
Blog Michel Deleuil
FICHES
NOS TITRES :
Fiche Marius et les Teutons
Au XVIIIe siècle, notre noblesse locale était en mal de latinité et d’indépendance.
Elle voyait en Marius un héros, le vainqueur de la civilisation sur la barbarie, l’homme qui avait tenu tête au Sénat romain. Non, la Provence n’est pas gauloise, elle ne s’administre pas à Versailles, mais à Aix ! Marius est provençal par sa bataille, qui s’est donc déroulée à Aix.
Avec le second Empire, le courant s’inverse. Les Provençaux veulent réussir à Paris (Thiers, Cezanne, Zola, Daudet, plus tard Pagnol). Il faut du populaire. L’ascension de Marius est fulgurante. Il devient le second prénom, derrière Joseph. Les historiens et les archéologues ont beau alerter sur la différence entre le connu et le supposé, la bataille contre les Cimbres devient célébrissime. Son lieu étant mystérieux, Marius devient le héros des promenades du dimanche, le fondateur du latin, du provençal, de la paix, des aqueducs, des tours aixoises. On le voit partout. L’archéologue du XXe siècle n’a pas de terres à fouiller, mais des ragots.
Il était une fois Marius, le bon Provençal né des conteurs, Marius le typique, le coloré, le folklorique, un pétanqueur, fils de César, partenaire de Fanny, vendu au parisianisme.
La bataille contre les Ambrons-Teutons n’a laissé aucune documentation, que ce soit à Rome, à Massalia, ou sur le terrain archéologique. L’énigme du lieu est secondaire, et pourtant fort commentée. Elle détourne de la question primordiale : Causes et conséquences de ce génocide.
Les évènements, lieu et date :
La base est un texte de Plutarque, écrivain grec qui vécut de ~ + 50 à ~ + 125. Dans ses « Vies des hommes illustres, traduction Ricard, Furne et Cie, Paris, 1840 », le chapitre sur Marius comporte 7 pages sur la campagne romaine en Gaule, de 105 à 102 av. JC.
Voici le résumé de ce que l’on y apprend.
Les Teutons, Ambrons et Cimbres étaient 300 000 combattants, rien ne pouvait leur résister.
Le peuple romain appela Marius. Pendant que les Barbares filaient vers l’Espagne, il fit passer les Alpes à ses deux légions et plaça son camp au bord du Rhône. On a avancé la ville grecque de Glanon, le site de Saint-Gabriel, et plus récemment celui du mas de l’Hoste, au sud d’Arles.
Pour faciliter ses communications et occuper ses légionnaires, il fit creuser un large fossé. On en a découvert 2 ou 3. L’un d’eux a donné son nom à Fos sur Mer (Fosse mariani, canal de Marius).
Revenus d’Espagne et contournant le Massif central par le Nord, les Barbares décident de se séparer. Les Cimbres entreront en Italie par le Brenner et la Vénétie, les Teutons et les Ambrons par les Alpes maritimes. Ces derniers descendent la rive gauche de Rhône et marchent contre le camp de Marius. Pendant 6 jours, ils défilent devant les retranchements romains. On parle aujourd’hui de 90 000 combattants, de 400 000 personnes en tout, après le départ des Cimbres, mais l’imprécision demeure. Cette cohue, longue de 20 km, marche vers Aix.
Marius les suit. Les armées arrivent en un lieu appelé Les eaux de Sextius. Une rivière baigne le camp de l’arrière garde des Barbares, alors que l’avant-garde teuton est loin devant. Marius décide de combattre. Les Ambrons, font à eux seuls 30 000 hommes. Les premiers qui marchent contre eux sont les Ligures. On a proposé les lieux de Pélissane, Pertuis, le val de Trets, la plaine des Milles, le Pont de l’Arc, ou encore le val de la Torse (Pérignane). Le camp de Marius a été situé soit vers Eguilles, soit sur le Montaiguet, soit à Bibémus.
Les Barbares, en passant la rivière, rompent leur ordonnance. La plupart sont tués. Les Romains regagnent leur camp et n’en sortent ni la nuit ni le lendemain. Marius envoie Marcellus avec 3 000 hommes de pied se mettre en embuscade. On a supposé un déplacement de Marius au troisième jour. Le camp teuton serait la plaine de Pourrières (Sacaron), la cache de Marcellus le site dit Pain de Munition, le nouveau camp de Marius les collines avant Pourcieux, ou bien le Cengle.
Le 3ème jour, Marius envoie sa cavalerie dans la plaine. Les Teutons attaquent les Romains sur la hauteur même, mais ils lâchent pied. Marcellus saisi le moment favorable pour fondre sur le camp barbare, déclenchant la panique et la fuite en tous sens. Les Romains, à leur poursuite, en tuent et en font prisonniers plus de 100 000, dont 20 000 soldats. La plaine de Pourrières est souvent citée, parce que les Romains y dresseront plus tard un trophée. Mais on ne connaît pas la date de cette construction, ni son but exact. Plutarque se demande si le butin et les bagages furent tous attribués à Marius ou partagés, ce qui est révélateur sur les intentions romaines : Accaparer.
Les prisonniers partent à Marseille et sont vendus comme esclaves dans le bassin méditerranéen.
L’année de la bataille est sûre (-102). On a avancé fin juillet, début septembre ou début octobre. A l’époque, l’Arc devait avoir un débit supérieur à celui d’aujourd’hui.
Marius et ses troupes filent en Vénétie, où sont les Cimbres, qu’il extermine à Verceil en -101.
Les Cimbres :
Des peuples de la mer du Nord, dont l’équilibre alimentaire est basé sur la vache, ont été chassés par un raz de marée qui a envahi les pâturages côtiers. Plus particulièrement, les populations du Jutland (Danemark), connues sous le nom de Cimbres, décident d’émigrer, hommes, femmes, enfants, chariots et vaches vers -120. Ils sont pacifiques et de bonne volonté, à la recherche d’un territoire vide où les vaches trouveraient leur nourriture. Ce sont des Germains, dolichocéphales, grands, blonds, peau blanche. Encore influencés par le chamanisme, ils se fient à des prophétesses, adorent les divers phénomènes de la nature, et ne sont pas à priori des guerriers. Ils ne dépouillent jamais les morts.
Leurs contacts commerciaux avec les Grecs les poussent vers le fabuleux pays d’Alexandre. Aussi descendent-ils le Danube jusque vers Belgrade. D’autres Germains se joignent à eux, attirés par le gain. Des Celtes, qui eux sont brachycéphales, plus petits, plus semblables aux populations du sud, et qui sont plus formés à la guerre, les rejoignent. Au total, cette cohue ne peut plus vivre de ce qu’elle récolte. Elle devient prédatrice, pilleuse, et s’il le faut, guerrière. On lui attribue 3 appellations, pour distinguer Germains des pâtures (Cimbres), Germains des forêts (Teutons) et Celtes (Ambrons).
En -113, cette foule est arrêtée à Noreia par une armée romaine de 40 000 hommes, conduite par le consul Cneius Papirius Carbo, qui leur signifie l’interdiction de venir vers la plaine du Pô. Les Cimbres acceptent, mais Carbo, sentant le butin et la gloire à sa portée, les attaque. C’est une déroute. Seul un orage permet à quelques Romains de sauver leur peau en fuyant. Les Germains laissent les morts avec leurs armures et reprennent leur route, vers le Jura cette fois.
En -109, l’immense cohorte, augmentée maintenant des celtes Helvètes, pille tout, par nécessité, et entame la descente de la vallée du Rhône. Le consul Marcus Junius Silanus est là pour les canaliser loin de la Narbonnaise. Ses troupes sont exterminées, les Gaulois de la région achevant ce que les Cimbres ont entamé. La guerre se déplace vers Toulouse, où des Helvètes et des tribus locales exterminent une armée romaine. Le consul Longinus et son légat Pison sont massacrés (Agen, -107). Les Cimbres, qui n’ont pu s’installer en Belgique ni dans le bassin parisien, reviennent sur le Rhône.
Bien que les meilleures troupes romaines soient en Tunisie, et malgré le manque de soldats, Rome trouve 80 000 hommes, aux ordres du consul Cneius Mallius Maximus et du proconsul Quintus Servillus Cepio. L’un garde la rive gauche, l’autre la rive droite du Rhône. Les Cimbres proposent la paix : Nous trouvons des terres et devenons des guerriers pour Rome. Au bout de plusieurs mois de palabres, Rome refuse. La bataille s’engage alors que les deux chefs Maximus et Cepio se haïssent et ne collaborent pas. C’est un désastre (Orange, octobre -105).
Les Cimbres traversent le Rhône et partent ravager le Languedoc. C’est un moindre mal pour Rome, d’autant qu’ils poursuivent vers l’Espagne. Mais ils reviennent et se divisent, les Cimbres voulant pénétrer en Italie par la Suisse, leurs alliés par la Ligurie. Cette tactique deviendra fatale.
Rome :
Rome commence la conquête de l’Italie vers -343 et l’achève en -283. Puis elle prend la Grande Grèce (Sicile et Naples, -272). A cette époque, le sol conquis n’est pas pris. Rome se réserve un ager publicus (domaine public) et laisse le reste aux vaincus. Ceux-ci doivent seulement payer un impôt et fournir un service militaire. Selon les cas, les villes conquises sont libres (municipes), fédérées, ou préfectures (administrées par Rome). Sur le domaine public, Rome crée des colonies, en distribuant les terres à ses vétérans.
Les Patriciens font partie des grandes familles qui ont accaparé le pouvoir. Les Plébéiens ne sont pas groupés mais sont défendus par 4 Tribuns. Finalement, tous sont citoyens et de droits égaux. Leur assemblée (les Comices) décide, et les Magistrats appliquent. La République, dans sa prudence, nomme toujours 2 magistrats, seulement pour un an, une seule fois, et leur demande le bénévolat.
Deux consuls (chefs de l’Etat et de l’armée)
Deux prêteurs (justice, remplacement des consuls absents)
Deux censeurs (ils choisissent les Sénateurs)
Deux édiles (le ravitaillement et les fêtes de la ville)
Deux questeurs (finances)
Les 10 tribuns de la plèbe ont le droit de véto. Les 300 sénateurs sont nommés à vie. En principe, ils sont conseillers, en pratique ils gouvernent. Depuis -300, ils incarnent la fermeté et le patriotisme. Ce sont des nobles aux mœurs austères, dévoués à la chose publique. On vénère Cincinnatus, qui avait sauvé Rome et qui était retourné labourer son champ.
Mais les conquêtes de la Sicile (-264), de Carthage (-202), de la Macédoine (-168) et l’annexion de Pergame, changent l’esprit. On découvre que la guerre est l’occasion d’un enrichissement formidable. Quand Paul-Emile bat Persée, le butin défile pendant trois jours. Carthage est un trésor, l’Espagne une mine, au sens concret du terme. Les sénateurs accaparent le domaine public et la vente des prisonniers. Ils fondent d’immenses domaines (latifundia) et les font travailler par des troupeaux d’esclaves. Les grandes familles adoptent l’hellénisme. Elles quittent la simplicité et l’austérité pour le luxe, la culture, les mœurs relâchés.
Le gouvernement évolue vers l’aristocratie et la politique vers l’impérialisme. Alors que Rome était une démocratie à peine teintée d’aristocratie et de monarchie, elle est maintenant aux mains des Optimates (nobles, sénateurs) et le fossé est grand avec le parti équestre et la plèbe. Une révolution éclate en -133 avec le tribun Tiberius Gracchus qui propose une réforme sociale. Il est massacré. Son frère Caius reprend le programme, mais lui et 3000 de ses partisans sont tués (-121).
La guerre menée en Gaule contre les Salyens et les Voconces se termine par des victoires. Le proconsul Domitius Ahenobarbus organise la province Narbonnaise (-118), où Marseille garde son territoire et où Aix perd sa toute récente place de chef-lieu (la ville a été fondée en -122 par le consul Caius Sextius Calvinus, mais elle est infectée de Ligures).
Marius.
Né en -157 près d’Arpinum en Calabre, Caius Marius est le fils d’un riche paysan. Il reçoit les valeurs de la terre, et non la culture des villes. Il part à 17 ans en Espagne, pour faire son service militaire. Il participe sous les ordres de Scipion Emilien au siège de Numance (-134) et se fait remarquer par sa vigueur et son courage. Espérant faire carrière, il reste dans l’armée et parvient à se faire nommer, dans le courant des Gracques, questeur en Gaule (-121). D’une ambition démesurée, il est tribun de la plèbe (-119), préteur (-115) puis propréteur en Lusitanie (-114). Cet homme nouveau (on appelle ainsi les rares chevaliers ou plébéiens qui intègrent l’aristocratie) épouse la noble Julia Caesaris (-110), tante du futur Jules César.
Buste de Marius vers 55 ans. C’est par l’armée qu’il compte faire carrière. Issu de la classe équestre, il s’alliera aux plébéiens.
Monnaie de Marius lors de son triomphe. La face est celle du général vainqueur, entourée de lauriers. L’avers est un aigle sur un foudre, allusion aux aigles qu’il attribua aux légions.
Il devient client de l’optimate Metellus et part avec lui en Afrique combattre Jugurtha (-109). Très populaire auprès des soldats, habile à mettre en valeur ses actes et à noircir ceux de Metellus, il se fait attribuer le consulat d’Afrique et la victoire (-105). Rome réserve un triomphe aux deux hommes (-105). Son quêteur Sulla, aussi ambitieux que lui, ronge sa haine. Marius prend le consulat à Metellus et recrute une nouvelle armée. Lui qui devrait être optimate par mariage devient populare par nécessité (il n’est plus soutenu par Metellus, qu’il a trahi). Il recrute jusque chez ceux qui n’ont pas de terre et promet de leur en donner. C’est la révolution agraire Gracque appliquée au cas militaire. Il donne des aigles aux légions, des insignes aux grades, des décorations pour bravoure. Cette armée ne se bat plus pour Rome, mais pour le butin, pour la terre finale. Elle doit tout à son général.
Au lendemain de son triomphe, Rome lui offre le commandement contre les Cimbres, bien qu’il soit âgé, car Maximus et Cepio ont été écrasés à Orange. Le vieil homme accepte à la condition d’être consul. De façon tout à fait illégale, il sera consul en -104, -103, -102, -101, -100 et -86 après l’avoir été en -107. Son armée part à pieds au travers des Alpes maritimes. Il la rejoint par bateau via Marseille.
Légionnaire romain et son barda. Depuis Marius, il porte son armement, sa cantine et ses outils de sapeur.
Causes du génocide :
Les chiffres sont discutables, mais l’ensemble des batailles d’Aix et de Verceil ont fait disparaître le 1/30me de la population européenne. La bataille d’Aix a fait plus de morts en un jour (le troisième) que dans n’importe quelle autre bataille, Wagram, Magenta, Verdun, compris. A ce stade, ce n’est plus un fait de guerre, c’est la marque d’une politique. Le jour le plus meurtrier en second est le 22 août 1914, 27 000 morts en 3 batailles, autant que pendant toute la guerre d'Algérie (1954-1962).
Il faut d’abord évacuer le point de vue moral d’un observateur de l’an 2014.
Des massacres ont eu lieu avant, comme à Corinthe, Carthage, Numance, Entremont, sans que Rome ne s’en soit émue. A Numance, on a coupé la main de 400 jeunes gens. L’impérialisme romain sait que celui qui gagne à raison. Peu importe le moyen, seule la victoire est juste. Tuer ce qui ne rapporte pas d’argent par la vente d’esclaves relève de la simple logique. Personne, à Rome, à Marseille ou à Aix, chez les Latins, les Grecs et les Ligures, ne se posera la question.
Il faut aussi écarter l’excuse de la peur, ou toute cause fataliste qui dirait qu’il en est ainsi dans les guerres. Tout a été préparé, orchestré, et les Barbares savaient quels risques ils prenaient. Rome pouvait négocier à Noreia, à Orange, au camp de Marius. Mais la négociation, au lieu de répondre au problème, l’aurait aggravé. Car sous l’apparence d’une bataille, se déroulait l’affrontement de deux notions de la propriété. D’une part, la loi, la citoyenneté, l’impérialisme, d’autre part la tradition nomade, pastorale, communautaire, panthéiste. Germains et Romains recherchent des terres avec des buts opposés (vivre / s’enrichir). L’une des notions doit disparaître, d’où l’impossibilité de négocier.
Les Teutons sont odieux non pas pour leurs crimes ou leurs ravages, mais pour franchir la frontière sans se soumettre à Rome. Ils ne peuvent être assimilés, non pas à cause de leur nombre, de leur concentration, mais parce que leur culture est incompatible avec celle du monde méditerranéen. Un fait divers en dit long sur cette irréductibilité : Après la bataille, le chef Teutobodus étant prisonnier, les Romains imposent aux Teutons de fournir pour le lendemain 300 matrones qui seront affectées aux temples de Vénus et de Cérès. Dans la nuit, ces femmes tuent leurs enfants et s’étranglent les unes les autres (Histoire universelle, R. Grousset et E. G. Léonard, La Pléiade, 1956).
Marius et Sulla, marbres. Musée de Naples et musée du Vatican. Sulla clamait que Marius avait usurpé la victoire contre Jugurtha, celle-ci revenant d’abord à lui-même, ensuite à Metellus.
