arrivent le 31 juillet. Le chant est baptisé La Marseillaise, en l’honneur de ces Provençaux, qui s’illustrent à la journée du 10 août.
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Le chant traverse les âges :
L’Autriche attend son allié la Prusse, puis envoie le Manifeste de Brunswick (25 juillet). Elle attaque non pas par l’Alsace, mais par la Champagne, et remporte une série de victoires, avant de perdre à Valmy (20 septembre) et à Jemmapes (6 novembre).
A Paris, la République a été proclamée (22 septembre). Les Montagnards conduisent la guerre que les Girondins ont provoquée, mais qu’ils n’ont pas su mener. L’enthousiasme patriotique va aider les Soldats de l’an II, la Marseillaise étant un chant parmi d’autres, certains plus populaires, plus patriotes, moins agressifs : Ḉa ira ; Carmagnole, et surtout le Chant du départ, composé pour la fête du 14 juillet 1794.
Le 27 juillet 1794, Robespierre est guillotiné. Le pendule du pouvoir repart vers les hommes d’affaires, et la Marseillaise reprend le dessus. Elle est déclarée chant national le 14 juillet 1795, malgré le succès d’un chant écrit cette année-là en réaction contre la Terreur : Le Réveil du Peuple. Ainsi, les chants marquent les positions politiques :
1792 : La Marseillaise : Abattons la tyrannie extérieure (les Emigrés, leur complice François II). Sensibilité girondine, Brissot.
1794 : Le chant du départ : Abattons la tyrannie extérieure (les monarchies ennemies de la République). Sensibilité du Comité de Salut public, Robespierre.
1795 : Le réveil du peuple : Abattons la tyrannie intérieure (les extrémistes jacobins). Sensibilité de la Réaction thermidorienne, Barras.
En 1804, Bonaparte interdit La Marseillaise. Il préfère Veillons au salut de l'Empire, le Chant du départ, la Marche consulaire. L’ordre impérial étouffe la furie chaotique girondine.
La Restauration bannit bien sûr le chant anti-Emigrés. La révolution de 1830 ne l’interdit plus mais n’en fait pas la promotion. On l’assimile maintenant à la Terreur, à cause du mot « sang impur ». Même méfiance à la Révolution de 1848 : La Marseillaise est chantée sur les barricades. Elle devient l’hymne des insurrections, contre le pouvoir en place.
Le second Empire l’interdit, parce que républicain.
Une version devient l'hymne de la Commune de Paris (1871). La fragile IIIe République écarte cet hymne insurrectionnel subversif et commande en 1877 un chant patriotique pacifique (Vive la France, Gounod, Déroulède). Puis, mieux assise, elle cherche une date et un hymne (1879). La loi du 6 juillet 1880 précise que « La République adopte le 14 juillet comme jour de fête nationale annuelle ». Elle sous-entend deux années de référence : 1789, chute du symbole monarchique mais entaché de violences, et 1790, fête de la Fédération, pacifique, universaliste, « Le plus beau jour de l’histoire de France, et peut-être de toute l’histoire ». Sans déclarer La Marseillaise comme chant national officiel, on rappelle que le décret du 14 juillet 1795 est toujours en vigueur, ce qui revient à l’adopter. Une version à 6 couplets devient officielle en 1887. Voir le site de Romaric Gaudin.
En 1911, l'obligation de l'apprendre à l'école est décrétée (on prépare la guerre). Jaurès en rappelle la violence et critique le refrain sur le « sang impur ».
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Marseillaise est interdite dans la Zone occupée.
Une circulaire de septembre 1944 préconise d'en pratiquer le chant dans toutes les écoles.
Les Constitutions de 1946 et de 1958 conservent La Marseillaise comme hymne national.
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Analyse des paroles en 1792 :
De nombreuses variantes ont été proposées, qui allaient jusqu’à 15 couplets.
Le texte d’origine exprime la politique de 1792 : Halte aux tyrans de l’extérieur (les Emigrés), à l’étendard sanglant, qui vont vous envahir et tuer vos femmes et vos enfants. Les Girondins clament l’innocence et le droit à la légitime défense, ce qui n’est pas tout à fait la réalité, mais qui explique bien les paroles d’une propagande va-t’en guerre.
De 1792 à nos jours, ces paroles ont été sujettes à la critique. Le point le plus discuté est le « sang impur » du refrain. Voir le site de Romaric Gaudin.
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Dimitri Casali ou Frédéric Dufourg l’expliquent ainsi : Les aristocrates sont de sang bleu, noble et pur. Les révolutionnaires se désignent par opposition comme les « sangs impurs », prêts à donner leur vie pour sauver la France et la République. C’est à mon avis un contre-sens complet. Dès 1792, le sang des Nobles est devenu le sang impur pour ceux qui entravent la République de l’intérieur, et pour ceux qui ont émigré et pactisé contre la France.
« J’ai démontré la nécessité d’abattre quelques centaines de têtes criminelles pour conserver trois cent mille têtes innocentes, de verser quelques gouttes de sang impur pour éviter d’en verser de très-pur, c’est-à-dire d’écraser les principaux contre-révolutionnaires pour sauver la patrie. » — Jean-Paul Marat, Journal de la République française, le 7 novembre 1792. Ici, le sang impur est celui des coupables de l’intérieur.
« La dernière heure de leur mort va sonner. Quand leur sang impur sera versé, les aboyeurs de l'aristocratie rentreront dans leurs caves comme au 10 août. » — Jacques-René Hébert, Le Père Duchesne. Le sang impur est celui des coupables de l’intérieur.
En résumé : Faisons couler le sang impur. Les Girondins désignent le complot extérieur, les Jacobins pointent le complot intérieur. La Marseillaise est girondine, extérieure.
Qu'un sang impur Abreuve nos sillons !
Il ne s’agit pas ici des sillons de la charrue dans le terroir agricole, mais des sillons, traces et tranchées, aménagées par les soldats durant les campagnes. De Lisle est un militaire.
En résumé : Avançons en laissant un sang impur derrière nous, sur les champs de bataille.
Aux armes citoyens, formez vos bataillons, Marchons ! Marchons ! L’impératif Marchez s’imposait, pour prolonger les ‘vos’, ‘citoyens’ et ‘formez’. Mais il fallait une rime à sillon. Et puis un capitaine se doit d’avancer aussi …
Les mots violents sont nombreux (tyrannie, sanglant, mugir, féroces, égorger, armes, sang impur, abreuve) renforcées par l’impératif des verbes (Allons, formez, marchons, marchons).
Les couplets sont de 8 vers. Ici, ils sont irréguliers et tournent autour de l’octosyllabe.
Les rimes sont pauvres.
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Que veut l’ennemi ? Nous réduire à l’esclavage.
Les mots restent violents. Ils ne tournent plus autour d’actions sanguinaires mais autour de l’état de soumission (horde, esclaves, traitres, conjurés, ignobles, entraves, fers, esclavage).
Les vers sont plus réguliers autour de l’octosyllabe. Les rimes sont plus riches.
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Peut-on accepter d’abandonner nos destinées à de vils despotes ?
L’octosyllabe est régulier (sauf le dernier vers). Les rimes sont riches.
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Tremblez tyrans (empereur) et perfides (émigrés). Votre projet est parricide : Tuer le
pays qui vous a élevés (émigrés). Si un soldat citoyen tombe, un autre le remplace.
Vers réguliers aux rimes pauvres. Le ton est plus assuré.