Circonstances aggravantes, les déroutes précédentes ont fait de la rencontre dite d’Aix celle « de la dernière chance ». Marseille, qui paie l’intervention, veut être sauvée du pillage, et l’on est à 20 km de ses remparts. Les Ligures connaissent bien le terrain et en font un piège dont on ne peut fuir que par l’Est et l’ouest, où ils se postent, avec les Romains.
Beaucoup de Barbares meurent par noyade ou enlisement en voulant passer l’Arc.
Il semble que le moral des troupes ait été très affuté. On a parlé de l’intervention de la prophétesse Marthe, et Plutarque raconte ainsi le début du combat ; « La plupart des soldats se plaignaient de la soif. Marius, leur montrant une rivière qui baignait le camp barbare, leur dit : C’est là qu’il faut aller acheter l’eau, au prix de votre sang ». Il y aurait eut depuis plusieurs jours une impatience des troupes à combattre, alors que Marius les retenaient, attendant le moment propice, celui où Ambrons et Teutons seraient séparés.
Conséquences du génocide :
Cette invasion s’achève par la vente de 100 000 esclaves, une fortune. Les Helvètes tenteront une semblable migration en -58, et subiront le même sort, à Toulon sur Arroux. Les invasions germaniques ne réapparaîtront qu’au IIe siècle, quand les Lombards, Vandales, Sarmates, Marcomans et Quades s’installeront sur le moyen Danube. Deux cent ans donc de paix ‘germanique’ après ces purges.
Marseille est sauvé et reste l’allié de Rome.
Les fouilles n’ont pas pu déterminer si Entremont avait été rasé en – 122 par Sextius ou en -102 par les Teutons. On avance en général -122. Les Ligures ont été de précieux alliés, dans le ravitaillement et le combat, mais les profits tirés par Rome et Marseille leur laissent un goût amer. A partir de -90, Rome devra intervenir plusieurs fois pour réprimer les Salyens.
Rome est débarrassée du double souci, numide en Afrique et germanique en Gaule, les deux fois grâce à Marius. Mais après les deux triomphes et un 6me consulat en -100, Marius devient odieux aux Nobles, parce qu’il a méprisé les lois et s’est comporté en dictateur. Son questeur Lucius Cornelius Sulla renverse ses trophées. Marius est contraint de quitter Rome, qui craint de sa part un coup d’Etat (- 90). Pour lutter contre Mithridate, on donne le commandement de l’armée à Sulla, l’homme des Nobles. Marius réclame le poste, l’obtient et revient. L’armée de Sulla tue les officiers de Marius envoyés pour parlementer (- 88). Sulla entre dans Rome, emprisonne Marius, mais celui-ci arrive à s’évader et à fuir en Afrique. Sulla part en Orient. Marius et Cinna rentrent à Rome et se livrent à 5 jours de massacres répressifs. Marius se fait nommer consul, mais il meurt, le 13 janvier - 86, apparemment de mort naturelle. Son partisan Cinna et son fils Marius Le Jeune (« pire que le père » disent les Romains), sont vaincus par Sulla.
S’il fut un grand militaire, Marius n’a été qu’un piètre politique, comme d’ailleurs ses concurrents Metellus et Sulla. Cicéron, qui ne l’aime pas, dit que la vertu suffit au bonheur, et prend pour exemple Marcus Regulus. Son contre exemple est Marius : Il a eut de la chance, il n’a jamais freiné son ambition, et il est mort insatisfait et haï.
Ceci explique peut-être l’absence de documents romains sur les batailles.
Le combat d’Aix marque le tournant que l’aristocratie romaine redoutait. Les hommes de Marius, recrutés sans posséder de terre, se sont battus pour leur général plus que pour Rome, pour posséder un bien, plus que pour protéger le Sénat. Le recrutement et l’entrainement opérés par Marius ont contribué à créer une armée de métier. Avec la discipline du métier, le piège est mieux adapté que la bataille frontale, et le traitement ultérieur à l’égard des Ligures est logique.
Avant - 102, la propriété délivrait une force morale, un attachement à la République. Elle résulte aujourd’hui d’un accord d’un clan militaire, hors des règles publiques. La dictature est en route. On le voit bien dans la rivalité Sulla-Marius : Les deux armées s’opposent, comme bientôt celles de Pompée et de César. Les problèmes politiques passent par ces armées, l’une étant contre et l’autre pour les lois agraires, contre et pour l’élargissement des droits à l’Italie, etc. L’armée n’est plus le bras armé de la nation, mais la force économique et politique qui s’impose à la nation. A la mort de Marius, Sulla instaure la terreur monarchique.
Le futur empire se profile.
Conséquences pour Arles, Aix et Gardanne :
Rome s’empressa de développer Arelate (Arles), pour concurrencer Marseille et pour isoler Aix, où les Ligures contestataires affluaient. Cette opportunité est directement liée aux canaux creusés par Marius, qui font d’Arles un port à la fois de mer et d’eau douce. De façon mineure, Marius avait apporté du prestige au cimetière d’Arles, les futurs Alyscamps, en y faisant déposer le tombeau de sa fille Octavia, morte alors qu’il était dans son camp (Mas d’Hoste ?) avec sa famille.
Quand César vient lutter contre Marseille, il construit sa flotte à Arles (- 49), puis il punit les Phocéens vaincus en limitant leur territoire au littoral et en tournant les Salyens d’Aix vers la Durance. Il récompense Arles en étendant son territoire jusqu’à Toulon, en incluant Salon, Berre, Gardanne, Trets, Roquevaire. Dans le domaine public de Gardanne, les vétérans (VIe légion de T. C. Néro, - 46) construisent une douzaine d’implantations agricoles, dont la plus importante est à Notre-Dame.
Arles est en passe de devenir la capitale de l’empire sous Constantin.
Guillaume d’Arles délivre la Provence des razzias sarrasines et s’empare du Comté (Xe siècle). Ses successeurs déplacent leur siège à Aix, pour mieux surveiller Marseille et Forcalquier. La famille arlésienne des Baux revendique le vieux découpage romain (XIIe-XIVe siècles), et les seigneurs de Gardanne sont arlésiens pendant trois siècles. Ce n’est pas un hasard si l’opposition Arles-Forcalquier se traduit en 1205 par le ravage du pays d’Aix (propriété des Baux) et, au printemps, par une bataille sur la frontière, à la plane de Gardana (la chaufferie de l’usine d’alumines). Guillaume de Forcalquier fait prisonnier son gendre Alphonse II puis assiège le castrum de Bucco (Bouc).
Gardanne ne fait partie de la communauté d’Aix que depuis 2014. Curieuse et persévérante continuité depuis l’Antiquité, comme dans l’opposition Aix-Maeseille.
Bastide Favary. Croix de Saint-Victor et étoile des seigneurs des Baux. Gardanne et Trets sont arlésiens, et non aixois. Relevé de Jean Ganne.
Bibliographie
- Bérenger-Féraud, , Jeanne Laffitte, Marseille, 1983.
Au chapitre II sur la Tarasque, cet érudit voit dans ce monstre le souvenir du combat d’Hercule contre Taras puis de Marius contre les Teutons. La sainte Marthe syrienne de Tarascon serait-elle une réminiscence de la prophétesse Marthe de Marius ( ?) Ce même auteur rappelle le pèlerinage fort ancien des gens de Pertuis pour le feu de joie de la Saint-Jean au sommet de Sainte-Victoire, qui pourrait être le rappel du feu que les Romains auraient allumé le soir de la victoire ( ?)
- Jérôme Carcopino, , tome II, p 338.
- Dr. Donnadieu, , in Revue des Etudes anciennes, 1954, tome 56. Cet auteur défend la thèse d’une bataille en deux lieux, Les Milles et Pourrières.
- Duranti-La-Calade, , Aix, 1892. Cet érudit avance les deux épisodes du Pont de l’Arc et de Pourrières et situe le camp de Marius sur le Cengle.
- Camille Jullian, , tome III.
- I. Gilles, , 1870
- Tiran-Melchior, 1873.
- C. Brémond, , revue de la SERHVA, n°15, janvier 1975. On interprète en général le monument de Tegulata comme un triomphe pour Marius ou un monument aux morts. C. Brémond y voit la célébration de l’entrée du pays de Trets dans le territoire arlésien, après le passage de César.
- Jean Ganne, , revue de la SERHVA, octobre 2001. Honnête mise au point sur ce qui est connu. L’enchaînement de la bataille reste un mystère, même si des auteurs romanesques l’on décrit avec forces détails.
- Carte archéologique de la Gaule. Inventaire archéologique du pays d’Aix, 13/4, par Florence Mocci et Nùria Nin, CDI, Paris, 2006. Dans ce livre très complet de 780 pages, il n’est fait mention d’aucun objet qui puisse provenir de la bataille, que ce soit sur Aix, Tholonet, Beaurecueil, Puyloubier. Le meilleur poste pour défendre les voies vers Marseille et l’Italie tout en observant les Ambrons se baigner semble être l’extrémité du Montaiguet. On a proposé aussi Bibemus et les eaux chaudes de la Torse.
Chronologie de l’arrivée des Romains en Gaule
-154 Q. Opimius mène une expédition contre les Oxybiens et les Déciates qui bloquaient Antibes et Nice, des colonies de Marseille.
-125 M.Fulvius Flaccus vient au secours de Marseille. Victoire sur les Voconces et les Salyens.
-124 Sextus Calvinus bat les Salyens et détruit Entremont.
ETABLISSEMENT D’UN CAMP ROMAIN AVANCE A AQUAE SEXTIAE : AIX
-122 Cn. Domitius Ahenobarbus franchit les Alpes et écrase les Allobroges.
-121 8 août : Les Arvernes, venus au secours des Allobroges, sont battus. Bituitos, le chef
Arverne est fait prisonnier.
CREATION DE LA PROVINCIA.
Création de Narbo Martius, première colonie romaine en dehors de l’Italie ; elle va concurrencer Marseille.
-109 Les Cimbres battent une armée romaine.
-106 Nouvelle victoire des Cimbres sur les Romains. Marius vient à la rescousse. Il séjourne en Gaule.
Le roi René et l’agriculture (1409-1480) Michel Deleuil
Janvier 2009
1. Le sentiment de la nature au Moyen-Age :
L’homme médiéval exerce l’agriculture comme un art, au sens de métier, au même titre que le tissage, la maçonnerie, la navigation ou la médecine (chronique d’Hugues de Saint-Victor, XII e siècle).
La nature policée par l’homme est amicale, dispensatrice d’un avant goût de la félicité céleste. Elle est le partenaire des humains dans leur passage terrestre, la contribution alimentaire et médicinale à leur survie, le théâtre du salut.
La nature sauvage est hostile, domaine du cri, de l’épine, du danger, de la foudre, des montres, des démons, des gargouilles. Elle est le froid, la peur, le péché, la maladie, le poison, la mort et la décomposition, le domaine du diable, le théâtre de la perte.
Les moines sont ceux qui connaissent le mieux les plantes et leur culture. Chaque monastère a son jardin. Théodore de Tarse (VII e siècle) a établi le plan du jardin bénédictin : Potager (hortus), jardin médicinal (herbularius), et verger (pomarium) servant de cimetière. La plupart du temps, les légumes sont cultivés dans de la terre surélevée, maintenue par un treillage, en plates-bandes de forme carrée. Parfois, un pré fleuri laisse libre cours à une pelouse et aux fleurs qui s’y produisent. Des haies ou des clôtures protègent du vent, des animaux, des regards indiscrets et des voleurs. Des biefs amènent l’eau d’arrosage. Une butte centrale (tabor) est parfois aménagée, pour donner une vue d’ensemble et distribuer l’eau.
L’hortus comprend les légumes pour la soupe au pain : Choux, navets, pois, fèves, lentilles, betteraves pour leurs feuilles, cardon, laitues, chicorées, épinards, poireaux, céleris raves, carottes, cressons, orties, mauve, plantain, pourpier, radis, ail, échalote, ognon, safran. L’artichaut n’est pas consommé. La vinaigrette n’apparaît qu’au XVe siècle.
L’herbularius contient les simples, c’est-à-dire les remèdes de base, basilic, fenouil, aneth, anis vert, cerfeuil, persil, maceron, coriandre, sauge, menthe, aspic (lavande), thym, romarin, hysope, sarriette, marjolaine, absinthe, rue, lentisque, camomille, séneçon. On y retrouve l’ail, l’ognon, la ciboule, car l'alimentaire et le médicinal se recoupent souvent.
Le cade (genévrier) pour la jaunisse, le fenouil pour la vessie, la coriandre et la sauge contre le pus. Mettez la sauge dans un baquet, remplissez et baignez-vous dedans. Si vous avez la pierre au foie, trempez des feuilles de sambéquier (sureau) dans du vin chaud. Si vous ne pissez pas assez, buvez un bouillon de queues de cerises. Le constipé prend de l’euphorbe et celui qui a les vers les déloge avec la menthe. L’hémorragie se soigne au perganoun (la rue), le serpolet est bon pour tout, à condition de le combiner à la graisse de cerf.
Le pomarium est basé sur les pommiers (rois des vergers), avec poiriers, pruniers, pêchers et cerisiers comme à-point. Selon les régions, s’ajoutent le framboisier, le groseillier, le sureau, le micocoulier, l’olivier.
Les fleurs cultivées, peu nombreuses, sont symboliques par la couleur et l’élégance de leurs fleurs (iris, lys, roses). La rose rouge représente l’amour, car elle est le sang d’Adonis ou bien la Passion, car elle est le sang du Christ. Au XIIIe siècle, les rois de France adoptent le lys pour symbole. Les décors s’inspirent des feuilles d’acanthe, de chêne et de lierre. Au XIVe siècle, on se met à cultiver les pivoines (des roses sans épine), les violettes, les pervenches et les giroflées. L’aubépine et l’églantine sont prisées, le lilas et le jasmin n’existent pas.
Les champs sont avant tout céréaliers (blés, orge pommelle, seigle, avoine, épeautre), afin d’avoir le pain. Ils sont fleuris de plantes utiles, bleuets, centaurées, nielles et coquelicots. Les fibres de lin et de chanvre fournissent habits et cordages. La soie (et donc le ver et le mûrier) existe au XVe siècle. Le mouton est élevé pour la laine. La vigne est présente en toute région, parfois en complément du houblon. La partie labourée, entre rangs d'arbres ou de vigne, est une oullière. On y plante l’avoine, des lentilles, des fèves. La bande où sont les pieds est le cavaillon, retourné à la houe. Le sucre provient du miel. On l’utilise en boisson (sirops, hydromel) plutôt qu’en cuisine. Le sucre de canne, très rare, est médicinal.
Dans l’enseignement et dans l’art, la nature n’apparaît pas (ou peu), car elle est trop présente, banale et profane. Les botanistes recherchent les bonnes plantes et introduisent des nouveautés (la pervenche, la cardiaca pour soigner le cœur, XVe siècle), mais les fresques et les miniatures restent sans paysage. La louange de la Création dépasse la copie de la création.
Dans le domaine privé, à l’inverse, les troubadours chantent les oiseaux et les fleurs. Bernard de Ventadour, à propos du rossignol :
Joie ai de lui, et joie ai de la fleur
Jaufré Rudel indique sa détresse par le désamour des fleurs :
Champs ni fleurs d’aubépine
Ne me plaisent plus que l’hiver gelé.
Vers 1240, Guillaume de Lorris intitule sa composition Le Roman de la Rose. Son héros entre dans un verger :
Et sachez que je croyais être
Au vrai en paradis terrestre
Tant était le lieu délectable.
Au Palais des papes d’Avignon, la chambre de Benoît XII est décorée d’un fond bleu orné de rinceaux et de feuillages de vigne et de chêne. Des écureuils et des oiseaux achèvent de montrer l’amour de ce pape pour la nature, qui avait Pétrarque pour jardinier (1334-1342). Son successeur Clément VI fait décorer plusieurs chambres par Matteo Giovannetti, artiste qui s’applique à rendre les fleurs et les plantes d’une nature luxuriante (1342-1352).
Durant le règne de Charles V, les princes rivalisent de commandes éblouissantes. Louis 1er d’Anjou, grand-père du roi René, construit Saumur, paie des musiciens, peintres, bijoutiers, et commande à Nicolas Bataille la tapisserie de l’Apocalypse (1373-1380), tapis de 140 m de long et de 6 m de haut où les fleurs et les herbes abondent (giroflées, ancolies, bleuets, marjolaine, pâquerettes, fleurs sauvages). Des lapins creusent un terrier pour ressortir plus loin, des oiseaux embellissent les branches. Le décor se met à compter, autonome par rapport au thème. Ce tapis fait partie du cadre de l’enfance de René.
Les frères de Louis, qui sont Charles V, Jean de Berry et Philippe le Hardi, et ses cousins Bourbon et Albret, vivent dans la magnificence, construisent châteaux, chapelles et tombeaux, en un mot embellissent le monde. Les Très Riches Heures du duc de Berry, vers 1415, égrainent les travaux des mois, semences, moisson, glandée… Les seigneurs respirent la finesse, les paysans sont au travail, le paysage est bienveillant. Ces miniatures permettent de connaître les habits, les outils, les attelages, les techniques de culture et d’élevage du XVe siècle. Inachevées, les Très Riches Heures appartiennent au roi René, qui finance une partie de leur poursuite, dans le même esprit. Exemple : Octobre, vendange, château de Saumur.