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Après 4 strophes sans retenue, le chant pense aux mercenaires autrichiens, qui feront la guerre malgré eux. La République ne condamne que les complices de Bouillé.
Le marquis François-Claude-Amour de Bouillé, général fidèle à Louis XVI, réprime la mutinerie de Nancy (33 condamnés à mort, 41 aux galères, en 1790). Il aide à la fuite du roi. Ce sont ses préparatifs qui éveillent les soupçons (1791). Il se réfugie à Coblence, nid des Emigrés, et entre dans l’armée royaliste (1792). Le symbole du sang impur.
Vers réguliers aux rimes pauvres. ‘Mais’ a le sens de ‘sauf’, ‘excepté’.
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De loin la strophe la plus apaisée et la mieux construite.
On la surnomme « couplet des Enfants » car elle fait allusion au long terme. Elle n’est pas de Rouget de Lisle. On a avancé un curé en Normandie.
‘Carrière’ a le sens de route, voix tracée par les soldats, d’un champ de bataille à un autre.
En résumé, le chant est un appel à tuer les Emigrés, sans ménagement.
La forme approximative provient de l’improvisation d’une nuit.
Le vocabulaire belliqueux et la musique martiale entrainent un comportement de foule.
C’est ce qui fera sa réussite.
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Analyse des paroles en 2016 :
La Restauration de 1815 est le triomphe des Emigrés. Ils interdisent La Marseillaise.
La Révolution de 1830 est le triomphe sur les Emigrés. La Marseillaise est remise à l'honneur. Berlioz en élabore une orchestration. Les paroles sont encore interprétées comme un hymne contre les Bourbon et les ‘Nobles de l’étranger’.
En 1840, le 1er ministre Thiers relance le nationalisme. Il revendique la rive gauche du Rhin, la frontière naturelle des Alpes, etc. Il a choisi la sculpture de Rude pour l’Arc de Triomphe. Le poète allemand Becker adresse à Lamartine un chant tout aussi belliqueux sur le Rhin allemand. Lamartine répond par un long poème humaniste : La Marseillaise de la paix.
Le nationalisme est ressenti de l’extérieur comme l’agressivité de la France, la nostalgie de Napoléon. Lamartine répond par l’appel à la concorde. Son titre est révélateur : La Marseillaise de la paix, l’autre étant celle de la guerre, non plus girondine, mais nationale. Elle dépasse 1792 pour devenir l’identité d’un peuple. Le pacifisme international de Lamartine n’est pas suivi.
En février 1848, Louis-Philippe est renversé. Lamartine proclame la IIe République et propose le drapeau tricolore (au lieu du rouge). On ne parle pas de La Marseillaise ‘anti’, car on souhaite lancer du positif (ateliers nationaux, vote universel, abolition de l’esclavage, etc.).
La Commune adopte intelligemment La Marseillaise : L’ennemi est celui qui pactise avec la Prusse, avec les maîtres de forges, contre l’ouvrier.
En 1879-80, la IIIe République prend le pas sur la Droite. Elle adopte la Marseillaise puis le 14 Juillet (1789 et 1790). Ils deviennent le symbole de la Révolution libérale ‘première’, celle de 1789, de Mirabeau, de Condorcet, de la Bastille, de la Fédération. L’hymne national est lié à la Déclaration des Droits de l’Homme ! Jules Ferry lance une conquête coloniale qui n’est plus ‘de peuplement’ mais d’intérêt économique (Tunisie, Madagascar, Afrique, Tonkin). La Marseillaise préside à l’accès de la France au titre de Grande Puissance. On en retient Le jour de gloire est arrivé, alors qu’on se comporte comme des tyrans.
En 1903, Jean Jaurès publie une défense de l'Internationale. On lui oppose La Marseillaise. Réponse : « Je dis que la Marseillaise, la grande Marseillaise de 1792, est toute pleine des idées qu'on dénonce dans L'Internationale. Que signifie le fameux refrain du sang impur ? … Dès que les partis commencent à dire que le sang qui coule dans les veines de leurs adversaires est impur, ils se mettent à le répandre à flots et les révolutions deviennent des boucheries. De quel droit la Révolution flétrissait-elle de ce mot avilissant et barbare tous les peuples, tous les hommes qui combattaient contre elle ? La Révolution a prononcé ce mot parce qu'à ses yeux tous les hommes qui consentaient, sous le drapeau de leur roi et de leur pays, à lutter contre la liberté française, espoir de la liberté du monde, tous ces hommes cessaient d'être des hommes ; ils n'étaient plus que des esclaves et des brutes ».
— Jean Jaurès, La Petite République socialiste, 30 août 1903.
Pourtant, le 5ième couplet va dans le sens de Jaurès. Mais le mal est fait avec le refrain.
Le 14 juillet 1915, les cendres de Rouget de Lisle sont transférées de Choisy le Roi aux Invalides. La Marseillaise devient l’hymne des commémorations, de la fierté de ceux qui furent des Poilus. C’est un chant d’abnégation pour la patrie. Y toucher serait salir l’hommage à plus de 1 600 000 morts pour la France, à autant de blessés.
En septembre 1944, une circulaire du ministère de l'Education nationale préconise de faire chanter la Marseillaise dans les écoles, pour « célébrer notre libération et nos martyrs ». Le statut d'hymne national est confirmé dans les constitutions de 1946 et de 1958.
Aujourd’hui, l’hymne marque toujours les cérémonies, mais s’ajoute aux compétitions sportives où une équipe de France est engagée.
Les paroles sont en parfait décalage, la symbolique nationale est en parfait accord.
Changer les paroles ou changer d’hymne a 2 avantages :
① Supprimer une mauvaise image de la France à l’extérieur,
② Implanter un chant sur les valeurs universelles, si bien élaborées par la France.
Conserver intacts les paroles et l’hymne a un avantage et un pari politique :
① Conserver une continuité avec les Poilus, les Résistants, les utilisations officielles,
② Affirmer une identité nationale en pleine mondialisation, en pleine migration.
Personnellement, je ne pense pas que le Parlement ait le courage de changer une virgule.
Je suis donc pour la conservation pratique, mais sans goût pour le fond ni pour la forme.
18 février 2016
Brassens en soixante chansons
Michel Deleuil, octobre 2014
Chansons commentées
AUPRES DE MON ARBRE LE MECREANT
BALLADE DES DAMES DU TEMPS JADIS LA MARGUERITE
BECASSINE LA MARINE
LE BISTROT MARINETTE
LE BLASON MONTELIMAR
BONHOMME LA MAUVAISE HERBE
LE BOULEBARD DU TEMPS QUI PASSE LA MAUVAISE REPUTATION
LA CANE DE JEANNE MOURIR POUR DES IDEES
CHANSON POUR L’AUVERGNAT LE MOUTON DE PANURGE
CHANSONNETTE A CELLE QUI RESTE PUCELLE LE MOYENNAGEUX
LA CHASSE AUX PAPILLONS LA NON DEMANDE EN MARIAGE
COLOMBINE LES OISEAUX DE PASSAGE
LA COMPLAINTE DES FILLES DE JOIE ONCLE ARCHIBALD
DANS L’EAU DE LA CLAIRE FONTAINE L’ORAGE
LES DEUX ONCLES LE PARAPLUIE
EMBRASSE-LES TOUS LES PASSANTES
FERNANDE PENELOPE
GASTIBELZA LE PETIT CHEVAL
LE GORILLE LES PHILISTINS
LE GRAND PAN LE PLURIEL
LA GUERRE DE 14-18 LA PRIERE
HECATOMBE LES RICOCHETS
IL N’Y A PAS D’AMOUR HEUREUX LES SABOTS D’HELENE
J’AI RENDEZ-VOUS AVEC VOUS SATURNE
JE ME SUIS FAIT TOUT PETIT LE TESTAMENT
JE REJOINDRAI MA BELLE LA TONDUE
JE SUIS UN VOYOU VENUS CALLIPYGE
UNE JOLIE FLEUR LE VIEUX LEON
LA LEGENDE DE LA NONNE LE VIN
LES LILAS LE VINGT DEUX SEPTEMBRE
Chansons publiées
1 - La mauvaise réputation 1953
Le gorille
La chasse aux papillons
Le petit cheval
Le parapluie
La marine
Ballade des dames du temps jadis
La mauvaise réputation
Hécatombe
Le fossoyeur
Corne d'Aurochs
Il suffit de passer le pont
Comme hier
2 - Les amoureux des bancs publics 1954
La cane de Jeanne
Je suis un voyou
J'ai rendez-vous avec vous
Le mauvais sujet repenti
Il n'y a pas d'amour heureux
La mauvaise herbe
Les amoureux des bancs publics
Brave Margot
Pauvre Martin
Le vent
La première fille
P... de toi
3 - Chanson pour l'auvergnat 1955
La légende de la nonne
Colombine
Gastibelza, l'homme à la carabine
La prière
Le testament
Une jolie fleur
Chanson pour l'Auvergnat
Les sabots d'Hélène
Marinette
Auprès de mon arbre
Le nombril des femmes d'agent
Les croquants
4 - Je me suis fait tout petit 1957
Oncle Archibald
Les Philistins
Le vin
Je me suis fait tout petit
Les lilas
L'amandier
La marche nuptiale
Au bois de mon cœur
Grand-père
Celui qui a mal tourné
5 - Le pornographe 1958
Le vieux Léon
Bonhomme
La ronde des jurons
À l'ombre du cœur de ma mie
Le pornographe
Le Père Noël et la petite fille
La femme d'Hector
Les funérailles d'antan
Le cocu
Comme une sœur
6 - Le mécréant 1960
Pénélope
Le bistrot
Le mécréant
L'orage
Embrasse-les tous
La ballade des cimetières
L'enterrement de Verlaine
Germaine Tourangelle
À Mireille dite "Petit Verglas"
La traîtresse
Tonton Nestor
Le verger du Roi Louis
Le temps passé
La fille à cent sous
7 - Les trompettes de la renommée 1961
Dans l'eau de la claire fontaine
La guerre de 14-18
La marguerite
Je rejoindrai ma belle
La complainte des filles de joie
Les trompettes de la renommée
Jeanne
Si le Bon Dieu l'avait voulu
Les amours d'antan
Le temps ne fait rien à l'affaire
Marquise
L'assassinat
8 - Les copains d'abord 1964
Les deux oncles
Le Grand Pan
La tondue
Saturne
Le vingt-deux septembre
Vénus callipyge
Le mouton de Panurge
La route aux quatre chansons(28)
Les copains d'abord
Les Quat’z’arts
Le petit joueur de flûtiau
9 - Supplique pour être enterré à la plage de Sète 1966
Le moyenâgeux
La non-demande en mariage
Le pluriel
Supplique pour être enterré à la plage de Sète
Le fantôme
La fessée
Les quatre bacheliers
Le bulletin de santé
Le grand chêne
Concurrence déloyale
L'épave
10 - La religieuse 1969
Les oiseaux de passage
Bécassine
Misogynie à part
L'ancêtre
Rien à jeter
La religieuse
Pensées des morts
La rose, la bouteille et la poignée de main
Sale petit bonhomme
11 – Fernande 1972
Fernande
Le blason
Mourir pour des idées
Les passantes
Stances à un cambrioleur
La ballade des gens qui sont nés quelque part
La Princesse et le Croque-Notes
Sauf le respect que je vous dois
Quatre-vingt quinze fois pour cent
Le roi
À l'ombre des maris
12 - Don Juan 1976
Les ricochets
Le boulevard du temps qui passe
Montélimar
Trompe la Mort
Tempête dans un bénitier
Le modeste
Don Juan
Les casseuses
Cupidon s'en fout
Histoire de faussaire
La messe au pendu
Lèche-cocu
Les patriotes
Mélanie
1
Le Gorille
Paroles et musique de Georges Brassens (album 1953)
Ecrite en 1948, c’est la première chanson enregistrée par Brassens (1952). Elle s’appelle Gorille vendetta et a un couplet de plus. Devant la censure, le chanteur enlève vendetta et le dernier couplet. Il s’est expliqué : Ses chansons doivent communiquer un point de vue, une émotion. Pour exprimer ses pensées (ici sur la machine judiciaire, la peine de mort), il choisit une anecdote et lui donne la tournure des chansons de salle de garde, dont il raffole (La mauvaise réputation, Hécatombe, le nombril des femmes d’agents, Fernande, etc.).
André Sève, dans sa biographie «Brassens, toute une vie pour la chanson», rapporte la confidence de Georges : J'ai composé mes premières chansons comme ça, en me promenant dans les rues de Paris. Le Gorille, par exemple. En courant les filles, en allant à un rendez-vous, je fignolais ma strophe. Bien entendu, il peaufinait ensuite au bureau, crayon en main, pendant des journées entières. La même confidence nous révèle que ce n'est pas à la guitare que je recherchais mes mélodies, que je travaillais mes musiques, mais bien à l'orgue électronique.
Les 9 strophes (8 finalement) sont de 8 vers décasyllabes, plus un refrain devenu célèbre : Gare au gori-i-i-i-iii-lle.
Les rimes sont alternées ABABCDCD ; A et C féminines, B et D masculines.
Le narrateur se présente comme un garçon poli et docile : Que rigoureusement ma mère m'a défendu d' nommer ici, alors qu’il cultive l’anarchisme le plus libertaire. Il raconte le viol d’un magistrat par un gorille, en écorniflant au passage l’hypocrisie des femmes, des commères qui n'ont guère de suite dans les idées, ou qui, au contraire, se livrent à la sexualité la plus bestiale (Bien des femmes vous le diront !).
Un condamné à mort est vengé par un gorille, en une sorte de justice immanente imposée par la force brutale. Ce plaidoyer contre la peine de mort vise une justice incompétente et inhumaine. Le gorille, dépourvu de goût et d’esprit, exerce son instinct sur ce qu’il y a de pire : Un magistrat. Le manque de dignité du juge (Criait : "Maman !", pleurait beaucoup) dévalue le fier personnage donneur de leçons. Celui qui condamne sans vergogne devient pusillanime lorsqu’il est condamné, Comme l'homme auquel, le jour même, Il avait fait trancher le cou … Ces chats fourrés n'ont qu'à retirer la robe, ou mieux, changer de métier.
Brassens se régale de friandises. Il présente les femmes comme les femelles du canton, avance une explication pour la porte ouverte : On avait dû la fermer mal. Vous aviez deviné, j'espère : Il vise un public averti, non les indécrottables. Les chats fourrés, en langage argotique du XIXème siècle, sont les juges, magistrats, greffiers, portant le manteau d'hermine dans les cours d'appel.
Cette chanson est devenue, pour une partie du public, un hymne rassembleur. Georges lui-même a été assimilé au gorille, ce casseur de conventions et de fausse morale. Mais il n’était pas un chef de clan. Il tenait à cette chanson comme à une autre. Il a simplement constaté qu’elle avait bien marché.