L’homme antique faisait partie de la nature, il rendait hommage à Déméter par l’art et la science. La beauté incarnait la morale, le savoir menait à la vertu. Puis le chrétien s’est senti exilé sur terre, puni. La nature était la cage d’où il s’envolerait quand il deviendrait Ange. Ce projet pour sauver l’âme dressait des cathédrales, jetait sur les chemins croisés et pèlerins. La contemplation de Dieu réduisait la nature à l’alimentaire.
Après saint François d’Assise, le sentiment change. Jean Gerson, théologien ami de la reine Yolande, mère de René, voit dans la nature non plus l’adversaire mais le projet de l’homme, projet de la raison (la nature fait vivre) mais aussi du sentiment (elle est plaisante). L’homme n’a pas cinq sens, mais six, avec l’entendement, la compréhension des choses, et la nature les satisfait tous. La civilisation est le développement harmonieux des sens humains.
Les malheurs (dits de la Guerre de 100 ans) voilent ce projet. La nature est un décor devant lequel l’homme joue seul. Il sort du projet et se pose en sujet. A lui de faire le beau et le bien, à lui de vaincre la Mort. Les artistes italiens signent leurs œuvres. L’homme doit découvrir, inventer, étudier. Brunelleschi construit, Masaccio forme, Henri le Navigateur cherche et Gutenberg trouve. D’autres font appel à l’alchimie, l’astrologie, la sorcellerie.
Gerson avertit : L’artifice n’est pas l’art, la verroterie pas le diamant. Nos princes chantent la vie simple des bergers, la fête au bord de l’eau, et ils sont en réalité accablés de peurs, figés de conformisme, assoiffés de pouvoir. Leurs déclarations courtoises sont un drap jeté sur leurs piètres actions.
2. La première vie de René. Le combattant, 1409-1453 :
Louis II et Yolande perdent trois nouveau-nés de suite. Arrive un nouvel enfant, baptisé René parce qu’une légende angevine redonne longue vie à un bébé décédé, Rénatus.
Sa petite enfance est heureuse. L’Anjou est en paix, riche de cultures, d’élevage et de pisciculture. En ces temps nerveux et superficiels, Yolande est une femme de tête. Louis est absent. Il lutte à Naples. Mais les artisans travaillent au château, les viandes, les poissons, les fruits et les légumes abondent, la basse cour est bien garnie. Tout cela va de soi pour l’enfant.
Les choses se gâtent vite. Armagnacs et Bourguignons déchirent le pays d’oïl. Louis II meurt. L’Angleterre attaque Charles VII, l’Anjou est dévasté. Pour des raisons politiques, René est éduqué à Bar (le duc), marié à Isabelle, héritière du duché de Lorraine (1420).
Louis II a gardé de l’Italie une image idyllique : Bâtiments romains, châteaux de chevaliers, institutions héritées de Frédéric II, blés propres, avalanches de fruits, moulins, canaux, ports, arbres dans lesquels on monte pour cueillir d’énormes grappes de raisin doux. Comme en France, les nobles s’entourent d’architectes, de peintres, de sculpteurs et de musiciens, mais ils s’occupent aussi d’élevage et de semences pour s’enrichir, alors que le Franc prélève, sans idée de rendement ni de commerce.
Attiré par la botanique, le jeune René (18 ans) part s’installer à Nancy avec une charretée de pruniers-mirabelles. Bientôt, les seigneurs lorrains demandent les plants, tant ils raffolent de ces petits fruits ! René apporte aussi sa Croix double d’Anjou, qui deviendra la Croix de Lorraine. Il visite la Savoie (printemps 1433) et remarque la variété des paysages, des habitations et des langages. En Anjou, les champs sont cernés de haies, les maisons parsemées, les vignes encloses. En Champagne, le regard s’enfuit sur de longs champs ouverts aux vents, les logis se serrent en hameaux près des points d’eau. Ici le seigle et là l’avoine. Dans un creux, le blé, le chanvre et le lin. A Chambéry, on ne voit plus de charrettes, mais des bâts placés sur des mules. Pourquoi le hêtre ici et le sapin là-bas ? Comment la ronce sait-elle la mûre et l’églantier la rose?
La nature possède un grand savoir-faire. Elle est infiniment riche, disent les maîtres, mais elle reste immuable, païenne. L’humanité chrétienne lui est supérieure, car l’homme évolue vers Dieu. Le Paradis est un jardin frais, égayé de harpes et de luths, parfumé d’ail, d’aloès et d’aubépine. Les sons, les parfums et les beautés florales y sont aptes à éloigner les démons. Le jardin est donc un lieu pieux, où l’homme recherche l’excellence.
En 1436, René retourne en Lorraine avec des charretées de rosiers, de poiriers et de pruniers (Henri Enguehard, conservateur du château d’Angers, écrit : « l’eau de vie lorraine est d’origine angevine »). Plus tard, et depuis la Provence, il introduira le mûrier.
En 1437, il descend en Provence et découvre un pays ruiné et désert. Les oliveraies sont abandonnées, les moulins et les ponts sont détruits. Les pillages et les maladies ont emporté 60 % de la population. Sur les 617 villages du Comté, 196 sont abandonnés, dont 10 autour d’Aix. La production de blé et d’avoine est insuffisante, il n’y a presque plus d’ovins, peu d’ânes, plus du tout de chevaux. La transhumance a disparu. Tout manque, les bras, l’organisation, le matériel, et l’espoir.
Les Etats de Provence et Yolande ont élaboré un projet de relance. Les seigneurs accorderont des actes d’habitation à des forains venus repeupler les sites abandonnés. Ces sites seront libres de taxes pendant quelques années, à la condition de remettent les friches en culture. René fait adopter le projet, avec application immédiate.
Ces colons embrunais, alpins, rhodaniens, italiens d’Asti et de Cuneo vont transformer la Provence. En cinquante ans, les 2/3 des patronymes vont se renouveler. Des Génois peupleront Saint-Tropez, le Lubéron, Marseille. L’ancien habitat, qui se serrait en hameaux pour conjurer la peur et veiller sur l’eau va se disperser vers les défrichements et les pâtures. On ouvre des drailles, la transhumance redémarre par ceux d’en bas, à l’inverse de l’ancienne. Les Alpins avaient les moutons et les descendaient vers la côte en hiver. Les nourriguiers (éleveurs) aixois possèderont moutons et pâturages d’hiver, et loueront les alpages d’été.
Cette politique de repeuplement porte ses fruits en Anjou, mais pas en Provence. Le pays est si pauvre que René ne peut y prélever d’impôts.
Son séjour à Naples est d’abord un enchantement. Il découvre l’oranger, le citronnier, la pastèque, le raisin muscat, des espèces inconnues de melons et d’artichauts (la France a le melon vert et la carde.) Il chasse la caille rouge, emploie des domestiques noirs, entend le tam-tam, voit le sultan tunisien et les danseuses moresques, il reçoit les gens du peuple, les écoute chanter et jouer de la mandoline.
L’immense ville de Naples se nourrit de la pêche, de l’élevage et de l’agriculture. Les seigneurs habitent des palais campagnards, organisent l’exploitation et en tirent des profits.
René reçoit la visite d’un moine de renom, Bernardin de Sienne.
- A quoi servent les bijoux que vous portez, René ? Sont-ils la foi, la splendeur de l’immortalité, les joyaux du Christ ? S’ils sont le plaisir du monde, ils vous égarent ! Aimez les brins d’herbe, aimez les coccinelles et les rossignols plus que les pierres et les bijoux. Aimez les hommes plus que les coccinelles et Jésus plus que les hommes ! Voyez la ville, le golfe : Dieu nous élève et donne la beauté. Il a ajouté le parfum à la fleur pour qu’elle attire l’abeille. La beauté est diverse, ornée ou sévère, sûre ou interrogative, différente pour l’abeille et pour l’homme. Les Vierges peintes ne se ressemblent pas, mais elles sont toutes belles, parce que Marie existe. Malheur à qui peindrait une chose à laquelle il ne croirait pas ! La beauté a des joyaux chez l’Angelico, pas un seul bijou chez Masaccio ! L’un vénère, l’autre respecte… Utilisez la beauté, René, pour la vie et pour Jésus Christ, non pour la renommée…
Trahi, vaincu, René abandonne Naples (1442). Il expédie des cailles rouges et des plans d’artichauts à Marseille (l’artichaut est connu, mais non consommé), et va à Florence chercher une alliance. Il découvre des aménagements modernes (barrages, fermes, murs, ponts, canaux). Les seigneurs florentins, Medici, Pazzi, Strozzi, s’occupent de leurs villas de campagne, de la captation de l’eau, de la tonte des troupeaux, autant que du commerce, du palais citadin et des commandes artistiques. La vieille division tripartite franque (ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui cultivent) se dissipe ici pour offrir un homme complet.
René organise fêtes, tournois et concours de poésies. Son épouse Isabelle, comme bien des dames, s’occupe du jardin, des légumes, des arbres fruitiers et de ses chers rosiers (elle raffole de la rose de Provins, rosa gallica, que René installe en Anjou.)
Par le passé, l’activité de l’homme était tournée vers le mysticisme, la morale et la générosité. Aujourd’hui, le goût va vers l’intime, pour ne pas dire vers le confort terrestre. Le vieux monde s’évertuait à adapter l’homme à Dieu, maintenant, les hommes veulent adapter le monde, en demandant l’aide de Dieu…
René fait poursuivre le travail ancestral de l’entretien des digues de la Loire et du Rhône et met en pratique les idées de Jacques Cœur, qui explique qu’un prince se doit d’avoir des fiefs prospères, afin d’en tirer des revenus. Il fait agrandir le chantier naval de Tarascon et veille à la distribution des grains achetés après la terrible sécheresse. Il prend très au sérieux la constitution de son herbier. Lorsque le dauphin Louis vient le consulter en Provence (1447), il l’invite à un voyage jusqu’au Ventoux, pour récolter l’aristoloche aux belles volutes qu’il admire sur sa tapisserie.
Il ramène en Anjou certaines plantes découvertes en Provence : L’œillet cultivé et l’œillet-giroflée (dianthus caryophyllus), ainsi nommé parce que son odeur évoque le clou de girofle, la sauge (salvia sclarea) dite « toute bonne » et le micocoulier (celtis australis), arbre qu’il apprécie particulièrement et qu’il fait planter à Belligan, Epluchard et Launay.
Son épouse Isabelle meurt (23 février 1453). On place les fleurs dans le caveau, pour parfumer. Bien plus tard, on les laissera dessus, pour marquer l’attachement à la personne. Isabelle reçoit du houx, du thym et du romarin, les roses étant absentes en cette saison.
Eprouvé, René prend pour emblème le bâton écoté (branche de rosier sans fleur).
Parti guerroyer en Italie, éconduit par les accords secrets, il rentre, écœuré. On le marie à une jeune dame bretonne, Jeanne de Laval. Tous deux veulent vivre retirés : Il peindra, collectionnera, écrira, jardinera et jouera au berger (1454).
Dans son manoir de Reculée, il peint des groseilliers (la fertilité) et des chaufferettes (la foi, Bernardin). L’allégorie finale de son Mortifiement de vaine Plaisance est tirée de l’Imitation de Jésus Christ et révèle un changement décisif dans son esprit :
Le héros, Cœur, partage un fol maintien dans un jardin avec les filles, entre rires, jeux et faux amours. Il trébuche et verse à terre comme le bœuf qui tombe et fait tomber celui auquel il est lié par le joug. Cœur boute son museau dans la fange, boit, mange et dort (entendons que René menait une vie dépravée et que Dieu l’a puni en lui envoyant deuils, défaites et honte). Mais il se met à faire beau. Devant des fleurs délicates, Cœur mélancolieux reprend vertu, force et vigueur, le jardin devient consolatif. Finis l’ancolie, les soucis et le bâton sans roses ! Pousse l’œillet, le lys, passent les paons. Quatre dames enfoncent chacune un clou dans Cœur, pour que s’épanche vaine plaisance (crèvent l’abcès en quelque sorte). Cœur est mis à mort sur la croix, mais l’âme est sauve.
Le jardin et les fleurs ne sont plus la quête « des faux amours », mais l’élaboration de « vertu, force et vigueur ». Comme dans Platon, la beauté est bonne, la nature contient les valeurs fondamentales non seulement de la vie, mais aussi de l’âme..
3. La seconde vie de René, 1454-1480, de la cour au jardin :
Il écrit des poèmes. Regnault et Jehanneton évoque une colombe venue protéger de son aile un vieux mâle solitaire… A la Ménitré, il ne fait plus construire un élégant manoir, comme à Launay, mais carrément une maison campagnarde.
- Si j’écris, si je peins, c’est que la vie m’a placé là. Les Nobles ne rendent plus la justice, ne mènent plus les batailles, et leur générosité coûte fort cher ! La terre ne doit plus fournir corvées et denrées, mais monnaies.
En 1457, René arrive en Provence avec baratte, tonneaux d’huile de noix, vin de Saumur, moutons à tête noire, bovins rouges angevins, et un énorme foutre empli d’eau qui sert d’aquarium à des alevins qui iront peupler les viviers.
Dans Le Cœur d’amour épris, roman de René, miniatures de Barthélemy d’Eyck, le peintre offre une large place au paysage. La rosée sur les brins d’herbe respire le vrai alors que les inscriptions officielles sentent l’artifice. Quand Cœur embarque, les coquillages sont à l’avant-scène. Les chevaux piaffent, les tapis sont moelleux. Par opposition, l’accoutrement des personnages et les allégories ressassées fatiguent. Cœur a pour devise per non per, la paire sans pareille (René et Jeanne), mais aussi celui qui perd n’a pas perdu… L’homme commence à la sincérité, au naturel. Son tempérament d’artiste, sa complète éducation, sa compréhension de l’Italie et l’influence de Bernardin se conjuguent pour le persuader que la grande œuvre de l’homme, c’est l’aménagement terrestre.
Il reste au jardin, habillé de la blouse et du chapeau de paille, entant arbres, édifiant tonnelles et pavillons, creusant piscines et viviers, plantant ici et récoltant là. La vie rurale est la plus sûre façon de vivre, dit souvent René. Le placide sommet vaut mieux que la rude trajectoire, le bel état est supérieur à ses causes et à ses conséquences. Lente est splendeur !
- Ah, René ! J’aimerais ne vivre qu’à la campagne, répète Jeanne…
Les bœufs et les moutons venus d’Anjou sont installés à Gardane (orthographe d’alors), domaine vaste et varié, propice à la chasse comme à l’agriculture et à l’élevage. Il y fonde sa ferme modèle, et cherche avec son régisseur Gibert d’Authon la rentabilité agraire.
En trois ans, on élève devers la ville, la muraille du vergier, enclos de quatre hectares avec maison à étage. Un pont et une entrée monumentale font passer directement du logis royal au jardin. On creuse un puits communal, on capte l’eau du ruisseau par une priou (prise) dont le béal (bief) alimente le jardin avant de se perdre dans les près.
Le vacher angevin est satisfait de ses bœufs. Le Grison et le Fauveau dépassent cinq quintaux. Mais les moutons ne s’adaptent pas à la garrigue. Gibert d’Authon va à Manosque acheter un troupeau de 1318 moutons et embauche six pastré (bergers) dont René dessine l’habit. Pour l’instant, la ferme coûte et ne rapporte pas.
En Anjou, le saumon est un don de la Loire. Les prunes, les poires, le craspois (chair de la baleine) de la mer et le luz (brochet) des viviers, les châtaigniers des haies, les néfliers, les sorbiers, n’ont pas d’équivalent provençal. Les terres y sont labourées, fumées, et les rendements en lentilles ou grains sont bons. En Provence, la plupart des villages ont des champs minuscules. Certains ne font que 6 ares. Avec son couffin et son eissardo (la houe), le paysan travaille par-ci par-là et passe son temps en déplacements.
Gardane n’a pas d’aires ni de moulin. On fauche l’herbe pour les chevaux d’Aix, on récolte raves, fèves, ognons. La vigne est pour tous. René donne un terrain pour les aires. Les galliniers sont rares, car la poule pond peu et picore beaucoup. René fait installer un poulailler contre son logis et une auquerie (élevage d’oies) dans les prés. On vit d’un carré de poireaux et d’un hectare de blé. On trouve l’ortie près du ruisseau, les baies dans le sous-bois, le pissenlit par-ci, quelques amandes par-là. Une pluie sort le limaçon, un piège retient un pigeon, un conil se prend au collet, l’enfant capture une écrevisse.
- Ce monde champêtre, je veux le chanter… Toi, Jean le Prieur, mon écrivain, écrits une pastorale, l’histoire en vers de mon bonheur, pense aux bords de Loire, à mon petit Launay, à Pertuis, à Pérignane où cette idée est née, mets les fleurs de Gardane, les beaux jours de l’année, qu’on voit vache se traire, martin-pêcheur plonger…
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Regnault et Jehanneton
Une fois son remariage enjolivé, un fois la rupture avec la cour affichée, le personnage principal de cette pastorale est la nature. La verdure frémit, l’eau chuchote, les cailles s’envolent, les oiseaux s’activent, le crépuscule flamboie, des cerfs paissent dans un carré de blé.
Le merle mauvais, le pinson
Recordent bien leur leçon.
Les mouchettes, le grésillon
La cigale et le papillon
Et l’avette qu’a l’aiguillon
La sincelle et le moucheron…
D’autre part, dedans le bouillon
Chante le petit grenouillon.
La fraîcheur de ces inventions est peut-être inconsciente, noyée dans un travail bâclé ne semblant vouloir assurer que le nombre de lignes (3 000.) Bien de faux vers titubent au goût facile des fadaises, mais les meilleurs marchent gaillardement vers une sensibilité nouvelle. Attentifs au geste paysan, ils croquent l’individu, notent les choses intimes, sourient à l’union de l’homme et de la nature. Les bergers entendent Regnault et Jehanneton chanter, approchent et entament une danse sous les saules. Les bovins de Gardanne labourent :
Leurs bœufs, lesquels vont tout bel charruant
La terre grasse, qui le bon froment rent
En ce point ils les vont rescriant
Selon leur nom
A l’un Fauveau et à l’autre Grison
Brunet, Blanchet, Blondeau ou Compagnon
Puis les touchent tel fois de l’aiguillon
Pour avancer.
Jean le Prieur touche de l’aiguillon, Barthélemy peint la rosée, René encourage et publie.
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Selon le métier, on gagne de 12 à 30 deniers par jour, du manœuvre au meissou (moissonneur.) Avec 12 deniers, on peut acheter 6 kg de pain noir ou 800 g de pain blanc ou 6 litres de vin ou 7 centilitres d’huile ou 2 kg de porc ou de mouton, 2,5 kg de bœuf, 12 kg de sel, 15 kg de noix, 1,5 kg de fromage ou 3 kg de légumes. On peut brûler à l’église 150 g de bougies ou donner à son âne 30 kg de foin…
En tenant compte des fêtes, des intempéries, parfois d’une blessure, un manœuvre ne travaille qu’un jour sur deux dans l’année, alors que sa famille mange tous les jours… En un an, chacun avale de l’ordre de 280 kg de pain (dans la soupe), 22 kg de mouton, 5 de porc, 10 de poisson et autant de légumes secs, des légumes frais (4 kg), 90 œufs en omelettes et 1 kg de fromage, 5 kg de sel, 1 litre d’huile, 1 kg de bœuf, et 240 litres de vin.
Un kg de farine de blé donne 1,4 kg de pain. Pour obtenir 280 kg de pain par an et par personne, la récolte doit atteindre 275 kg par personne, 200 pour le pain et 75 pour la semence. Un hectare donnant 500 kg, il faut plus d’un demi-hectare de blé par personne. Souvent, on ne l’a pas (manque de bonnes terres, guerres, mauvais temps.) On complète par du seigle, ce qui donne la farine de méteil, le pain noir, et, sans le savoir, le mal des Ardents.
Le moulin peut broyer en quatre moutures. On sort la fleur pour le pain blanc des fortunés, puis la bise, la noire et le son, de plus en plus pour les cochons. Si l’on fait meunerie basse, on meule tout et longtemps, pour obtenir le pain entier. Les pauvres se contentent soit du méteil, soit des farines sans fleur… A Gardane, les aires sont aménagées.
A Tarascon, René fait remplacer les pont-levis du château par des ponts fixes en bois, pour signifier qu’il n’y aura plus de guerre (1458.)
- Le jardin, Jeanne, c’est un dedans. On y voit dehors, on sent, on touche, mais on y pense dedans. Si mon latin ne m’abuse, hortus veut dire enclos, et je ne serais pas étonné que gart de Gardane soit garder l’intimité, regarder… Si les tyrans s’occupaient de fleurs, il y aurait moins de pleurs ! Quant à l’amoureuse affaire, ce n’est pas un péché si le plaisir est partagé. Je deviens comme les gens simples, qui ne distinguent pas l’amour céleste de l’amour terrestre. On idéalise pour l’église, on épure pour l’art, mais en réalité, l’amour, c’est la vie, c’est Regnault, mieux que Le Cœur épris. Je fais des portes avec des sonnettes, pour mes visiteurs, je trace un parcours de giroflées et de sarriette, je taille une tonnelle pour ombrager les demoiselles.
Le travail des champs a inventé la géométrie et le paysage. Il confine à la poésie et à la peinture, car le sillon va droit et le chemin bifurque.
René ramène à Angers l'œillet de Provence, le plan nouveau du muscadezt, et l’artichaut comestible. Dans les douves, un bassin est creusé, un vivier bâti, les volières agrandies, pour des volailles que l’on n’a jamais vues ici, paons blancs et perdrix rouges…
Jeanne s’occupe des chevaux, édite des règlements pour leur élevage. Le cheval est plus délicat que le bœuf. Il se nourrit d'avoine. Sa chair et sa peau ne sont pas utilisées. Les hécatombes militaires, les maladies et le manque de soins l’ont exterminé. Mais depuis le retour au calme, l'élevage progresse. Les fiefs de René (Anjou, Barrois et Lorraine) ont autant de chevaux que d'habitants. Pour le comté de Beaufort, Jeanne autorise chaque habitant à mettre en herbage une bête chevaline et des poulains, mais interdit de faire faras (haras, troupeau), de poursuivre le mode ancestral d'élevage qui consiste à laisser dans les forêts des bandes de chevaux sauvages. Monsieur de Rohan a 600 bêtes en forêt de Loudéac.
Pour le transport des armes, draps, épices, laine, vin, blé et sel, on utilise de plus en plus le cheval. L'armée a amélioré la traction des bombardes, et il n'est plus rare de voir 6 chevaux de file tirer une charrette. Les caravanes de mulets qui franchissent les montagnes contiennent parfois des chevaux chargés à dos, et la remonte des grands fleuves par les radeaux ne se fait plus par l'homme mais par la traction chevaline.
On se met donc à élever le cheval à la ferme, à installer des bourreliers dans les villes, à lire dans les livres anciens les soins qu’il faut apporter. Le cheval tracte, porte, galope.
Louis XI crée une messagerie par chevaux au galop, ancêtre de la poste.
Le logis du jardin d’Aix est achevé. Dans la salle du pavillon coule une fontaine. Deux galeries et un moulin achèvent d’enclore des plates-bandes. On a posé une cage à oiseaux (grillage de cuivre) de 10 mètres de haut. Les vaches ont leur étable, la femme de Nicolas Gienot fait son beurre. De précieuses plantes sont là : Sourcil de Vénus (armoise) contre le mal de dents, feuilles de saule et valériane, pour le mal de tête, soucis, millepertuis, buis, et l’harmonie d’ensemble, pour la beauté… Le clou, c’est l’allée ombragée ! Imaginez un chemin pavé de 8 mètres de large, bordé par des murs de 2 mètres de haut, murs qui sont doublés et remplis de terre. Les arceaux qui relient ces monticules guident la vigne muscatelle et les plantes odorantes, si bien que l’on va du palais au logis sous grappes et parfums !
Son fils Jean de Calabre échoue à Naples, sa fille Marguerite perd à Londres. René taille ses rosiers et retourne sa terre.
John Fortescue traverse le royaume de France et note ses impressions. Le pays est immense. Trente jours pour aller de Flandre en Navarre, vingt de Nantes à Héricourt, des espaces sans fin, à travers la nature sauvage. La terre humaine, consacrée aux céréales, n’est qu’une faible part, peut-être un quart. La faucille scie, puis on dépique au nord au fléau, au sud avec le pied des bêtes. Le bœuf tire la charrue et le mulet l’araire. Le cheval de trait est rare, plus rare qu’en Angleterre... Chaque humain travaille, avec sa spécificité. Le mâle sème la terre féminine. Le pain cuit deux fois (biscuit) se conserve mieux...
John voit des légumineuses, chou, asperge à Argenteuil, ognon à Bourgueil, vigne à Saint-Pourçain, vergers et prairies dans la Brie. Il déplore l’insuffisance des bocages et des jardins, le peu de légumes verts et le bannissement des fruits rouges (fraises, groseilles, framboises) parce que les gens les croient empoisonnés...
Le pain blanc, le pain épicé, la viande, le cygne, le faisan des riches, ne cachent pas la pauvreté de l’immense majorité, l’ordinaire au pain noir, au lait, œufs, pois, fèves, lentilles et poisson. L’extraordinaire arrive parfois, avec le gibier non noble, lapin, oie, grue, cigogne, cormoran, butor, héron. La nature a du bon...
Après l’hiver, les hommes boivent de l’eau (et non de la bière). John s’étonne qu’ils mangent des pommes. Ils n’ont pas de viande, sauf le lard et les entrailles préparées en tripoux. Ils vont sans vêtement de laine, avec une cotte de toile sous la blouse. Ils laissent aller nu-pieds leurs femmes et leurs enfants. C’est qu’ils ne peuvent faire autrement : On leur enlève ce qu’ils produisent. Les fermiers ne paient plus un mais six écus, depuis que le roi (Louis XI) en prend cinq. Alors, ce pays fertile compte beaucoup de faibles paysans, gens courbés, inefficaces, et pour tout dire délaissés...
Dans son pays anglais, l’élevage s’est mieux développé, pour la viande et pour la laine. Les bêtes nourries à l’étable offrent le fumier. La guerre des deux Roses n’a pas atteint les paysans, qui vivent dans une abondance non rencontrée en France... Que n’êtes-vous venu trente ans plus tôt ? Vous auriez vu des malheureux encore plus pauvres et plus nombreux, à cause de la guerre, qui ajoutait le viol à la misère. La nourriture n’était même plus céréalière.
La vie a maintenant gagné 10 ans. Les mariages et les baptêmes se multiplient, le royaume atteint 14 millions d'habitants malgré la peste de 1466.
L’élevage, la pêche et la vigne, ont fait des progrès que John n’a pas eu le loisir d’apprécier. Marseille compte 200 pescadous, qui retirent des sardines et des favouilles (crabes.) Saumur déguste le bon jus d’Anjou... Bien sûr, peu de gens ont un lit ou une armoire, encore moins des étains, du verre et des jades, mais de nouveaux meubles se répandent, vaisselier et buffet à tiroirs...
John a écouté les procès sous l’orme, suivi les sermons du dimanche, noté combien l’élevage et l’agriculture vont mal ensembles : Les chèvres et les vaches vont faire leur repas dans le bien d’autrui, des travailleurs perdent parfois leur âme pour gagner un sillon avec leur charrue sur le champ voisin, d’autres déplacent les bornes. Il est pourtant dit dans les Paraboles « Ne déplace pas les limites posées par tes pères ». Le pire concerne la dîme : Certains laïques refusent de rendre les dîmes. Mais eux qui ne célèbrent pas la messe, qui n’administrent pas les sacrements, de quel front détournent-ils le salaire des clercs ? Ils font comme Caïn, qui offrait à Dieu les épis du bord du chemin, parce que ce sont ceux que les bêtes ont rongés... Et Dieu se détourna de Caïn !
Le voyageur arrive sur la place. Le barbier rase, le forgeron frappe, un enfant ramène des chèvres. On aura l’eau du puits, une soupe dans un bol en terre, de la paille pour la nuit...
A Gardane, le domaine pilote est en déficit. Les pluies diluviennes de 1468 ont tout gâté. Les foins et les blés ont moisi. La terre s‘épuise. Il faut alterner les racines longues avec celles de surface. La suite céréale / jachère / blet / jachère, semble être la bonne. Les moutons coûtent plus qu'ils ne rapportent... Le mieux, c'est encore la vigne et les fruits. René achète la vigne de dame Maurière, côté levant de la colline Captivel et aménage des restanques, plante des cerisiers, des pêchers et, à leur pied, des crocus pour le safran (plante tinctoriale).
L’argent lui fait si cruellement défaut qu’il met à bail pour 50 florins son jardin aixois. Il vend le surplus du potager au marché de la ville, place aux Herbes. Il veut qu’on économise sur tout, sauf sur les œuvres. Avide, il renonce cependant au fermage des terres qui ont subi une catastrophe (gel ou grêle).
Il perd son fils (Jean de Calabre), sa fille bâtarde (Blanche), son gendre (Ferry), son petit-fils (Edouard). Sa fille Marguerite est en prison. Il récupère ce qu’il peut de ses trésors angevins et déménage en Provence. Notre intention est nous y tenir…
Il passe de plus en plus de temps au jardin, se fait réveiller tôt pour Saint-Jean, pour aller avec les paysans ramasser les herbes vertueuses, fenouil, mille-pertuis, pourpier, comme le crocus à l’automne.
Pour la tonte des moutons, Gardane est en fête (1472). Au son des cornemuses, le troupeau défile devant le roi, puis les 40 tondeurs se mettent à l'ouvrage. La laine récupérée remplit 12 charretées bien tassées. Mais les profits ne sont pas aux rendez-vous. René accuse les habitudes manouvrières sans voir ses propres erreurs : Multiplication des fonctionnaires, laxisme propice aux profiteurs.
La Provence bénéficie d’un climat humide et tempéré. La forêt et les marécages occupent la majorité du sol, mais aucune futaie n’est capable de fournir de belles poutres. Du coup les maisons sont étroites et hautes, accolées les unes aux autres. Le bois des chantiers navals vient de Boscodon par la Durance.
Désertes, les collines sont néanmoins exploitées. Des bûcherons coupent le bois de chauffage, livrent les feicines au fournier (les fagots au boulanger du four banal) et portent le chêne kermès aux fabriques de vermillon. Collobrières récolte le liège pour les bouchons. Partout on cueille les mures, les noisettes et les champignons, on fait son sucre avec le miel. Les glands nourrissent les cochons, les arbustes contentent les chèvres, le gibier régale les hommes, le gros étant chassé par les nobles et le petit par les braconniers.
Des migrants savoyards et italiens occupent les terres pauvres et sans eau des plateaux. L’olivier n’y vient pas, mais ils ont planté des lavandes, des pistachiers et des arbousiers. Sans prospérer comme les fermiers des terres arrosées, ils vivent. L'aïgue es d'or (l’eau est un bien précieux) pour qui veut tenir prés et légumes.
Le blé est produit dans de grands domaines, autour d’Arles, le long de la Durance et près de Valensole. Les fréquentes inondations du Rhône et de la Durance réduisent cependant l’exploitation de leur vallée. Les récoltes sont plus sûres autour de Salon, de Puyricard et de Trets, où le rendement reste correct (un grain semé en donne dix à dépiquer alors que dans les restanques des murets il n’en promet que quatre).
Les villes sont approvisionnées par les muletiers. Ceux qui amènent le blé de Riez s’arrêtent devant le palais d’Aix et font de leur file un troupeau, puis ils repartent à Riez avec de l’huile et du vin. La vigne domine autour de Marseille, Brignoles et Châteauneuf du Pape. Gardane a ses vignes du roy.
Les oliviers plantés près des côtes au temps de Jacques Cœur commencent à donner (La Fare, Bandol, Hyères, Grimault, Antibes). De leurs villages perchés où ils se protègent des pirates, les hommes descendent vers les cagnards (coteaux ensoleillés) pour tailler quelques rameaux, gratter au pied des troncs et répandre les pètes des moutons, laissant à leurs femmes le soin de la cueillette quand vient la saison. A l’intérieur des terres, les oliviers alternent avec les fruitiers. Aix a un moulin à huile rue des Trabaux, et de nombreux pommiers, figuiers, abricotiers, cerisiers et amandiers pour les repas avec dessert.
Sur la terre noire des vallons, l’homme fait ses hortolailles (cultures maraîchères.) Les citrons d’Ollioules sont là pour le symbole. L’ail et l’ognon font eux des repas. Le pain, le poireau, le chou, l’ortie, parfois enrichis de fèves ou de pois, font les soupes au lard…
Les murets retiennent la terre où poussent le seigle et la pommelle que les sangliers veulent bien laisser. Le champ est étroit, juste bon pour l’araire et la jachère biennale. Le cultivateur gratte la terre et s’aide d’un âne pendant que la chèvre mange un buisson.
Un âne vaut 10 fois moins qu’un bœuf, 60 fois moins qu’un cheval et peut se nourrir au bord des chemins. Les rues étroites des villages n’admettent que le bât. Tout ceci nuit au travail d’équipes et à la pratique des redevances en argent. Le village de Rognes comprend 57 familles dont 7 ne possèdent rien, dont 25 ont chacune 6 à 60 ares. Seulement 15 détiennent plus de 2 hectares, et encore, la plupart du temps, éparpillées en dizaines de petits lopins.
A l’inverse, l’élevage marque un progrès. Autour de Trets, de Rians, dans la Crau et sur les iscles de la Durance, les nourriguiers élèvent de grands troupeaux. A Gardane, la ferme de René est tenue par 29 personnes qui exploitent 2500 moutons, 240 chèvres, 60 cochons adultes, 150 cochons de lait, 15 vaches angevines, des oies et un poulailler…
Les étangs naturels ou artificiels n’ont pas attendu les alevins angevins pour donner du poisson. Gardane a par exemple trois étangs, où s’activent les barquejaïres (bateliers) mais il faut avouer que le brochet né à Baugé a bien amélioré l’ordinaire.
Depuis un siècle, il fait plus froid. Des Savoyards racontent qu’ils ont été chassés par le glacier qui est descendu jusqu’à leur village. La vigne et les amandiers gèlent, l’olivier reste cantonné au bord de mer.
En Angleterre, l’élevage à l’étable des bovins donne d’excellents résultats, et les labours se transforment en herbages. Le champ ouvert devient bocage.
En France, c’est par la façon d’exploiter la propriété que les choses évoluent. Les nobles vont vivre en ville et abandonnent le faire-valoir direct pour le fermage (au Nord) ou le métayage (au Sud). Beaucoup d’entre eux changent de mentalité : A la civilisation de la terre et de l’âme succèdera celle de la monnaie et de l’esprit, de l’initiative et de la civilité.