La peine de mort a été abolie le 18 septembre 1981, Brassens est mort le 29 octobre 1981.
C’est à travers de larges grilles
Que les femelles du canton,
Contemplaient un puissant gorille,
Sans souci du qu'en-dira-t-on ;
Avec impudeur, ces commères
Lorgnaient même un endroit précis
Que rigoureusement ma mère
M'a défendu d' nommer ici...
Gare au gori-i-i-i-iii-lle.
Tout à coup, la prison bien close,
Où vivait le bel animal,
S'ouvre on n'sait pourquoi (je suppose
Qu'on avait dû la fermer mal) ;
Le singe, en sortant de sa cage
Dit: "C'est aujourd'hui que j'le perds !"
Il parlait de son pucelage,
Vous aviez deviné, j'espère !
Gare au gori-i-i-i-iii-lle.
L'patron de la ménagerie
Criait, éperdu : "Nom de nom !
C'est assommant car le gorille
N'a jamais connu de guenon !"
Dès que la féminine engeance
Sut que le singe était puceau,
Au lieu de profiter de la chance
Elle fit feu des deux fuseaux !
Gare au gori-i-i-i-iii-lle.
Celles-là mêmes qui, naguère,
Le couvaient d'un œil décidé,
Fuirent, prouvant qu'ell's n'avaient guère
De la suite dans les idées ;
D'autant plus vaine était leur crainte
Que le gorille est un luron
Supérieur à l'homme dans l'étreinte,
Bien des femmes vous le diront !
Gare au gori-i-i-i-iii-lle.
Tout le monde se précipite
Hors d'atteinte du singe en rut,
Sauf une vielle décrépite
Et un jeune juge en bois brut ;
Voyant que toutes se dérobent,
Le quadrumane accéléra
Son dandinement vers les robes
De la vieille et du magistrat !
Gare au gori-i-i-i-iii-lle.
"Bah ! soupirait la centenaire,
Qu'on puisse encor' me désirer,
Ce serait extraordinaire,
Et, pour tout dire, inespéré !"
Le juge pensait, impassible:
"Qu'on me prenn' pour une guenon,
C'est complètement impossible..."
La suite lui prouva que non !
Gare au gori-i-i-i-iii-lle.
Supposez qu'un de vous puisse être,
Comme le singe, obligé de
Violer un juge ou une ancêtre,
Lequel choisirait-il des deux ?
Qu'une alternative pareille,
Un de ces quatre jours, m'échoie,
C'est, j'en suis convaincu, la vieille
Qui sera l'objet de mon choix !
Gare au gori-i-i-i-iii-lle.
Mais, par malheur, si le gorille
Aux jeux de l'amour vaut son prix,
On sait qu'en revanche il ne brille
Ni par le goût, ni par l'esprit.
Lors, au lieu d'opter pour la vieille,
Comme aurait fait n'importe qui,
Il saisit le juge à l'oreille
Et l'entraîna dans un maquis !
Gare au gori-i-i-i-iii-lle.
La suite serait délectable,
Malheureusement, je ne peux
Pas la dire, et c'est regrettable,
Ça nous aurait fait rire un peu ;
Car le juge, au moment suprême,
Criait : "Maman !", pleurait beaucoup,
Comme l'homme auquel, le jour même,
Il avait fait trancher le cou.
Gare au gori-i-i-i-iii-lle.
Nous terminerons cette histoire (strophe supprimée)
Par un conseil aux chats-fourrés
Redoutant l'attaque notoire
Qu'un d'eux subit dans des fourrés :
Quand un singe fauteur d'opprob'e
Hante les rues de leur quartier
Ils n'ont qu'à retirer la robe
Ou mieux à changer de métier.
Gare au gori-i-i-i-iii-lle.
2
La chasse aux papillons
Paroles et musique de Georges Brassens (album 1953)
L’un des thèmes de Brassens est la chanson gaie, heureuse, éclatante de jeunesse, sentant l’amourette ou l’occasion. Ce même album 1953 contient Le parapluie, Il suffit de passer le pont, Comme hier). Le suivant offre Les amoureux des bancs publics, J’ai rendez-vous avec vous. On pourrait en citer dix autres, dont la très accomplie Dans l’eau de la claire fontaine.
L’auteur nous place dans le contexte féerique de la jeunesse, en nommant Un bon petit diable (comtesse de Ségur) puis Cendrillon (Charles Perrault). La quenouille de Cendrillon, sa cage, sa robe neuve, ses bottillons, renvoient directement à La belle au bois dormant (Charles Perrault). Mais ici, nul besoin de prince ou de carrosse. Le bocage, le beau temps et les cœurs villageois des chasseurs de papillons suffisent à notre bonheur.
Quatre strophes de 8 vers décasyllabes, dont toutes les rimes sont en age (A) ou en on (B), la plupart de ces on étant mouillés comme dans papillon. L’alternance ABABABAB d’un son doux et d’un son dur amplifie le pas, le duo, le rythme d’une musique particulièrement originale, alerte comme une farandole, qui suit non seulement les amoureux qui vont bras d'ssus bras d'ssous, mais aussi l’imaginaire de leur enthousiasme (des millions, des milliards).
Brassens tourne le dos à la chanson à message. A travers le jeu poétique d’une aventure quasiment partagée par tous, sa philosophie perce : La jeunesse est celle des chasseurs de papillons, courant de-ci-de-la vers la beauté et l’éphémère (de mémoire de papillon). Carpe diem, profitez, la jeunesse est le meilleur de la vie. Un jour, les nuages porteurs de chagrins ne nous épargnent plus.
Un repousseur de nuages est cité : tant qu'ils s'aim'ront … Pas au sens de la fidélité, mais bien au sens de la pulsion. Ne freinez pas vos forces vives, le temps se charge assez de les raboter. Seule limite : Ne pas nuire à autrui.
Un bon petit diable à la fleur de l'âge,
La jambe légère et l'œil polisson,
Et la bouche plein' de joyeux ramages,
Allait à la chasse aux papillons.
Comme il atteignait l'orée du village,
Filant sa quenouille, il vit Cendrillon,
Il lui dit : « Bonjour, que Dieu te ménage,
J' t'emmène à la chasse aux papillons.»
Cendrillon, ravie de quitter sa cage,
Met sa robe neuve et ses bottillons ;
Et bras d'ssus bras d'ssous vers les frais bocages
Ils vont à la chasse aux papillons.
Ils ne savaient pas que sous les ombrages,
Se cachait l'amour et son aiguillon,
Et qu'il transperçait les cœurs de leur âge,
Les cœurs des chasseurs de papillons.
Quand il se fit tendre, ell' lui dit : « J' présage
Qu' c'est pas dans les plis de mon cotillon,
Ni dans l'échancrure de mon corsage,
Qu'on va-t-à la chasse aux papillons. »
Sur sa bouche en feu qui criait : « Sois sage ! »
Il posa sa bouche en guis' de bâillon,
Et c' fut l' plus charmant des remue-ménage
Qu'on ait vus d' mémoire de papillon.
Un volcan dans l'âme, i' r'vinr'nt au village,
En se promettant d'aller des millions,
Des milliards de fois, et mêm' davantage,
Ensemble à la chasse aux papillons.
Mais tant qu'ils s'aim'ront, tant que les nuages
Porteurs de chagrins les épargneront,
I' f'ra bon voler dans les frais bocages,
I' f'ront pas la chasse aux papillons...
3
La complainte du petit cheval blanc.