Le prix élevé de la main d’œuvre affecte les grands domaines, où l’habitude seigneuriale n’est pas de lésiner sur le nombre des valets. René n’a aucune idée de l’utilité des gens qu’il emploie à Gardane. Un domaine comme Bayle (aux Hospitaliers, au pied de Sainte-Victoire) paye 200 jours de femmes pour sarcler, 200 jours de moissonneurs, 66 jours de femmes lieuses, 12 jours d’hommes pour faire le guerbeyroun (gerbier), 230 jours de taille de vigne, 30 jours de vendanges, 18 jours de fauchage des foins, 15 jours de fanage, 5 pour engranger. Un vaillant petit exploitant peut faire autant de numéraire d’un seigneur malchanceux, et l’on voit des nobles faire travailler leur femme, ne doter leur fille que d’une paire de bœufs ou bien, comme Ulysse, labourer eux-mêmes (Michel de Forbin par exemple).
La chronique décrit René usant ses jours entre l'oubli et l'éloignement des causes de sa mélancolie. Il aimait la vie rurale parce que la plus éloignée de l'ambition.
René meurt en juillet 1480.
Au-delà des introductions anecdotiques, mirabelle en Lorraine, œillet en Anjou, artichaut comestible en Provence, etc., au-delà même des efforts plus ou moins adroits pour repeupler les campagnes, relancer l’élevage ovin et la pisciculture, étudier les plantes par l’herbier, les jardins et la ferme pilote de Gardane, René est un précurseur de la Renaissance, par son goût d’honnête homme, son intérêt pour les livres, les collections, les manoirs, les horloges, les plantes, l’instruction (sa plus grande fierté est l’école qu’il crée à Saint-Maximin), l’entreprise (il accorde une concession pour l’extraction du charbon) et l’art.
Son époque est celle d’une perte d’influence des moines, de l’émergence d’une vision bourgeoise de la vie (curiosité, individualisme, monnaie) et de la monarchie (centralisation). C’est aussi celle des derniers feux du raffinement et de la courtoisie. Son ami Le Viste commande les Dames à la Licorne, la reine Anne de Bretagne commande à Jean Bourdichon des Grandes Heures consacrées aux plantes, les jardins deviennent des lieux où l’homme s’apprivoise à la beauté et au temps calme, où il aiguise tous ses sens : La vue des plantes, l’odorat par les parfums, l’ouïe par les gazouillis et les chants d’oiseaux, le toucher par les feuilles rêches ou lisses, le goût des fruits, l’intelligence par la création de l’harmonie, la compréhension des saisons et des besoins des plantes.
Cet aspect humaniste, ce droit à la vie qu'exprime du Buisson Ardent, ne sera pas suivi. Les paysans seront de moins en moins représentés sur le plan politique, les religieux et les nobles seront de plus en plus citadins, l’instruction et la science de plus en plus urbaines. Le projet de Gerson périclitera dans celui des propriétaires.
René aura vécu une transition majeure. Maigre consolation, les rois vont faire les châteaux de la Loire et le paysage va envahir la peinture.
REFERENCES
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René. Dessin de Revoil. La grappe, mirabelles, œillet, sauge, micocoulier, rosa gallica, melon, artichaut, caille
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Génèse, 840, Eve au foyer, Adam aux champs
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Travaux des 4 saisons ? XIième. Mont Cassin. C’est la destinée.
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Ornementation. XIIIe Oxford. Nonnes en brouette ou jouant à la balle.
JARDIN
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Ce qui va dans le pot, hortus, potager : choux, navets, pois, fèves, lentilles, betteraves, cardon, laitues, chicorée, épinards, poireau, céleri, carottes, cresson, orties, mauve, plantain, pourpier, radis, ail, échalotte, ognon, safran.
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Ce qui donne des pommes, pomarium, verger : pommiers, poiriers, pruniers, pêchers, cerisiers, sureau, micocoulier, olivier.
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Ce qui donne les simples infusions, herbularium, : basilic, fenouil, aneth, anis vert, cerfeuil, persil, maceron, coriandre, sauge, menthe, aspic, thym, romarin, hysope, sarriette, marjolaine, absinthe, rue, lentisque, camomille, séneçon.
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Fleurs : iris, lis, roses.
CHAMPS : blé, orge, seigle, avoine, épeautre (sarrasin), lin, chanvre (cannabis), mûriers (soie) vigne, houblon, miel
Fiche Forbin
De 1482 à 1673, les seigneurs de Gardanne furent des Forbin, une branche de la famille Forbin, grande par son pouvoir politique, son nombre, sa couverture territoriale, ses alliances. Elle sut s’imposer comme la plus puissante de Provence, toujours fidèle au roi, jamais à la Provence.
Les Forbin sont tous issus de Jean 1er puis de ses fils, Jean II, Palamède et Jacques.
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Branche de Jean II : Les
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Branche de Palamède : Les,
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Branche de Jacques : Les .
← Palamède de Forbin
Médaillon du socle de la statue du roi René, cours Mirabeau. Par David d’Angers, 1823.
Notre propos est de suivre la branche de Jacques, les seigneurs de Gadane.
Trois raisons nous ont fait élargir ce champ, de façon ponctuelle.
En premier lieu, et le cas serait semblable pour d’autres seigneurs de Gardanne (les Baux, de Gautier, Villeuneuve, d’Arbaud-Jouques), les relations des Forbin avec cette ville tiennent en quelques pages. Les possessions d’arrière-pays sont un a-point de revenus et un lieu de repli temporaire en cas d’épidémie, non une résidence de prestige. Pour la branche de Jacques, le lieu noble est Saint-Marcel, ancienne seigneurie des Baux, où ils vont immédiatement reconstruire le château. Les Forbin-Gardane vivent à Saint-Marcel, Malte, Marseille, Aix, Versailles, ou sur des bateaux.
Ensuite, la compréhension peut y gagner. Les Forbin restent unis, même s’ils ne sont cousins qu’au cinq ou sixième degré. Ils ont les mêmes comportements, partagent la même trajectoire, parce qu’ils ont la même base, la même vénération : Marseille, le grand commerce, l’armement des galères, l’ordre de Malte, le service du roi. Ils subissent tous le même essoufflement à la fin du XVIIIe siècle.
Enfin, ces détours donneront-ils une couleur à une relation Gardanne-Forbin qui fut des plus banales, des moins documentées ? Une exception : la « crise » de 1666-1733, quand Gardanne voulut se libérer des droits seigneuriaux.
Peindre la saga entière des Forbin hors de Gardanne aurait demandé de nombreux livres, au-delà de notre capacité. Certaines études existent déjà, sur Palamède, Paul-Albert, Auguste et Claude (1 à 5), ce dernier de la branche qui nous préoccupe. Nous avons opté pour une relation Forbin-Gardanne animée par quelques échappées extérieures, en reconnaissant l’arbitraire de cette démarche.
La branche Jacques de Forbin aînée : 1482-1548 :
Il existe en Ecosse, au comté d’Aberdeen, un village nommé Forbes (prononcé Forbis). Une famille Forbes aurait immigré en Bourgogne au XIVe siècle, époque où Bourgogne France et Ecosse étaient alliées contre l’Angleterre. Un Forbes, Guillaume Forbin, épouse à Langres en 1379 une provençale, Gauffride Roux. C’est un riche peaussier, comme bientôt Jacques Cœur. Mais la guerre perturbe le commerce terrestre. Mieux vaut la mer. Guillaume descend s’installer à Aix (1391) et bientôt à Marseille. Il meurt en 1415, en laissant trois fils.
L’aîné Dragon est peaussier. Sa branche s’éteint avec son fils Antoine, qui n’aura que des filles. Son frère Bertrand 1385-1457 va à Rhodes en 1408, pratique la guerre de course, vend blé, laines, corail, vin, épices, esclaves. Sa branche s’éteint avec ses petits-fils.
Le cadet Jean 1er 1387-1453 gère l’ensemble de l’entreprise familiale.
Par une accélération de l’histoire, les évènements vont sceller le destin des Forbin.
La succession de la comtesse Jeanne 1ère divise la Provence entre Aix (les Etats, le parti des Duras) et Marseille (le commerce, le parti des Anjou). Les Forbin se mettent résolument dans le camp des Anjou. A Naples, cette guerre oppose les Duras soutenus par Barcelone et les Anjou soutenus par Gènes. Battue, la flotte catalane attaque Marseille (23-25 novembre 1423, épisode des Mascarats). Bertrand Forbin coule sa nef en travers de la passe (on dira une sardine a bouché le port, car cette nef se nomme la Sardine, mais l’explication est contestée). Les Catalans contournent et pillent Marseille. Tout est ruiné, port, maisons, ateliers, espoir.
Les frères Forbin, et presque eux seuls, relancent le port, gagnent la confiance des Angevins et des Marseillais. Bertrand arme un vaisseau dès 1424 contre Barcelone. Jean 1er est syndic de la ville en 1424, premier consul en 1425-31-43. Il réaménage les quais, achète Saint-Marcel à Alex des Baux (1435) et construit en 1450 un hôtel Grand rue (du Siam).
Désormais, l’assise Forbin est à Marseille, dans le grand commerce maritime, avec le soutien du parti angevin et de Jacques Cœur. Ce dernier envoie son commis Jean de Villages : Les naves des Forbin iront à Rhodes, au Liban, à Alexandrie, pour la France entière.
L’incrustation est tout aussi politique. De 1442 à 1444, Bertrand est ambassadeur de Marseille à Naples auprès du roi René, qui crée la devise : Vivacité des Forbin. Jean et les Angevins triomphent du parti aixois, qui défendait l’indépendance. Jean est l’homme du roi.
Trois de ses huit enfants vont prospérer sur ces bases.
Guillaume
Dragon Bertrand Jean 1er 1380 > 1466 + Isoarde de Marini, dame de Trets
Cinq enfants Jean II 1425-1498 Palamède 1430-1508 Jacques 1435-1495
Jean II poursuit le commerce international, épouse la fille du banquier italien Froso delli Pazzi, défend les Juifs quand la France les interdit et qu’ils se réfugient en Provence. En 1474, il achète La Barben à René pour 4000 florins. Favorisé par son frère Palamède, il est député aux Etats généraux de 1487, Consul de Marseille en 1488, gouverneur de Lambesc.
Le commerce demandant des connaissances juridiques, Palamède étudie en Italie et devient juriste international. Le roi René le prend comme précepteur de son fils Jean de Calabre. Il épouse en 1454 la fille du seigneur d’Aubagne, Jeanne de Castillon, puis achète le fief noble de Solliès. Le voici Palamède de Forbin. A la demande du roi René, il réalise la réforme judiciaire de la Provence. Agent secret de Louis XI et avide de pouvoir, il pousse René à tester en faveur de Charles III du Maine, pour l’association avec la France, contre le parti de René II et de l’indépendance1. A la mort de Charles III (1481), Louis XI hérite de la Provence et des titres de prétention de René. En remerciements, il nomme Palamède gouverneur de Provence, président des Etats. Les Forbin dominent partout, amiraux, chevaliers, archevêques, propriétaires. Palamède réduit le parti pro-René II. Mais ces succès attirent la haine. A la mort de Louis XI (1483), il tombe en disgrâce. Les Beaujeu l’expulsent du pouvoir. Il a eu cependant le temps de favoriser les siens, en particulier son frère puîné Jacques.
← ARMES : d'or, à un chevron d'azur, accompagné de trois têtes de léopards de sable, lampassées de gueules. Ecu choisi par Palamède quand il accède à la noblesse. Ce sera celui de tous les Forbin, laissant supposer qu’ils sont d’une noblesse bien antérieure. L’or signifie l’intelligence et la vertu, l’azur la fidélité, la persévérance, la loyauté. Le chevron symbolise les constructeurs, et le léopard, comme le lion, la justice, l’énergie au service du bien.
Trois léopards sont aussi le pouvoir. Palamède n’y est pas allé de main morte : Il clame l’extraordinaire réussite des Forbin au XVe siècle.
Jacques (Jaume en provençal) épouse en 1452 Marthonne Teinturier, dont la dot est prodigieuse, fille d’un gros négociant de Montpellier. Michel, frère de Marthonne est patron de la 1ière galère de Jacques Cœur. L’alliance Forbin - Jacques Cœur - roi de France est manifeste. Jacques est commerçant en droguerie et produits alimentaires. En 1480, il prête le serment de fidélité de la ville de Marseille devant le nouveau comte Charles III. Le 11 septembre 1482, il achète à son frère Palamède la seigneurie de Gardane pour 6000 florins. C’est le point de départ des Forbin-Gardane.
En plein chaos de la guerre de cent ans, l’archiviste aixois Pons de Rousset achète le domaine de Gardana. Puis il relance l’Union d’Aix contre Louis III d’Anjou. Accusé de crime de lèse majesté, Pons est décapité (1427), ses biens confisqués « maison avec vignes, oliviers, jardins, terres cultes et incultes, plaines et collines, étangs, prés, herbages, bois ». En tout, 270 hectares à Gardana. Louis III meurt en 1434 et son jeune frère René hérite. La famille Rousset crie au dédommagement. Il semble que René ait confirmé la confiscation, avec droit de rachat à ses successeurs. En 1482, Palamède cède le droit de rachat à son frère Jacques et lui offre le fief noble de Saint-Marcel2. Il est Jacques de Forbin, chevalier.
Premier consul de Marseille (1490 et 92), Jacques marche au ban de 1494-95, première guerre d’Italie, puis à l’arrière ban que Charles VIII convoque en 1498 avant de décéder. Son testament de 1492 ordonne qu’il soit enterré chez les Frères mineurs de Marseille (tombeau de Saint-Louis d’Anjou, entre les rues Tapis Vert et Thubaneau). Il meurt en 1495.
Son fils Charles reçoit Saint-Marcel et son fils Michel reçoit Gardane. Sa fille Françoise a été mariée à Antoine de Villeneuve (1493).
Michel a suivi son père aux ban et arrière ban de Charles VIII. Premier consul de Marseille en 1497 et 1514, il se distingue dans la défense de la ville quand le duc Charles de Bourbon, au service de Charles Quint, vient l’assiéger (1524). La cavalerie espagnole et le Quartier Général du connétable de Bourbon sont installés à Gardane, parce que les prés y sont abondants. Honoré de Puget vient y remettre les clefs de la ville d’Aix au connétable. Marseille résiste. Le tombeau de Saint-Louis est détruit. Les Espagnols s’en vont à l’approche des secours, non sans avoir laissé le terroir gardannais en piteux état. L’épouse de Michel, Marguerite de Rame, dame du Poët, est enterrée à Gardane. Michel teste en faveur de ses 6 enfants, plus un bâtard, Guillaume, à qui il laisse une maison et deux morceaux de vigne à Gardane.
← Essai de reconstitution de Gardane, 1482.
1 = Place aux Ormes, logis Forbin.
2 = Donjon (ruines)
3 = Ancienne enceinte.
4 = Petite porte de la Pousterle.
5 = Porte Saint-Victor et prieuré.
6 = Eglise Sainte-Marie.
7 = Chapelle Saint-Valentin.
8 = Porte basse.
9 = Petit Pesquier et chapelle Saint-Sébastien (9, 10, 12, 13 à Forbin)
10 = Grand clos, jas, étable et bief.
11 = Porte haute.
12 = Pradous. Moulin à eau.
13 = Grand pré.
Le logis gardannais des Forbin est celui de Pons de Rousset, amélioré par le roi René.
Michel s’est investi à Gardane. Avec son fils aîné Esprit, il a fondé une chapelle dédiée à Saint-Antoine dans l’église Sainte-Marie. Il a traité un échange avec Saint-Victor, donnant Saint-Estève (Payannet) et obtenant Saint-Pierre (Notre-Dame). Venu à la terre, il est le type des seigneurs provençaux de ces temps. Il laboure des terres abandonnées pendant 9 ans à cause de la soldatesque. Parfois il se loue et mène une vie rustique, à la romaine.
Son fils aîné Esprit est docteur en droit. Il semble confirmer le choix terrien de Michel. Il épouse en 1521 Madeleine de Villeneuve. Atteint de la peste, il se retire à Paillanet (orthographe marquant la francisation, après le rattachement à la France). Il donne 100 florins à son frère naturel Guillaume pour qu’il le soigne. Il meurt et il est enterré dans la chapelle Saint-Valentin, auprès de son épouse.
Son fils, François 1530-1548, seigneur de Gardane, est sourd et muet, sous tutelle de son oncle Charles. En 1539, il partage Gardane avec son parent Claude de Villeneuve1. Il meurt à 18 ans, son frère et sa sœur étant morts enfants.
Il faut remonter aux oncles. Or, les deux frères d’Esprit son morts sans postérité. Les quatre sœurs ne peuvent hériter, puisque l’on est passé sous le droit français en 1482.
Il faut remonter aux grands oncles (on dit aux oncles en mode de Bretagne). Charles, seul frère cadet de Michel, est mort en 1528. Mais il a une postérité masculine. Héritière de Saint-Marcel, elle hérite de Gardane. Le reste de l’héritage, non seigneurial, va à la grand-mère maternelle de François, Yolande de Sabran. Les Forbin-Gardane sont affaiblis.
La branche Jacques de Forbin cadette : 1548-1724 :
Michel Charles
Esprit Claude
François Jean Baptiste
Charles avait été consul de Marseille en 1492 et 1508. En 1512, il fut le député envoyé auprès de François 1er pour défendre le statut particulier de la ville. Il brilla, comme son frère dans la défense contre Bourbon. Il prit des parts dans les compagnies de pêche du corail.
La côte provençale possédait un corail rouge extrêmement prisé, en particulier au Moyen Orient. Les plongeurs et les artisans façonniers étaient marseillais. Avec Charles, nous retournons à la vocation politique, commerciale et maritime des Forbin.
Son aîné, François a été viguier de Marseille, mais il ne s’est pas marié et a testé pour son frère Claude. C’est donc Claude qui, en 1548, est le nouveau seigneur de Gardane. Pas pour longtemps, car il meurt avant 1550. Il a épousé Madeleine de Grimaldi en 1547, et en a eu un fils, Jean Baptiste. La veuve écrit au roi Henri II, à Blois, pour que celui-ci renonce au droit d’aubaine. En effet, Madeleine étant étrangère (de Beuil), l’héritage revient au roi. Souvent, celui-ci renonce, moyennant une taxe de 5 %. C’est ce qu’accorde Henri II. Ainsi, en 1550, le nouveau seigneur de Gardane est un enfant.
Un enfant précoce. A 18 ans, il se marie à Désirée de Lenche, fille du riche Thomas de Lenche (prononcé linjiu), fondateur de la Compagnie du corail (nous y revoilà) et du commerce avec Alger. Dès 1572, Jean-Baptiste est premier consul de Marseille, mais il s’occupe aussi de Gardane. Les guerres de religions font rage. Les Forbin et les Lenche sont engagés dans ce qui va s’appeler la Ligue, armée des catholiques extrémistes. Jean Baptiste fait réparer et rehausser le rempart gardannais, sacrifiant son logis, qui est hors les murs. Il a vu juste. En 1574, l’armée protestante du baron d’Allemagne (près de Vinon) assiège Gardane et ravage le plat pays. Derrière le rempart, les habitants sont sauvés. « Si je meurs à Gardane, je veux y être enterré » dit Jean-Baptiste.
Première insertion : Guerres de religion
Première insertion : Guerres de religion
L’hérésie était présente dans le Lubéron, la vallée de la Durance et les Alpes. En 1536, l’archevêque d’Aix Filhol fait brûler à Aix des gens de Villelaure, Pertuis, La Roque.
Forbin-Maynier, baron d’Oppède, de la branche aînée de Jean II, est à la tête du Parlement. Il s’entend avec le légat du pape et déclenche l’édit de Mérindol, qui est mis à exécution en avril 1545 : On tue, on viole, on expédie aux galères, sans distinction de religion. 3 000 morts, 670 galériens. A propos de Mérindol, Cabrières, etc., Clément Marot invente l’expression mise à sac.
C’est tout bon, Forbin récupère des terres et ses cousins des galériens.
Malgré tout, le protestantisme s’étend. Paul Richieu de Mauvans venge son frère supplicié à Aix et occupe Castellane (1560). Les catholiques ripostent par le seigneur de Flassans, Jean de Pontevès, bientôt comte de Carcès. A la bataille de Barjols, Carcès est mis en déroute et perd 600 hommes (1562). Il n’applique pas l’ordre de tuer pour la Saint-Barthélemy (1572) mais ravage les campagnes tenues par le gouverneur, le maréchal de Retz. A la mort de Charles IX (1574), les jeux se redistribuent. Là se situent le sac des terres de Gardane et la construction d’un fort qui sera plus tard embelli et bien plus tard appelé pavillon de chasse du roi René ( !) Les carlistes perdent à Cuers, Cabasse, Lorgues, Trans (1574), puis reprennent des places (1575).
Marseille est au cœur du débat. Le gouverneur de Provence Henri d’Angoulême favorise plutôt les riches et les protestants, alors que le petit peuple marseillais est catholique. Conduit par Philippe Altovitis, le peuple se révolte. Angoulême défie Altovitis en duel. Ils s’entretuent (1586).
Le duc d’Epernon remplace Angoulême. Son frère La Valette, commande l’armée royale. Carcès 1512-1582 meurt dans son lit à Flassans. Son neveu Vins le remplace. Le chef protestant Nicolas Mas-Castellane est tué devant son château d’Allemagne (1586).
Les 25-26 juin 1589, un grand combat oppose devant Grasse Vins à La Valette. JB de Forbin-Gardane se distingue à la tête de l’infanterie catholique, mais Vins est tué. Il se distingue à nouveau à la sortie du 6 juillet 1590 contre Epernon qui assiège Aix depuis Saint-Eutrope. En 1592, Casaulx ayant pris le pouvoir à Marseille, JB de Forbin prend position à Gardane avec 1400 arquebusiers et 400 cavaliers, mais il échoue à la porte d’Aix et les ligueurs repartent.
Henri IV se convertit au catholicisme et JB de Forbin se range à ses côtés, entrainant tous les Forbin. Il est député de Marseille auprès d’Henri IV en 1595. Il commande l’attaque du Pont de Béraud le 23 avril 1596 et force les premières barricades. Il se bat à Toulon pour le roi. Il dirige l’infanterie de Marseille et accueille Marie de Médicis quand elle débarque en France (1600).
Jean Baptiste de Forbin-Gardane meurt en 1601, à Marseille.
Sa veuve Désirée de Lenche teste à Gardane en 1605 devant le notaire Torcat. La rive droite du Saint-Pierre entre le Portalet et la porte Font du roi s’appellera quartier de Lenche. Elle a probablement acheté cet espace, où ses descendants vont installer la maison Forbin.
Elle a donné 10 enfants à Jean-Baptiste. Deux sont reçus chevaliers de Malte en 1586 (Pierre et Henri). Cet Ordre combattait contre la barbaresque qui pillait les navires marchands. Les Forbin plaçaient là leurs cadets, les rendant utiles à leurs aînés car ils étaient dénués d’héritage.
L’aîné Antoine, seigneur de Gardane, premier consul de Marseille en 1612, embrasse la carrière navale pour le roi. Son second mariage en 1606 l’allie à une grande famille, Lucrèce Adhémar de Castellane étant la fille de Louis de Monteil, comte de Grignan. Son frère cadet Henri le provoque en duel et le tue. Henri va se réfugier à Venise, mais il est arrêté et décapité (1628). Il ne faut pas trop s’étonner : L’époque est très violente. Par exemple, en 1612, Annibal de Forbin-La Roque défie Alexandre de Castellane-Allemagne, qui a 30 ans de moins que lui. Ils sont face à face un peu décalés. On lie alors leur bras gauche l’un à l’autre et on leur met un poignard main droite. Ils s’entretuent.
← Grande liesse à l’entrée d’une galère dans le port de Marseille, vers 1660.
Les trois fils d’Antoine seront sans postérité. Son cadet Louis 1610-1690 fut un grand marin. Reçu chevalier de Malte en 1628, il devint commandant de vaisseau dans la Royale. Louis XIV trouve des marins de premiers choix dans l’ordre de Malte.
Louis est dans l’escadre qui bat la flotte espagnole à Carthagène en 1643, puis dans celle qui est victorieuse en juin 1646. Corsaire de premier rang, il multiplie les prises. On le surnomme le Commandeur de Gardane, étant en fait commandeur de Malte et capitaine sous Tourville. Blessé à La Hougue en 1692, il meurt lentement de ses blessures.
Par manque d’héritier, Gardane passe à la branche cadette d’Antoine, celle de Charles, chevalier de Malte depuis 1628. L’engagement militaire se poursuit. Ces marins et hommes de guerre tirent un maximum de revenus de leur terre, n’hésitent pas à y amener la cavalerie, mais ne s’occupent ni des infrastructures, ni de l’illettrisme des populations. A côté, Trets, qui est sous le régime des communes, se porte bien mieux. Pour faire la guerre aux Protestants, Jean Baptiste avait même vendu une partie de son domaine (La Forbine à Valabre) à Barthélemy de Thomas-Milhaud, à la condition de n’y point bâtir de village (1573).
Les Forbin viennent épisodiquement collecter l’impôt ou s’abriter des épidémies. En 1629, Pierre, frère d’Antoine, écrit à propos de la contagion de la peste : « Est mort à Gardane mestre Jean Decaste, sa femme, 4 de ses filles, un sien valet. Est morte une fille de Michel Caire, puis lui, sa servante et son beau-frère Louis Icard »
Deuxième insertion : Les Galériens
Entre 1584 et 1638, soit en 52 ans, 21 Forbin sont entrés dans l’Ordre de Malte, dont 5 Forbin-Gardane. De plus en plus, les chevaliers passent dans la Royale (la marine de la France). Les bateaux, à l’exemple de Venise, sont des galées, capables de transporter des denrées précieuses. Elles possèdent deux forces motrices : Le vent et les galériens.
Une galère est longue de 45 mètres, large de 9. Elle porte 450 hommes (6). C’est dire la promiscuité. Elle possède 50 compartiments (24 à dextre, 26 à sinistre) de 2,3 mètres de long, 1,25 de large. Dedans, un banc, où sont attachés (par les pieds) 5 à 6 rameurs. C’est tout leur espace, logement et travail. La rame fait 12 mètres de long, 130 kg. Les hommes tirent par des poignées. La caisse se nettoie si des paquets de mer entrent. L’eau salée ronge les pieds des galériens. L’odeur est si effroyable, la vermine si grouillante, que tout le monde, officier compris, a la tête rasée. L’officier porte une canne dont le pommeau se dévisse et laisse échapper un parfum. Au menu, eau, biscuits de farine, fèves, celles-ci souvent moisies.
Au dessus et en balcon, un compartiment contient un soldat, qui surveille. Au milieu, un pont fait passer les fouetteurs. L’image explique pourquoi la dextre a 2 caisses de moins : On met à quai par ce côté, qui a donc un passage.
Qui sont les galériens ? Il n’y a plus de volontaires, comme au Moyen Age. Par contre, les esclaves abondent. Ils sont capturés en Afrique du Nord, Guinée, et même en Amérique (Iroquois). Le gouverneur Nicolas Arnoul organise des rapts de « fainéants et vagabonds. Cela nettoie le monde d’une ordure qui lui est fort à charge ». Des Gardannais ont été pris. Richelieu a préconisé que l’on condamne en priorité aux galères les trafiquants, opposants, meurtriers. Après la révocation de l’Edit de Nantes (1685), les protestants y passent. Pour donner une idée : La flotte en Méditerranée a 40 galères. Entre 1680 et 1715 (donc 35 ans), on remplace 3500 galériens (donc 100 par an). Cela se fait par 1550 protestants, 1100 contrebandiers, 850 raflés. On les enferme à la (Vieille) Charité, où la galère commence. Personne ne plaint la chiourme, qui est moins qu’un animal. Seul Molière évoque un problème : Que diable allait-il faire dans cette galère ? Les ¾ de l’année, la galère est au port, à Marseille (parfois à Toulon). Cela donnera l’idée du bagne.
Troisième insertion : Les Cascavéou, la belle du Cannet
Troisième insertion : Les Cascaveou. La belle du Cannet.
Vincent-Anne de Forbin-Maynier 1579-1631 est un Forbin-La Fare qui lave à nos yeux la sombre image laissée par son grand-père maternel Jean de Forbin-Maynier à Mérindol (voir guerres de religion). Cette branche est celle des parlementaires. Entré au Parlement en 1615, il en devient premier président en 1621. Nous racontons d’autant plus volontiers la suite qu’elle se passe au moment de la construction du château de Valabre. En 1629, la peste éclate à Aix. Des parlementaires fuient, pas Vincent-Anne. Richelieu fait paraître l’Edit des élus, qui retire la perception des impôts au Parlement au profit des agents royaux. Deux camps se forment, l’un acceptant, l’autre refusant. Début septembre 1630, le Parlement refuse l’Edit (sous la conduite de Charles de Thomas-Milhaud, constructeur de Valabre). Arrive l’agent du roi, reçu par Vincent-Anne dans son hôtel. La foule envahit l’hôtel et fait tinter des grelots (cascavéou en provençal). Affolé, l’agent fuit par le toit. Le roi envoie Condé avec 5000 hommes pour « négocier » cette affaire. Le prince descend vers la Provence et rencontre en Avignon les présidents du Parlement et des Comptes. Pendant l’entrevue, Vincent-Anne meurt subitement d’apoplexie. Depuis, les Aixois sont appelés les Cascaveou.
A cette époque vivait une jeune fille qui deviendra célèbre dans son siècle : La Belle du Cannet. Elle était une Forbin, Lucrèce de Forbin-La Barben, descendante de Palamède à la 6ème génération. On la marie en 1640 à Henri de Rascas, seigneur du Cannet des Maures. Ses trois sœurs cadettes, moins chanceuses, sont placées religieuses à La Celle. En 1650, Lucrèce est veuve et encore très belle. Louis de Vendôme, duc de Mercœur la rencontre et tombe amoureux d’elle. Il est gouverneur de Provence, petit-fils d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées.
← Pavillon Vendôme, dessus de l’entrée. Tête en pierre de Calissanne, interprétée comme portrait de la Belle Lucrèce. La bouche ouverte est un signe.
Son épouse, Laure Mancini, nièce de Mazarin, est morte. Tous deux se consolent vite de ces deuils. Il fait construire en dehors d’Aix ce que nous appelons le pavillon Vendôme (1652) et il décide d’épouser la belle. La chambre contient 22 miroirs, sur les murs et au plafond. Mais cette liaison contrarie Mazarin et Louis XIV. On décide le pape de faire de Vendôme un cardinal ! Louis finit par accepter, mais le nouveau cardinal demeure dans son pavillon. La nuit, trois personnes voilées et masquées le rejoignent. Les paysans les surnomment lei machotte (les chouettes). Vendôme use et abuse. Dans la nuit du 6 août 1669, le cœur cède. Les paysans concluent : Lei machotte an tua lou gran duc (les chouettes ont tué le grand duc). On ne sait pas si la belle du Cannet faisait partie de ces dames. Notons que Meyreuil revendique la belle pour son quartier du Canet. Pourquoi pas, si Rascas possédait aussi cette terre et qu’il lui en avait donné le nom ( ?) La perte d’un n n’est pas décisive à cette époque.
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Charles de Forbin-Gardane a épousé en 1604 Claire de Salomon. Les épidémies redoublent et ils sont souvent à Gardane. Ils établissent leur testament devant le notaire Turcat. Elle meurt et il se remarie en 1626 à Eguilles.
JEAN BAPTISTE DE FORBIN + Désirée de Lenche
ANTOINE* Pierre Henri CHARLES* + Claire de Salomon
Gaspard* Louis PIERRE* Germain* Charles
1610-1690
Gaspard* Louis* JEAN* Claude*
* : Lieutenant des galères du roi
Corsiva: Chevalier de Malte
MAJUSCULE : Seigneur de Gardane
Ce tableau donne un aperçu du lien qui unit les Forbin-Gardane aux marines militaires. Encore est-il incomplet. La sœur d’Antoine épouse Hercule de Mathéis, seigneur du Revest des Brousses. Leur fils François est commandeur de Malte († 1656). Retenons aussi Paul-Albert de Forbin-La Barden, bailli, chevalier de Malte, lieutenant des galères de Louis XIII, commandeur de Marseille, l’un des plus grands marins de son temps (2).
Germain, capitaine de vaisseau a longtemps commandé la marine à Rochefort. En 1692, il perd un œil au combat de la Hougue. Il est alors Le Borgne de Forbin. Il meurt en 1695.
← Vaisselle retrouvée dans les épaves de la Hougue.
L’aîné, Pierre, épouse en 1635 Anne de Mérigon à Marseille. Il est officier sur les bateaux du roi et meurt à Gardane en 1663. Son père Charles et ont consacré un peu de temps à Gardane. Ils ont fait abattre une partie des remparts, ce qui ouvre les rues Kruger et Puget. Vers 1645, ils construisent un nouveau logis, quartier de Lenche (27-29 rue Puget), celui de la place Ferrer étant depuis longtemps inhabitable. Modeste, marquant l’étroitesse financière des Forbin, ce pied-à-terre est cependant la seule maison de Gardane à posséder une cour et une écurie, la première à tourner sa façade vers la lice.
Trois des enfants de Pierre naissent dans cette maison (Louis 1649, Claude 1656, Marie 1658). Pierre meurt dans sa maison neuve, à un moment où la situation est critique. Les habitants aspirent à se prendre en compte, à faire commune. Les choses vont mal entre le roi et la Provence. Le Parlement et la noblesse provençale sont des terriens, des nobles d’Aix et des villages. Ils sont contre la domination centralisatrice du roi. Les Forbin sont des marins, des militaires, fidèles depuis toujours aux rois. Les bourgeois négociants marseillais sont aussi contre le roi, à cause des taxes.
Les Gardannais demandent à négocier des droits. Les refus occasionnent des troubles. En 1666, les habitants envoient à Paris deux représentants porteurs de la lettre suivante au roi : Il y a deux ou trois mois, par violence et voies de fait des seigneurs contre les habitants, leur démolissant leurs viviers, écluses, fosses, les privant des eaux pour l’arrosage de leurs terres, de laquelle ils avaient joui de tout temps, les réduisant à quitter leurs maisons…(7)
Les trois coseigneurs ont agi de concert, avec des hommes de main : Les de Forbin, les de Gautier qui ont racheté aux Thomas-Milhaud, les d’Arbaud-Jouques qui ont racheté aux Forbin-Villeneuve où est aujourd’hui la mairie plus le clos Reynaud.