Poème de Paul Fort, années 1920 (album 1953)
Brassens a bien connu Paul Fort. Il admirait ses mots simples et populaires, souvent avec refrain, ce qui conférait à la comptine enfantine. Il a mis en musique au moins six de ses poèmes : La Complainte du Petit cheval blanc, La Marine, Comme hier, Si le bon Dieu l'avait voulu, Germaine Tourangelle, La Corde. Le Petit cheval est chanté dès 1953.
Poète inégal, Fort écrivait aussi des ballades prêtant le flanc à la critique (d’Apollinaire par exemple), tant les idées étaient saugrenues et les mots trop communs. Brassens n’a choisi que des réussites. Il n’a cependant jamais chanté La Corde, un peu inférieure.
Les 6 strophes de la complainte sont bâties de façon identique : Six vers octosyllabes de rimes ABACAA. A = an (masculin) B = age C = ière (derrière)
On peut appeler refrain ces quatre derniers vers. Le mot derrière est répété 3 fois dans ces 4 refrains, ajoutant un effet de rime interne et de rythme, ce que le musicien Brassens a bien su exploiter.
Le poème expose une dualité, qu’on peut résumer en Noir (la pluie) et Blanc (le cheval) ;
les gens # et lui derrière # devant jamais # toujours pauvre # content
Il en ressort la dualité de base, qui est dramatique : Sage jeunesse # mort aveugle.
Paul Fort, né en 1872, a été mobilisé en 14, certes dans les auxiliaires, car âgé, mais parfait témoin de cette jeunesse, qui a été sacrifiée en pleins champs, dans la pluie noire des tranchées. Les gens et les gars sont derrière, et la jeunesse devant.
La musique est un chef d’œuvre. On peut, si l’on veut, y déceler le rythme du cheval au trot. Et surtout, remarquer les belles rythmiques a-a-ge et iè-è-re, la note appuyée sur tous, et, cerise sur le gâteau, la chute après un silence, qui détache et achève : Devant. On ne pouvait pas mieux servir le texte : Musique allègre, amusante, se terminant par l’immense ni derriè-è-re, il est mort sans voir le printemps ni derriè-è-re ni … devant d’un final symphonique.
Le p’tit cheval dans le mauvais temps
Qu´il avait donc du courage!
C´était un petit cheval blanc
Tous derrière, tous derrière!
C´était un petit cheval blanc
Tous derrière et lui devant
Il n´y avait jamais de beau temps
Dans ce pauvre paysage
Il n´y avait jamais de printemps
Ni derrière, ni derrière!
Il n´y avait jamais de printemps
Ni derrière ni devant
Mais toujours il était content
Menant les gars du village
A travers la pluie noire des champs
Tous derrière, tous derrière!
A travers la pluie noire des champs
Tous derrière et lui devant
Sa voiture allait poursuivant
Sa belle petite queue sauvage
C´est alors qu´il était content
Eux derrière, eux derrière!
C´est alors qu´il était content
Eux derrière et lui devant
Mais un jour, dans le mauvais temps
Un jour qu´il était si sage
Il est mort par un éclair blanc
Tous derrière, tous derrière!
Il est mort par un éclair blanc
Tous derrière et lui devant
Il est mort sans voir le beau temps
Qu´il avait donc du courage!
Il est mort sans voir le printemps
Ni derrière, ni derrière!
Il est mort sans voir le printemps
Ni derrière ni devant
4
Le parapluie
Paroles et musique de Georges Brassens (album 1953)
Une des chansons les plus imprégnées du style Brassens. Une chanson enchantement.
Le poème raconte une histoire on ne peut plus simple, journalière, avec des mots du langage courant, comme frimousse, Pardi !, en seulement trois strophes et un refrain.
Et voilà que nous vivons une aventure, avec progression et chute, voilà que l’émotion nous gagne sous ce coin d' parapluie, que s’éveille l’écho d’un conte de fée, mais aussi le rappel de tous ces moments exaltés de la vie qui nous fuient entre les doigts, et qui n’ont pour avenir que l’oubli. Un drame, touchant par sa beauté et sa vérité immédiates.
Trois strophes de 8 vers octosyllabes, séparées par un refrain. Elles sont de rimes ABABCBCB, alternance commode pour la mémorisation. Le refrain est long de 7 vers, de longueur irrégulière, de rimes BBDBBDB.
La musique, particulièrement bien rythmée, souligne les mots importants (comme le oui de la demoiselle, les quarante nuits, l’oubli). Elle traverse allègrement tout ce tricotage de pieds et de rimes, pour nous offrir fraîcheur et sourire, en rigolant pour faire semblant de ne pas pleurer (Le vieux Léon, qui sortira bientôt).
volé sans doute : emprunté. Les 2 pieds de volé donnent plus de rythme. Par ailleurs, Brassens ne considère pas qu’il y ait vol quand on emprunte par nécessité une broutille.
Un p'tit coin d' parapluie : C’est ce qu’il offre. Ce faisant, vu le péché de tentation, il perd un p'tit coin d' paradis, allègrement d’ailleurs, car il ne faut pas se castrer avec des calculs pareils. Ne s’ennuie-t-on pas, au paradis, avec ces gens sans péché ?
Que l'eau du ciel faisait entendre : Faisait tan tan dre, beau rythme du martellement. Cette eau du ciel est de l’eau bénite, mécréance assurée.
Quarante jours (et surtout) quarante nuits : L’épisode de l’arche de Noé est tourné en malice, quarante nuits devenant plus important que quarante jours.
Mais bêtement, même en orage : Cette strophe surréaliste est puissamment créatrice. La vie suit des obligations logiques, que la folie amoureuse voudrait ignorer. Même pendant un pur fantasme, les routes vont bêtement vers des pays, des lieux précis, justifiés. Polie, la vie se plie aux obligations (il a fallu), et dit grand merci, noyant le coup de foudre sous une pluie banale. Il n’y avait plus qu’à tourner la page, verser aux pertes et profits de l’oubli.
Il pleuvait fort sur la grand-route,
Ell' cheminait sans parapluie,
J'en avais un, volé sans doute
Le matin même à un ami.
Courant alors à sa rescousse,
Je lui propose un peu d'abri ;
En séchant l'eau de sa frimousse,
D'un air très doux ell' m'a dit oui.
Refrain Un p'tit coin d' parapluie,
Contre un coin d' paradis.
Elle avait quelque chos' d'un ange,
Un p'tit coin d' paradis,
Contre un coin d' parapluie.
Je n' perdais pas au change,
Pardi !
Chemin faisant, que ce fut tendre
D'ouïr à deux le chant joli
Que l'eau du ciel faisait entendre
Sur le toit de mon parapluie.
J'aurais voulu comme au déluge,
Voir sans arrêt tomber la pluie,
Pour la garder sous mon refuge,
Quarante jours, quarante nuits.
Refrain
Mais bêtement, même en orage,
Les routes vont vers des pays ;
Bientôt le sien fit un barrage
A l'horizon de ma folie.
Il a fallu qu'elle me quitte,
Après m'avoir dit grand merci,
Et je l'ai vue toute petite
Partir gaiement vers mon oubli.
Refrain
5
La marine.
Poème de Paul Fort, années 1920 (album 1953)
Brassens chante 10 strophes d’un poème de Paul Fort, L'amour marin, qui en compte 27.
Ce sont des quatrains de vers heptasyllabes de rimes ABAB. Brassens en profite pour couper à l’hémistiche, mettre en valeur un trois temps, un air de valse populaire, qui sert très bien le thème, le 4ème vers s’accélérant avant un silence (changement de pas du danseur).
Paul Fort s’est consacré à la poésie des gens simples, à leur joie immédiate :
On n'est pas là pour causer
Mais on pense, même dans l'amour
Le tragique du temps ne leur échappe pas. Les petits ont tout, comme les grands, mais en raccourci, à petite échelle, voila tout. Leur valse musette est le ballet viennois du pauvre.
Des amours qui durent toujours : Modestement, le marin croit que les nantis ont des amours éternels. Paul Fort nous laisse entendre que l’amour marin est tout aussi respectable.
Vite ! Un bec, Pour nos baisers, l'corps avec : Vite, se bécoter, puis le corps suit.
Sur les neunœils, les nénés : Mots du langage amoureux, pour désigner des petits chéris.
D'amour tendre et de goudron : Fort est très précis : Odeur des corps et des vêtements, les bateaux étant étanchés au goudron. La confidence semble autobiographique.
On s'accoste. Mais on devine Qu'ça n'sera pas le paradis : On s’accouple, belle image de l’amarrage du bateau. Mais ce plaisir est fugitif. Le paradis, ce n’est pas pour nous …
On les r'trouve en raccourci
Dans nos p'tits amours d'un jour
Toutes les joies, tous les soucis
Des amours qui durent toujours
C'est là l'sort de la marine
Et de toutes nos p'tites chéries
On accoste. Vite ! Un bec
Pour nos baisers, l'corps avec
Et les joies et les bouderies
Les fâcheries, les bons retours
Il y a tout, en raccourci
Des grandes amours dans nos p'tits
On a ri, on s'est baisés
Sur les neunœils, les nénés
Dans les ch'veux à plein bécots
Pondus comme des œufs tout chauds
Tout c'qu'on fait dans un seul jour!
Et comme on allonge le temps!
Plus d'trois fois, dans un seul jour
Content, pas content, content
Y a dans la chambre une odeur
D'amour tendre et de goudron
Ça vous met la joie au cœur
La peine aussi, et c'est bon
On n'est pas là pour causer
Mais on pense, même dans l'amour
On pense que d'main il fera jour
Et qu'c'est une calamité
C'est là l'sort de la marine
Et de toutes nos p'tites chéries
On s'accoste. Mais on devine
Qu'ça n'sera pas le paradis
On aura beau s'dépêcher
Faire, bon Dieu ! La pige au temps
Et l'bourrer de tous nos péchés
Ça n'sera pas ça ; et pourtant
Toutes les joies, tous les soucis
Des amours qui durent toujours !
On les r'trouve en raccourci
Dans nos p'tits amours d'un jour...
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Ballade des Dames du temps jadis
Poème de François Villon, vers 1456, (album 1953)
Villon a adopté la forme petite ballade. Tous les vers doivent être des octosyllabes. Vingt quatre vers doivent être exposés en trois huitains, dont le 8ème ver est toujours le même, dit pour cela refrain (Mais où sont les neiges d’antan ?).
Les trois rimes doivent être disposées ABABBCBC dans les trois huitains.
Un quatrain d'octosyllabes, l’envoi, doit être disposé BCBC, comme la fin des huitains. Cet envoi débute par l'apostrophe au dédicataire du poème. Ici, comme souvent, il s’agit d’un Prince. Il pourrait désigner Pierre II de Bretagne, Villon s’étant réfugié dans ce duché.
Est Flora la belle Romaine : Très ancienne déesse du peuple romain, qui préside aux fleurs du printemps. Elle passe pour une courtisane d’une beauté suprême, ce que Villon apprécie. La ville de Florence était consacrée à Flore, de même que la fête des Floralies.
Archipiades : Certains ont cru reconnaître Alcibiade, qui était un homme (!). Il s’agit d’Archippa, la maîtresse de Sophocle.
Thaïs : Courtisane célèbre, qui fascine Athanaël. Mais elle lui résiste en s'enfermant dans un couvent jusqu'à sa mort prochaine, dans la contemplation.
Ou est la très sage Helloïs : La jeune Héloïse cède au moine philosophe Pierre Abélard et a de lui un enfant. Pour ne pas augmenter au scandale, elle se retire dans un couvent. Son oncle fait châtrer Abelard. Ce dernier prêche pour une foi basée sur la raison. Il est vaincu par saint Bernard, qui prêche la foi immédiate, sans question. (essoyne : épreuve).
La royne Blanche comme lis : Blanche de Castille, épouse de Louis VIII, mère de saint Louis et de Charles 1er d’Anjou. C’est à son époque que les rois de France adoptent le lys comme emblème. Villon joue sur blanche (pure, innocente) et belle, majestueuse (comme le lys).
Berte au grand pié : Bertrade de Laon, plus connue sous le nom de Berthe au grand pied est l’épouse de Pépin le Bref et la mère de Charlemagne. Elle fait partie des reines Pédauque, c’est-à-dire avec un pied d’oie, comme la reine de Saba, sainte Énimie etc. La lèpre conduisait souvent à la déformation d’un pied, que l’on cachait dans un pied-bot.
Beatris : La Béatrice de Dante. Amour divin et virtuel du poète pour son inspiratrice.
Alis : Plusieurs saintes apparaissent sous le nom d’Adélaïde, Alix ou Alice. La plus ancienne est Adélaïde de Bourgogne, dite aussi du Saint Empire.
Haremburgis : Aremburge du Maine, morte en 1126, fut comtesse du Maine et amena ce comté à l’Anjou en épousant Foulque V le Bel. Sa fille est la reine Mathilde († 1154), à qui l’on doit la tapisserie de Bayeux. Son fils est Geoffroy V Plantagenêt († 1151), comte d'Anjou, de Tours, du Maine et duc de Normandie.
Et Jehanne la bonne Lorraine, qui est, bien sûr, Jeanne d’Arc. Bonne a le sens de courageuse. Villon a écrit sa ballade un an après la réhabilitation de Jeanne par le pape. Dans ce procès, l’Eglise a oublié son rôle et a tout mis sur le dos des Anglais Qu’Englois brulèrent a Rouan.
Dictes moy ou, n’en quel pays,
Est Flora la belle Rommaine,
Archipiades ne Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine,
Echo parlant quant bruyt on maine
Dessus riviere ou sus estan,
Qui beaulté ot trop plus q’humaine.
Mais ou sont les neiges d’antan ?
Ou est la tres sage Helloïs,
Pour qui chastré fut et puis moyne (prononcé moène)
Pierre Esbaillart a Saint Denis?
Pour son amour ot ceste essoyne. (prononcé essoène)
Semblablement, ou est la royne (prononcé roène)
Qui commanda que Buridan
Fust geté en ung sac en Saine?
Mais ou sont les neiges d’antan ?
La royne Blanche comme lis
Qui chantoit a voix de seraine,
Berte au grand pié, Beatris, Alis,
Haremburgis qui tint le Maine,
Et Jehanne la bonne Lorraine
Qu’Englois brulèrent a Rouan;
Ou sont ilz, ou, Vierge Souvraine?
Mais ou sont les neiges d’antan ?
Prince, n’enquerez de sepmaine
Ou elles sont, ne de cest an,
Qu’a ce reffrain ne vous remaine:
Mais ou sont les neiges d’antan ?
L’envoi signifie : Prince, inutile de vous posez la question pendant toute une semaine ou toute une année, même si ce refrain vous y invite. Les neiges d’antan ne sont plus.
La connaissance par Villon de toutes ces dames, s’explique-t-elle par les cours suivis à la Sorbonne ? La symbolisation par la neige, blanche, pure, mais qui a fondu, est superbe.