Louis XIV envoie Vendôme, qui arrive à calmer Aix. Il vient en 1660, fait construire les forts Saint-Jean et Saint-Nicolas pour surveiller Marseille. Posséder Gardane, entre la capitale aixoise et le port international est une aubaine militaire et financière. Pour ne pas froisser les Forbin, il suffit de les dédommager, car ils manquent d’argent. Il commence par encaisser des pots de vin. Puis il fixe le prix à payer par la Commune : 134.492 livres, une somme énorme (1669). Son valet de chambre Alexandre Bontemps (qui a des cousins à Gardane), n’a pas de rôle modérateur. Alexandre, Claude de Forbin et le roi restent très bons amis. L’affaire est conclue. Il n’y a plus de seigneur à Gardane.
Le village est une Communauté, administrée par des consuls élus et des agents. Forbin, Gautier et Jouques sont de simples propriétaires. Mais après maintes péripéties, le village ne peut payer. La Communauté est alors incorporée à la couronne (le tour est joué). Les lettres GAA du blason (Gardana) sont remplacées par trois lys. Le village a de nouveau un seigneur : Le roi. Jean et Claude de Forbin déposent un nombre dans fin de plaintes. Exemple : On a arraché leurs armes sur le banc de l’église (1713). En 1717, un édit royal supprime les consuls et met en vente les offices municipaux. L’endettement étant faramineux, les taxes augmentent et le « service public » se réduit. Trois années terribles ajoutent de la misère à la misère. En 1689, il faut loger les troupes royales. En 1690, le gel tue les oliviers. En 1699, une épidémie emporte 60 Gardannais. Par contre, la peste de 1720 est évitée.
Pour Gardane, l’héritier de Pierre n’est pas son puiné Charles, qui est mort, ni le suivant Gaspard 1639-1707, ni le suivant Louis 1649-1695. On sent que ce village a moins de rapport et donc moins d’intérêt. Gaspard, lieutenant des galères, fixé à Marseille et Saint-Marcel, passe pour l’un des plus beaux esprits de son siècle. Son salon est renommé. Louis est un grand marin. Capitaine dans la Royale, second de Tourville, il est de tous les combats, dont celui de la Hougue où son oncle perd un œil. Il est blessé au combat de la Manche. En 1693, il coule un vaisseau hollandais de 60 canons. Ni lui ni Gaspard n’ont de postérité.
Jean, né en 1650 seulement quatrième fils, a été placé dans les Ordres. Il quitte l’Eglise et s’engage dans la 1ère compagnie des Mousquetaires du roi. Il est présent au combat de Cassel, mais ses gènes sont marins. Il devient enseigne de vaisseau puis capitaine de frégate. Souvent malade, il préfère quitter le service. Il gère alors l’affaire gardannaise.
Le village est inexpérimenté, surendetté, paralysé par les procès que lance Jean (il en fera 7). Les temps sont très difficiles.
En 1701, au mariage de Christophe Vaussan et de Claire Viou, les témoins sont Pierre de François (notre rue de François), avocat à la cour, noble Jean Car, conseiller du roi, Antoine Rémusat et Jean de Forbin-Gardane, neveu de Jean. Ce Jean (22 ans) écrit Gardanne avec 2 n, comme son oncle en 1693. On mettra encore un seul n pendant un siècle, mais petit à petit l’orthographe actuelle prend place.
En 1713, Jean épouse à Aix Elisabeth de Gaillard. En 1722, il teste devant Canety, notaire à Gardane. Il meurt en 1724.
Son frère puiné Claude est l’un des Forbin les plus célèbres (4 & 5). Il naît à Gardane le 6 août 1656. Dans ses mémoires (4) il raconte un événement survenu Grand Rue (Puget), lorsqu’il avait 10 ans : Un chien enragé qui effrayait tout le voisinage, vint sur moi la gueule écumante. Je l’attendis de pied ferme et, lui présentant d’abord mon chapeau, je le saisis par une jambe de derrière et je l’éventrai d’un coup de couteau en présence d’une foule de gens qui étaient venus pour me secourir.
← Claude de Forbin, par Antoine Graincourt. Musée de la marine. Il arbore la croix de saint Louis, obtenue en 1699, quand il fut chef d’escadre sous Ponchartrain. Graincourt ne traduit ni le courage ni la haine.
Orphelin de père, apparemment fort malheureux dans la maison gardannaise, Claude quitte à 11 ans Gardane pour ne plus jamais y remettre les pieds. Il devient capitaine d’une galère sous les ordres de son oncle Germain. Il enlève une jeune fille, tue en duel le chevalier de Gourdon (1680) qui veut le punir. Condamné à mort, il est absout par Louis XIV sur intervention de son parent, le cardinal de Forbin-Janson. Il voit le roi et Bontemps, sans rancune, et obtient de servir sous Duquesne. Il pousse son frère Jean à ne pas transiger avec Gardane.
En 1685, il amène des jésuites au Siam, où il devient une sorte de roi. Mais il préfère repartir.
En 1689, il combat avec Jean Bart et tous deux sont faits prisonniers par les Anglais. On leur passe une lime, ils s’évadent, Forbin allant immédiatement à Versailles se faire admirer. Sous Tourville, il combat à Béveziers et la Hougue (1692). Il devient l’égal et le rival de Duguay-Trouin. En 1707, il va au delà du cercle polaire.
Il a été un grand corsaire, un homme très courageux, mais il a été rejeté par tous, tant il est haineux et vindicatif. Eugène Sue, historien de la marine, le décrit ainsi :
« Au physique, M. de Forbin réunissait toutes les qualités qui distinguent l'homme de guerre; il avait un fort grand air; il était vif, nerveux, alerte ; sa taille souple et dégagée était élégante, et il avait singulièrement réussi dans tous les exercices d'académie; son teint brun, ses sourcils prononcés, son œil noir fixe et hardi, sa lèvre haute et dédaigneuse cadraient merveilleusement bien avec la raideur et l'imperturbable audace de son caractère, qui loin de se modérer était plus entier que jamais; a cette impatience naturelle, poussée jusqu'à l'exaspération par la moindre contrariété, s'était joint un sentiment incurable d'envie et de jalouse rivalité contre tous les marins de son temps, en un mot, l'orgueil le plus insultant et le plus effréné pouvait passer pour de la modestie auprès du suprême mépris que M. de Forbin témoignait aux autres officiers du corps de la marine[]. »
Tous les commentateurs confirment ce côté hautain et haineux. Son biographe (5) avance une cause : Dans son enfance, il aurait voué une haine farouche aux Gardannais dans leur lutte pour leurs droits, haine qui aurait été le moteur de toute sa vie. Au XVIIIe siècle, on parlait plutôt de louanges exagérées et d’acceptation des caprices du petit orphelin, ce qui l’aurait rendu vaniteux. Il meurt à Marseille en 1733, après avoir rédigé des mémoires pour le moins avantageuses (4). Peu après est construite la caserne Forbin à Aix. Peut-on supposer qu’un marin ait donné son nom à un bâtiment d’infanterie ? Les 8 navires de guerre qui ont porté le nom de Forbin viennent par contre bien de lui, comme une rue du 3ème arr. de Marseille et la rue du Siam disparue au percement de la rue de la République.
Les derniers Forbin 1724-1823 :
L’héritage passe aux fils de Jean, trois garçons qui sont militaires, les deux cadets chevaliers de Malte, sans postérité. Ils ne sont plus seigneurs de Gardane, mais on trouve encore le titre de marquis de Forbin-Gardanne, pour distinguer des autres branches.
L’aîné est Palamède de Forbin 1715-1779, militaire d’épée, marquis, comte de Forbin, grand sénéchal d’épée de la ville de Marseille. En 1751, il épouse à Marseille Perrette de Félix la Ferratière, dont il aura 8 enfants, 3 garçons, 5 filles, tous nés à Marseille. A Gardanne, il ne possède plus que la maison Grand rue et des terres « à la chapelle Saint-Estève » car le « grand pré aux mûriers » (boulevard Forbin, Pont de Péton, Jules Ferry) est vendu à François Pontier. Le fils de celui-ci sera maire de Gardanne en 1821-25. La petite-fille Madeleine sera la veuve Pontier, qui devra vendre pour laisser passer le grand chemin, futur boulevard de Forbin.
Quatrième insertion : Le radeau de la Méduse
Quatrième insertion : Le radeau de la Méduse
Auguste de Forbin-La Barben 1777-1841 voulait être peintre. Enfant, on le plaça à Aix auprès de Constantin. La révolution incita quelques seigneurs aixois qui se sentaient mal aimés à partir. Son père, son frère et un parent, André d’Arbaud-Jouques, ex-président du Parlement d’Aix, ci-devant seigneur de Gardanne, décident de fuir à Lyon en amenant Auguste, 16 ans, qui prend alors des cours chez Boissieu (1791). Arrive le terroriste Fouché qui les fait guillotiner devant Auguste (1793). Ce dernier part à Paris et devient l’élève de David.
En 1805, notre beau et blond Auguste abandonne son épouse. Il rencontre Pauline Borghèse, sœur de Napoléon, libre elle aussi. Leur liaison est le best-seller des chroniques de ce temps. L’empereur fait un chambellan de l’amoureux. En 1806, Auguste reçoit tout le gotha de l’époque dans l’hôtel Forbin du cours Mirabeau. Pauline est là, le duc d’Otrante aussi, qui n’est autre que Fouché reconverti en policier de Napoléon. Auguste l’accueille : C’est un homme riche, honnête et valeureux, déclare-t-il (8 et 9). Les pages se tournent vite …
Si vite, qu’en 1807 Pauline préfère ailleurs. Voici Auguste contraint d’être militaire (Portugal, Espagne, Allemagne). En 1810, il s’efface et se remet à la peinture. En 1815, il montre son attachement aux Bourbon. En 1816, il devient directeur des Musées Royaux.
Là se situe le drame de la Méduse. Ce navire et trois autres allaient installer des Français au Sénégal. Le 2 juillet 1816, par erreur de navigation, il touche un fond de sable. Le capitaine Chaumareys fait abandonner le navire le 5 juillet, pensant plus à sauver le piano de sa fille que les soldats. Les canots étant insuffisants, on réalise un radeau de 20 mètres sur 7, chargé de 146 hommes et d’une femme, radeau ingouvernable qui flotte à -20 cm et qui part au large. Certains tombent à la mer, d’autres sont poussés. On perd 20 personnes dès le 1er jour. On se bat dès le deuxième (-60 hommes, la cantinière jambe cassée). Les 2 jours suivants font 12 morts, et certains sont mangés. Après les batailles du cinquième jour, il reste 30 passagers. On décide d’éliminer les faibles, dont la cantinière. Restent 15 hommes. Au treizième jour, le navire Argus trouve le radeau.
L’affaire fait grand bruit. Les opposants dénoncent l’incompétence et le mépris des chefs nommés par le pouvoir légitimiste. Les Bourbon minimisent et taisent l’affaire (Chaumareys n’aura que 3 ans de prison). Le jeune peintre Géricault s’empare du sujet.
Le tableau est présenté au salon de 1819. Le titre a été censuré. Il est devenu Un naufrage. Il est vilipendé. On a osé ouvrir les portes du musée à cette effrayante croûte ! Car l’œuvre est doublement révolutionnaire, sur les plans pictural et politique. Elle est émouvante, pathétique, en violation avec les usages. Elle est réaliste, témoin de l’actualité, engagée auprès des victimes contre la bêtise. Elle déclenche une polémique non voulue par l’auteur. Les romantiques admirent l’énergie, le combat avec la mort. Les libéraux rappellent les erreurs de l’expédition. Les peintres officiels trouvent que l’on peint n’importe quoi n’importe comment. Les légitimistes veulent bruler cette toile morbide et immorale. Le vicomte Dubouchage reconnaît dans un visage celui de l’éditeur Corréard, qui est son ennemi. Il va voir Auguste, Directeur du salon. « Est-ce pour m’insulter que vous avez permis à je ne sais quel peintre d’exposer le visage de Corréard ? D’ici deux jours, si ce portrait n’est pas répudié, je ferai retirer le mien et j’engagerai tous les hommes monarchistes à en faire autant. Votre salon sera désert ». Auguste ne retire rien.
Géricault s’exile en Angleterre avec son tableau. Londres admire le sujet, qui ridiculise la marine française. Géricault devient un traitre au royaume. Il rentre en 1823 et meurt l’année suivante. La vente posthume ne trouve pas d’acquéreur. Finalement Pierre Dedreux Dorcy, ami du peintre, l’achète pour 6000 F puis il a toutes les peines du monde pour le vendre au Louvre.
Auguste soutient les peintres romantiques et admire Géricault. Mais il est très mal placé, car le Radeau reste pour certains la honte de la France. Finalement, il l’achète 6000 F.
L’immense tableau (35 m2, 491 x 716 cm) devient très vite l’un des plus célèbres du musée.
Forbin s’est honoré en étant un bon administrateur des musées royaux. Il a par exemple acheté La barque de Dante, de Delacroix.
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Frère de Palamède, Gaspard-Anne est chevalier de Malte, colonel d’infanterie en Allemagne, Bavière, Flandres, actif aux combats de Fontenoy, Lawfeld, Tournai, Oudenaerde, Dendermonde et finit Major général des troupes terre et mer de Malte. Son cadet Henri Fortuné semble le suivre partout (il est blessé à Lawfeld). La caserne aixoise pourrait avoir pour prénom Gaspard-Anne.
Malgré les 8 enfants de Gaspard-Anne, la branche des Forbin-Gardane va s’éteindre. L’aîné Pierre Paul 1751-1773, comte de Forbin, capitaine de cavalerie dans le régiment Royal-Lorraine meurt à 22 ans à Paris. Le deuxième, Gaspard 1756-1818, chevalier de Malte, est garde de la marine à Toulon, grand sénéchal d’épée de la ville de Marseille. Il est sans postérité.
Le troisième, Fortuné 1769-1823, hérite du titre. Il est militaire, lieutenant-colonel de la garde royale (1820). A sa mort, la continuité par les mâles depuis Jacques s’éteint. Saint Marcel passe aux Forbin d’Oppède.
Des cinq filles, l’aînée Adélaïde hérite de Gardanne. Née en 1753, elle a épousé Joseph Marcilly mais elle est devenue veuve et s’est retirée à Gardanne, à partir de 1791, à cause de la Révolution (probablement le seul cas de résidence permanente des Forbin). Elle estime la situation plus sûre à Gardanne qu’à Saint-Marcel. Elle est la 3ème plus riche propriétaire de Gardanne, après Alphonse de Gueidan et Jacques Bourrelly.
← Maison des Forbin, 30, bd de Forbin. Une des toutes premières à génoise. Entrée Grand rue, mais pièces tournées vers le soleil levant. Deux étages semblables, où le salon et les chambres de bonnes ne sont pas soulignés. C’est un logis temporaire, un lieu de refuge.
La cavalerie prend souvent ses quartiers d’hiver à Gardanne. En 1808, il faut loger les soldats, les capitaines choisissant les maisons confortables. Jean Millière, officier de 23 ans originaire de Dijon, couche chez la veuve Marcilly, 55 ans. Il ne repartira plus. Mariage à Gardanne en décembre 1809. Il est veuf en 1831, riche et encore jeune. Félicitations. Il quitte Gardanne.
Le nom de Lenche n’a pas duré. On dit lice Saint-Pierre. A sa création, Octave Valette donne au boulevard le nom de République. Napoléon III l’interdit et Valette choisit alors Forbin. Le nom désigne le seul côté rive gauche, qui n’est pas celui de leur maison. Il faut donc supposer qu’il fait allusion aux anciens propriétaires du Grand pré, et non au mythe héroïque de Claude, dont les malversations n’étaient pas oubliées.
En 1792, le blason des Forbin de l’entrée Grand rue a été martelé, seul acte violent à Gardanne. Comme quoi le peuple avait en mémoire les terribles années 1673-1750.
Références : (M) = A la médiathèque de Gardanne
1 Pierre Le Roy, Palamède de Forbin, seigneur de Solliès, France Europe Edition, 2003. (M)
2 Claude Petiet, Le bailli de Forbin, Editions Lanore, 2002.
3 Wikipedia et rues d’Aix place Forbin.ag13.pages perso, Auguste de Forbin.
4 Claude de Forbin, -Mémoires-, Mercure de France, Paris, mars 2007. (M)
5 Gérard Jaeger, Claude de Forbin corsaire du roi, Editions Glenat. (M)
6 André Zysberg, Gloire et misère des galères, Découverte Gallimard n°30.
7 Eric Lebreux, Institutions communales et élites municipales, Gardanne 1758-1790,
Mémoire de maîtrise d’histoire, faculté d’Aix, 1992. (M)
8 Marcel Provence, Le cours Mirabeau 1651-1951, 1951 (M)
9 Roux-Alphéran, Les rues d’Aix, Les Presses du Languedoc, 1985
Note 1
Le testament de René fut décisif. Sans entrer dans le détail des lois de succession, disons que René avait pour la Provence deux possibilités. 1) La garder indépendante. En ce cas, il la léguait à son petit-fils René II, duc de Lorraine. 2) L’annexer à la France. Il désignait alors son neveu, le roi Louis XI. Le lien Lorraine-Provence lui paraissait ingérable, les pays étant trop distants. Il reconnaissait les avantages pour la France et la Provence d’être associées, mais il ne voulait pas favoriser Louis XI, qui lui avait fait tant de tort. Palamède trouva la solution : Il testerait pour un autre neveu, Charles du Maine. Ce Charles était malade et sans enfant. Secrètement, Louis XI et Palamède firent le testament de Charles : Il léguait tout à Louis XI. Comme par hasard, Charles mourut un an après René.