7
La mauvaise réputation
Paroles et musique de Georges Brassens (album 1953)
Autobiographie. Voilà ce que je suis, voilà pour qui, vous, braves gens, me prenez. Un affrontement du ‘je’ singulier et des ‘gens’ pluriel, selon une progression marquée : Médisance, dénonciation, arrestation, pendaison.
Première strophe : La parole. Je suis mon petit bonhomme de chemin (avec déplacement de chemin), chemin # route. Tous médisent, sauf ceux qui ne le peuvent pas, les muets.
Deuxième strophe : La main. Je n’écoute pas le clairon qui sonne, tout le monde me montre au doigt, sauf les manchots. C’est une unanimité.
Troisième strophe : La jambe. Je fais une gambette à un cul terreux, tous se ruent sur moi. Ne manquent que les culs-de-jatte. Ces culs terreux sont avares et méfiants comme des paysans.
Quatrième strophe : l’œil. Je ne fais pas allégeance aux chemins qui mènent à Rome. On me pendra, et tout le monde viendra au spectacle, sauf les aveugles. Brassens tire-t-il un fantasme de la pendaison, après avoir lu Villon ? Il en parlera souvent (Je me suis fait tout petit, La messe au pendu, Le verger du roi Louis, Le moyenâgeux).
En propos inversés, Brassens critique les braves gens, qui n’aiment pas les indépendants, qui entretiennent les commémorations, condamnent les petits larcins (tout en pratiquant les gros), et qui tombent dans une violence de foule. Braves gens = Pauvres types.
Musique sinon flamenco, du moins poivrée à l’occitane et à la fête à la vachette.
Les strophes sont de 12 vers, tous de 8 pieds, de rimes AABBCCDD etc.
Au village, sans prétention,
J´ai mauvaise réputation.
Qu´je m´démène ou qu´je reste coi
Je pass´ pour un je-ne-sais-quoi !
Je ne fais pourtant de tort à personne
En suivant mon ch'min de petit bonhomme.
Mais les brav´s gens n´aiment pas que
L´on suive une autre route qu´eux,
Non les brav´s gens n´aiment pas que
L´on suive une autre route qu´eux,
Tout le monde médit de moi,
Sauf les muets, ça va de soi.
Le jour du Quatorze Juillet
Je reste dans mon lit douillet.
La musique qui marche au pas,
Cela ne me regarde pas.
Je ne fais pourtant de tort à personne,
En n´écoutant pas le clairon qui sonne.
Mais les brav´s gens n´aiment pas que
L´on suive une autre route qu´eux,
Non les brav´s gens n´aiment pas que
L´on suive une autre route qu´eux,
Tout le monde me montre au doigt
Sauf les manchots, ça va de soi.
Quand j´croise un voleur malchanceux,
Poursuivi par un cul-terreux,
J´lance la patte et pourquoi le taire,
Le cul-terreux s´retrouv´ par terre.
Je ne fais pourtant de tort à personne,
En laissant courir les voleurs de pommes.
Mais les brav´s gens n´aiment pas que
L´on suive une autre route qu´eux,
Non les brav´s gens n´aiment pas que
L´on suive une autre route qu´eux,
Tout le monde se rue sur moi,
Sauf les cul-de-jatte, ça va de soi.
Pas besoin d´être Jérémie,
Pour d´viner l´sort qui m´est promis,
S´ils trouv´nt une corde à leur goût,
Ils me la passeront au cou,
Je ne fais pourtant de tort à personne,
En suivant les ch´mins qui n´mènent pas à Rome,
Mais les brav´s gens n´aiment pas que
L´on suive une autre route qu´eux,
Non les brav´s gens n´aiment pas que
L´on suive une autre route qu´eux,
Tout l´mond´ viendra me voir pendu,
Sauf les aveugles, bien entendu.
8
Hécatombe
Paroles et musique de Georges Brassens (album 1953)
A 32 ans, Brassens casse du gendarme. Il crie Mort aux lois, vive l'anarchie.
Plus tard, il adoucira son propos. En attendant, il s’amuse à outrance, à l’épique.
Les jeux de mots, les images, la musique, tout est époustouflant.
Cinq strophes de 8 vers, tous octosyllabiques de rimes ABABCDCD, A et C féminines, B et D masculines. La sixième strophe s’allonge de la répétition des deux derniers vers.
Situer l’action à Brive a deux avantages : Cette ville possède un marché, dont l’une des spécialités est l’ognon ; Elle est surnommée ‘La gaillarde’ depuis 1341, parce qu’entourée de forts remparts, cette gaillarde permettant de qualifier les vendeuses du même nom.
Se crêpaient un jour le chignon : S’attrapaient par les cheveux pour un litige sur des ognons.
tenter l'aventure : Tâtonnement des préposés : Ils arrivent par divers moyens, s’aventurent pas à pas, mal inspirés, ne sachant pas où ils mettent les pieds.
Un spectacle assez croquignol : On est aux loges. La scène est charmante, ‘croquante’ comme un biscuit.
Se ruèrent sur les guignols : Belle image. Guignol est un personnage de marionnettes, poursuivi toujours par le gendarme. Du coup, celui-ci est une marionnette, un guignol.
Et lui fait crier: Mort aux vaches : Brassens dépasse l’anecdotique. Il a horreur de l’ordre, des sentiers tracés, et donc, encore plus, de ceux qui maintiennent l’ordre, les vaches.
Ils tombent, tombent, tombent, tombent : Le verbe est 3 fois dissyllabique, une dernière fois mono, donnant, avec la musique, un effet de dominos. On pense au cinéma muet.
Par bonheur ils n'en avaient pas : Triple signification, bien dans l’art de Brassens. On part d’une expression banale (En retournant à leurs oignons), qui s’enrichit par le contexte. Ces vendeuses d’ognons retournent à leur étalage. Elles retournent s’occuper de ce qui les regarde. Elles se retournent contre les gendarmes, voulant les émasculer. La nature leur évite un méfait : Les gendarmes n’en ont pas. Ni cœur, ni couilles, … des guignols, quoi.
En cette année 1953, en ne retenant que les grands succès, Annie Cordy chante ‘Bonbons caramels’, Maria Candido ‘Je te le le’, Line Renaud ‘Le chien dans la vitrine’ et Tino Rossi ‘Tango bleu’. Yves Montand sort du distractif avec ‘Quand un soldat’, et Brassens fait péter la baraque avec Hécatombe. Beaucoup n’ont pas apprécié.
Au marché de Briv'-la-Gaillarde
A propos de bottes d'oignons,
Quelques douzaines de gaillardes
Se crêpaient un jour le chignon.
A pied, à cheval, en voiture,
Des gendarmes mal inspirés
Vinrent pour tenter l'aventure
D'interrompre l'échauffourée.
Or, sous tous les cieux sans vergogne,
C'est un usag' bien établi,
Dès qu'il s'agit d' rosser les cognes
Tout le mond' se réconcilie.
Ces furies perdant tout' mesure
Se ruèrent sur les guignols,
Et donnèrent je vobanale : us l'assure
Un spectacle assez croquignol.
En voyant ces braves pandores
Etre à deux doigts de succomber,
Moi, j' bichais car je les adore
Sous la forme de macchabées
De la mansarde où je réside
J'excitais les farouches bras
Des mégères gendarmicides
En criant: "Hip, hip, hip, hourra!"
Frénétiqu' l'une d'elles attache
Le vieux maréchal des logis
Et lui fait crier: "Mort aux vaches,
Mort aux lois, vive l'anarchie!"
Une autre fourre avec rudesse
Le crâne d'un de ces lourdauds
Entre ses gigantesques fesses
Qu'elle serre comme un étau.
La plus grasse de ces femelles
Ouvrant son corsag' dilaté
Matraque à grands coups de mamelles
Tous ceux qui pass'nt à sa portée.
Ils tombent, tombent, tombent, tombent,
Et s'lon les avis compétents
Il paraît que cette hécatombe
Fut la plus bell' de tous les temps.
Jugeant enfin que leurs victimes
Avaient eu leur content de gnons,
Ces furies comme outrage ultime
En retournant à leurs oignons,
Ces furies, à peine si j'ose
Le dire tellement c'est bas,
Leur auraient mêm' coupé les choses
Par bonheur ils n'en avaient pas.
Leur auraient mêm' coupé les choses
Par bonheur ils n'en avaient pas.
9
La cane de Jeanne
Paroles et musique de Georges Brassens (album 1954)
Le premier mérite de cette chanson est d’être dédiée à Jeanne, que dis-je, à la cane, tant elle se consacrait à ses animaux. Marcel et Jeanne Planche ont accepté d'héberger Brassens, traqué par la Gestapo. La maison, plus que modeste, frise le taudis, sans gaz, sans électricité, sans tout-à-l’égout, 9, impasse Florimont, près de la rue d’Alésia. Georges n’a donc pas de radio ni d’eau chaude. La Libération venue, le succès apparu, l’amour de sa vie établi, n’y changeront rien : Il y restera vingt-deux ans (mettant l’eau et l’électricité).
Le deuxième mérite éclate dans l’inventivité des pieds et des rimes. La cane avait sa démarche à elle. Elle se dandinait. Brassens détache chaque syllabe, dé-régularise les pieds, joue sur les rimes féminines, et parvient à une pure musique, notes de mots.
Les vers sont de 3 ; 3 ; 6 ; 7 ; 3 ; 2 syllabes, car Brassens chante La-ca-ne de-Ja-ne … la vei-ye, mervei-ye. Cette prononciation des rimes féminines imite la pose au sol de la patte. Si F et M sont les rimes féminines et masculines, la position est FFMFFM. L’effet est donc montant jusqu’au 7 féminin, puis chutant en un dissyllabes masculin, comme un flop.
Créer une chanson est un jeu. Un jeu noble.
au gui l'an neuf : Le gui était sacré pour les druides. Au Moyen Age, on l’accrochait à une poutre, et l’on s’embrassait dessous pour le nouvel An. Que l’an nouveau soit prospère, sous le signe du gui. Brassens connaît cette expression du Nord par la littérature.
Morbleu ! : Brassens aime tant les jurons qu’il leur consacrera une chanson. Ici, ce juron d’impatience signifie : Et que j’en voie un qui ne s’en souvienne pas ! Tant il sait le souvenir de la cane plus que dérisoire, mais capital pour bonifier le cœur humain.
La cane
De Jeanne
Est morte au gui l'an neuf,
Elle avait fait, la veille,
Merveille !
Un œuf !
La cane
De Jeanne
Est morte d'avoir fait,
Du moins on le présume,
Un rhume,
Mauvais !
La cane
De Jeanne
Est morte sur son œuf
Et dans son beau costume
De plumes,
Tout neuf !
La cane
De Jeanne,
Ne laissant pas de veuf,
C'est nous autres qui eûmes
Les plumes,
Et l'œuf !
Tous, toutes,
Sans doute,
Garderont longtemps le
Souvenir de la cane
De Jeanne
Morbleu !
10
Je suis un voyou
Paroles et musique de Georges Brassens (album 1954)
Une introduction épitaphe de 4 alexandrins, sur un amour de jeunesse.
Puis le récit à la 1ière personne, en 4 strophes de vers alternés 7 / 5 pieds, les 7 étant de rimes féminines et les 5 de rimes masculines. Bien sûr, 7 + 5 = 12 : Ce sont des alexandrins.
La première strophe présente la jeune fille par référence à 4 chansons : J'ai perdu la tramontane (Gastibelza) en trouvant Margot (Margot), déesse en sabots (Les sabots d’Hélène), si les fleurs, le long des routes (une jolie fleur). C’est de la même veine poétique.
La tramontane, vent sétois, est la boussole de Brassens.
« De la Madone, tu es le portrait ! » : Blasphème, aucune femme ne pouvant ressembler à la Vierge. Mais ici, louange à une divine beauté païenne.
Mais chacun pour soi : Dieu a la Madone toute entière pour lui, je te veux entière pour moi.
À « bouch', que veux-tu ? » : Avoir de quoi se rassasier. Ici, dans un sens érotique : Elle a tout pour contenter ce ‘mort de faim’ qu’est Brassens. L’image se poursuit avec les fruits défendus (mal défendus) par Margot.
En perdant Margot : Il perd le Nord à la rencontre avec Margot, il est à nouveau déboussolé, en la perdant. Le cœur, décidemment, ne peut se ranger dans le raisonnable.
Ci-gît au fond de mon cœur une histoire ancienne,
Un fantôme, un souvenir d'une que j'aimais...
Le temps, à grands coups de faux, peut faire des siennes,
Mon bel amour dure encore, et c'est à jamais...
J'ai perdu la tramontane
En trouvant Margot,
Princesse vêtue de laine,
Déesse en sabots...
Si les fleurs, le long des routes,
S'mettaient à marcher,
C'est à la Margot, sans doute,
Qu'ell's feraient songer...
J'lui ai dit: « De la Madone,
Tu es le portrait ! »
Le Bon Dieu me le pardonne,
C'était un peu vrai...
Qu'il me le pardonne ou non,
D'ailleurs, je m'en fous,
J'ai déjà mon âme en peine :
Je suis un voyou.
La mignonne allait aux vêpres
Se mettre à genoux,
Alors j'ai mordu ses lèvres
Pour savoir leur goût...
Ell' m'a dit, d'un ton sévère :
« Qu'est-ce que tu fais là ? »
Mais elle m'a laissé faire,
Les fill's, c'est comm' ça...
J'lui ai dit: « Par la Madone,
Reste auprès de moi ! »
Le Bon Dieu me le pardonne,
Mais chacun pour soi...
Qu'il me le pardonne ou non,
D'ailleurs, je m'en fous,
J'ai déjà mon âme en peine :
Je suis un voyou.
C'était une fille sage,
À « bouch', que veux-tu ? »
J'ai croqué dans son corsage
Les fruits défendus...
Ell' m'a dit d'un ton sévère :
« qu'est-ce que tu fais là ? »
Mais elle m'a laissé faire,
Les fill's, c'est comm' ça...
Puis j'ai déchiré sa robe,
Sans l'avoir voulu...
Le Bon Dieu me le pardonne,
Je n'y tenais plus !
Qu'il me le pardonne ou non,
D'ailleurs, je m'en fous,
J'ai déjà mon âme en peine :
Je suis un voyou.
J'ai perdu la tramontane
En perdant Margot,
Qui épousa, contre son âme,
Un triste bigot...
Elle doit avoir à l'heure,
À l'heure qu'il est,
Deux ou trois marmots qui pleurent
Pour avoir leur lait...
Et moi j'ai tété leur mère
Longtemps avant eux...
Le Bon Dieu me le pardonne,
J'étais amoureux !
Qu'il me le pardonne ou non,
D'ailleurs, je m'en fous,
J'ai déjà mon âme en peine :
Je suis un voyou.