Si l’on se réfère aux mots d’aujourd’hui (histoire, culture, civilisation), le testament devait choisir entre une vision méditerranéenne d’oc (Barcelone, Marseille, Gènes, Naples), artisanale, commerçante et artiste, contre une vision franque d’oil (Lyon, Paris), organisée, centralisée et militaire. Le sort en fut jeté : La Provence devint française et la Méditerranée essaya de s’unir à partir de l’Espagne de Charles Quint, trop tard et trop ibérique.
Note 2
Saint-Marcel appartint longtemps à la famille des Baux, qui y avaient édifié un château. En 1435, Jean 1er Forbin achète le domaine à Alex des Baux. Il le lègue à Jacques. Il reconstruit complètement le château, qui prend le nom de La Forbine. Il sera agrandi en 1761 et refait complètement en 1865 par les Forbin d’Oppède. Louis, le dernier de cette branche, y meurt en 1900. Il était aussi légitimiste et discret que son épouse était libérale et mondaine. Cependant, les Forbin vivent dans Marseille, Grand rue (future rue du Siam), dans l’hôtel construit en 1450 par Jean. Claude de Forbin s’y installe en 1689, à son retour du Siam, d’où le nom. Il y meurt en 1733. Avec le percement de la rue Impériale (1862), l’hôtel disparaît. On en récupère les superbes fenêtres à meneaux, que l’on installe à Saint-Marcel.
Note 3
Les Forbin-Gardane sont doublement parents avec les Villeneuve-Trans-Flayosc. L’épouse d’Esprit, et donc la mère de François, est Madeleine de Villeneuve, fille du marquis de Trans, tante de Claude 1511-1551, à qui François remet des terres. Mais déjà Esprit avait pour oncle Hélion de Villeneuve-Trans, qui avait épousé Bellone de Forbin 1426-1509, fille de Jacques, sœur de Michel. Le fils de Claude est Claude de Villeneuve 1547-1579, chef politique du parti catholique, gouverneur de Draguignan, ami du comte de Carcès et de Jean-Baptiste de Forbin. Les Villeneuve sont parfois cités comme coseigneurs de Gardane, associés aux Forbin, en particulier dans l’opposition à la Commune de Gardane.
← Entrée de la maison des Forbin 27, rue Puget. Vers 1645. Le blason a été martelé. Porte modeste par rapport au statut : Ces gens visent ailleurs.
LES FORBIN
Des Forbes (terre au comté d’Aberdeen) seraient venus s’installer en Bourgogne au XIVe siècle (Peiresc). Un descendant, Pierre Forbin, épouse Françoise d’Agoult. Leur fils est Guillaume Forbin († 1415), peaussier à Langres puis Aix et Marseille. Guillaume a trois fils.
1 Dragon († 1443) est peaussier à Marseille. Son fils Antoine n’a que des filles.
2 Bertrand 1385-1457 est un très riche armateur. Il soutient Louis III contre Aix et les Duras. En 1424, il arme un vaisseau contre Barcelone pour se venger du sac de 1423. En 1442-44 il est ambassadeur de Marseille à Naples, auprès de René, puis écuyer de René. Il a deux fils.
21 Jeannet († < 1469) est fils adultérin avec Andrinette Lartissut, une italienne d’Avignon avec qui Bertrand se marie en 1452. Jeannet a un fils, Louis († < 1531), consul de Marseille.
22 Honnorat († < 1513), député de Marseille auprès de Louis XI et de Charles VIII. Son fils Nicolas n’a pas de postérité.
3 Jean I 1387-1453, pelletier, marchand de corail, draps, toiles avec Rhodes et la Syrie, syndic de Marseille en 1424, consul en 1425-31-43, épouse d’Isoarde de Marini, dame de Trets. Après le pillage aragonais de 1423, il réaménage les quais avec dynamisme. Il est la branche souche des Forbin. Huit enfants.
31 Béatrix († 1428) du premier mariage avec Marguerite Davin.
32 Catherine. Postérité avec son deuxième mari, Louis de Merles. Leur fille Madeleine épouse en 1450 Accurse Maynier baron d’Oppède, président du parlement en 1507, troisième président à Toulouse en 1508. Leur fils Jean 1495-1558 est président du parlement en 1543-44, meneur de l’expédition génocide de Cabrières et Mérindol 1545. N’a que des filles.
33 Doucette, mariée à Onulphre de Brignoles.
34 et 35 Laurent et Etienne
36 Jean II († 1498), marchand international. Achète La Barben à René en 1474 pour 4000 florins. Consul de Marseille en 1488, défenseur des juifs (interdits en France) député aux Etats généraux de 1487, nommé par son frère gouverneur de Lambesc. Epouse Marthe delli Pazzi en 1447, fille du banquier Froso delli Pazzi. Il en aura 12 enfants, qui ouvrent les branches de La Barben, Janson, La Fare, d’Oppède, Sainte-Croix, Les Issarts et Bonneval.
37 Palamède 1430-1508 achète Solliès à Jean de Beauvau en 1468 pour 13000 florins et devient de Forbin. Ce Louis est bras droit de René, grand sénéchal de Provence. Palamède devient seigneur de Toulon, Le Luc, Porquerolles, Puymichel, Pierrefeu. Il sera vicomte de Martigues en 1481. Juriste international, précepteur du duc de Calabre, à Gènes et à Naples, maître rational, président de la chambres des comptes en 1470, chambellan de René, réformateur du système judiciaire de la Provence, il influe sur le testament de René. Homme de Louis XI, récompensé, il est gouverneur (1481-83), grand sénéchal de Provence (1483) à la mort de Charles du Maine. Il tombe en disgrâce à la Régence d’Anne de Beaujeu, qui s’appuie sur François de Luxembourg 1445- >1511, vicomte de Martigues, gouverneur de Provence 1491-93, époux de Louise de Savoie 1487. Palamède avait épousé en 1455 Jeanne de Castillon, Fille de Charles, italien très ami de René, baron d’Aubagne. Il en eut 7 enfants
371 Louis, conseiller de René et Louis XI, chambellan de Louis XII, ambassadeur vers l’empereur, le pape, gallican au concile de Latran, diplomate au traité de Fribourg 1516. Epoux de Marguerite de Grimaldi Beuil en 1485, mort à Lyon en 1521. Il a eu 8 enfants.
372 Cinq autres fils, alliances avec Glandevès, Castellane Esparron, Grimaldi de Beuil
373 Nicolas, mort à la bataille des îles d’Hyères en 1479, seigneur de Peyruis, Puymichel, Aubagne.
3711 Fils de Louis, François de Forbin 1499-1572, seigneur de Solliès qui devient marquisat, du Luc, chambellan de François 1er, épouse en 1525 Catherine d’Anjou, fille du bâtard Jean, dame de Saint-Cannat et de Saint-Rémy, marquise du Pont. Un fils Palamède II.
3712 Six filles qui épousent 4 Glandevès, 1 Pontevès, 1 Quiqueran.
37111 Palamède II, marquis de Solliès, gouverneur de Toulon, réduit Aix et Toulon à l’obéissance. Il a un fils Gaspard et trois filles.
371111 Gaspard 1552-1637, marquis de Solliès, du Pont, de Saint-Cannat et de Saint-Rémy, de la chambre du roi, gouverneur de Toulon, époux en 1586 de Claire de Pontevès de Carcès. Il se distingue aux batailles de Vinon et Allemagne et fait lever le siège du Puech au duc de Savoie. Il a 7 enfants.
3711111 Bernard de Forbin († 1646) marquis de Solliès, du Pont, de Saint-Cannat et de Saint-Rémy, gouverneur de Toulon, épouse en 1619 Désirée de Covet, fille du seigneur de Marignane. Bernard vend Saint-Cannat à Henri de Covet, son beau-frère, en 1646. 7 enfants.
37111111 Henri († 1653), et 4 filles
37111112 Jean († 1694) marquis de Solliès, du Pont, époux d’Anne d’Amat en 1657. Qui suit.
37111113 Lucrèce la belle du Canet, épouse en 1640 de Henri de Rascas, seigneur du Cannet
371111111 François, Louis-Palamède, Isabeau, Geneviève et 3 sœurs religieuses.
38 Jacques 1435- <1419. Epouse Marthonne Teinturier en 1452, fille d’un gros négociant de Montpellier et à la dot prodigieuse. Michel, frère de Marthonne est patron de la 1ière galère de Jacques Cœur. Jacques aura une liaison avec une inconnue de nous et une fille naturelle nommée Isoarde. Premier consul de Marseille en 1480, 90, 92. Charles d’Anjou et du Maine en reçoit le serment de fidélité. Se joint à ses frères dans la réduction de la Provence à l’obéissance du roi et fait déclarer Marseille du parti de Louis XI. Achète Gardane pour 6000 livres le 11 septembre 1482 à son frère Palamède. Marche au ban (1494-95, première guerre d’Italie) et à l’arrière ban que Charles VIII convoque en 1498 mais qui décède. Son fils Charles prend des parts dans les compagnies de pêche du corail. Jacques teste en 1492 ordonne qu’il soit enterré chez les Frères mineurs de Marseille, que Saint-Marcel aye à Charles et Gardane à Michel. Il meurt en 1495 ou 1498 ou après.
381 Michel. Comme son père, il est au ban et arrière ban de Charles VIII. Il est premier consul de Marseille en 1497 et 1514. En 1524, quand le duc de Bourbon vient assiéger Marseille, il se distingue. Son épouse Marguerite de Rame est enterrée à Gardane.
Jacques est le frère cadet, commerçant en droguerie et produits alimentaires. Il achète Gardane pour 6000 livres et reçoit Saint-Marcel. Son fils Charles prend des parts dans les compagnies de pêche du corail. Son fils Jean-Baptiste est d’abord ligueur comme tous les Forbin. Il se rallie à Henri IV dès la conversion et il se bat pour lui à Toulon. Son retournement entraîne toute la famille. Son fils Gaspard sera gentilhomme de la chambre (les Forbin-Solliès ont une charge à la Cour et ils sont gouverneurs de Toulon).
Louis 1610-1690 est commandeur de Malte, capitaine de vaisseau avec Tourville. Blessé à La Hougue en 1687, il meurt de ses blessures. Son neveu Claude 1656-1723 est un grand marin mais un homme rejeté de tous tant il est haineux et vindicatif.
En 1612, Annibal de Forbin-La Roque se bat au couteau bras gauches attachés contre Alexandre de Castellane baron d’Allemagne. Ils s’entre-tuent.
Antoine († > 1612) et Pierre de Forbin-Gardane († 1628), frères, sont reçus chevaliers de Malte en 1586. Henri est reçu en 1597. Henri de Forbin-Gardane après 1612 tue son frère Antoine en duel. Réfugié à Venise, il est décapité (1628). Leur sœur épouse Hercule de Mathéis, seigneur du Revest des Brousses. Leur fils François est commandeur de Malte († 1656).
Louis, fils d’Antoine est l’un des meilleurs marins de la Royale.
1673. Gardane, ayant fait commune, est directement rattachée à la couronne de France. Le seigneur local perd ses droits. Claude de Forbin en est fort aigris et se jette dans l’aventure.
1674. Jacques d’Arbaud, ex co-seigneur de Gardane, épouse en la chapelle San-Sébastian Marguerite Maurel du Chaffaut, propriétaire de Jouques. C’est le départ des d’Arbaud-Jouques, grande famille provençale au XVIIIe siècle. Un de ses membres, président du Parlement, époux d’une Forbin la Roque, sentant l’hostilité des Révolutionnaires aixois, fuit à Lyon avec sur beau-frère Palamède de Forbin. Ils tombent sur Fouché et sont guillotinés, pendant que l’oncle Bacchi d’Arbaud-Jouques est lui aussi raccourci à Aix (1793) Le piquant de l’histoire est qu’Auguste, fils de Palamède et neveu du président, farouche bonapartiste comme Fouché, reçoit ce dernier dans son hôtel du Cours Mirabeau, avec tout le gotha de l’époque, et traite Fouché d’homme riche, honnête et valeureux.
1698. Le curé Fouque célèbre dans l’année 66 naissances, 52 décès et 5 mariages. Charles Laurin épouse Anne Colomb, fille de Barthélemy Colomb, cordonnier, absent depuis 16 ans. Maître Bourgal est notaire, Melchior Bourgal est conseiller, Guillaume Baret viguier. Pierre Ricard cordonnier. Marcellin de Grans, travailleur, épouse Marie Garaguyon. Charles Samat travailleur, épouse Catherine Bibal. Joseph Isnard épouse Suzanne Pinatel. Nicolas Convert de feu Sauveur et Anne Mérentier épouse Claire Chabert de Honorat et Jeanne Raynaud.
1699. Une épidémie fait monter les décès à 95. Il n’y a plus que 3 mariages, aucun de mai à octobre, la période pourtant traditionnelle.
1701. Jean Laurent Moutonier est le docteur en médecine, fils de Jean Moutonier et de Catherine Deleuil. Pierre de François est avocat à la cour. Jean de Forbin-Gardane et Jean Car sont secrétaires du roi, Louis Marin est viguier. Claude Rouvier est cordonnier, Antoine Rémusat est souvent cité comme témoin des actes.
1704. Mort de Marguerite Bontemps 1612-1704, nièce d’André de François.
1716. Naît Jean Claude de Forbin-Gardane, de Jean, marquis, et d’Elisabeth de Gaillard.
Les derniers Forbin-Gadanne : De Jean Baptiste à Fortuné
En 1548, Claude de Forbin est le nouveau seigneur de Gardane. Pas pour longtemps, car il meurt aussitôt. Il laisse une veuve, Madeleine de Grimaldi, et un enfant, Jean Baptiste. Or, Madeleine est étrangère (elle est de Beuil, Alpes maritimes, Savoie). Le droit d’aubaine accorde l’héritage au roi. Celui-ci peut renoncer, ou ne prendre qu’une taxe de 5 %. Madeleine écrit à Blois, où le roi Henri II déclare la conservation du bien par la veuve.
En 1550, le nouveau seigneur de Gardane est Jean Baptiste, 4 ans.
Un enfant précoce, doué, très actif. A 18 ans, il se marie à Désirée de Lenche, fille du riche marchand corse Thomas de Lenche (prononcé linjiu), fondateur de la Compagnie du corail, pionnier du commerce avec Alger. En 1572, Jean-Baptiste est premier consul de Marseille, engagé dans la Ligue contre les Protestants. Il est le second du comte de Carcès. Il fait réparer le rempart de Gardane et sacrifie son logis, qui est hors les murs. Il a vu juste. En 1574, l’armée protestante du baron d’Allemagne (près de Vinon) assiège Gardane et ravage le plat pays. Derrière le rempart, les habitants sont sauvés.
Le gouverneur de Provence Henri d’Angoulême favorise plutôt les riches et les protestants, alors que le petit peuple marseillais est catholique. Conduit par Philippe Altovitis, le peuple se révolte. Angoulême défie Altovitis en duel. Ils s’entretuent (1586).
En juin 1589, Jean Baptiste se distingue à la tête de l’infanterie catholique, d’abord au combat de Grasse, puis à la sortie du 6 juillet 1590 contre Epernon qui assiège Aix depuis le quartier Saint-Eutrope. En 1592, Casaulx ayant pris le pouvoir à Marseille, Jean Baptiste rassemble à Gardane 1400 arquebusiers et 400 cavaliers, mais il échoue à la porte d’Aix et les Ligueurs repartent.
Henri IV se convertit au catholicisme. Jean Baptiste se range aux côtés du roi, entrainant avec lui tous les Forbin et nombres de Ligueurs. Il est député de Marseille auprès d’Henri IV en 1595 (influence de Guillaume du Vair). Il commande l’attaque du Pont de Béraud le 23 avril 1596 et force les premières barricades. Il se bat à Toulon pour le roi. Il dirige l’infanterie de Marseille et représente le roi pour accueillir Marie de Médicis quand elle débarque en France (1600), suivie d’une armada d’Italiens.
Après une vie bien remplie, Jean Baptiste meurt en 1601. Il a eu le temps de faire 11 enfants à son épouse. Celle-ci achète une parcelle hors du rempart, lieu qui va devenir ‘le quartier de Lenche’.
Deux cadets ont été reçus chevaliers de Malte en 1586 (Pierre et Henri).
L’aîné Antoine, seigneur de Gardane, premier consul de Marseille en 1612, embrasse la carrière navale pour le roi. Il a un différent avec son frère Henri, qui le provoque en duel et qui le tue. Henri va se réfugier à Venise, mais il est arrêté et décapité (1628). Il ne faut pas trop s’étonner : L’époque est très violente. Par exemple, en 1612, Annibal de Forbin-La Roque et Alexandre de Castellane-Allemagne s’entretuent à coups de poignards.
Les trois fils d’Antoine seront sans postérité. Le cadet Louis 1610-1690 est un grand marin, chevalier de Malte, commandant de vaisseau dans la Royale. Il est dans l’escadre qui bat la flotte espagnole à Carthagène en 1643, puis dans celle qui est victorieuse en juin 1646. Corsaire de premier rang, il multiplie les prises. Il devient le second de Tourville. Blessé à La Hougue en 1692, il meurt lentement de ses blessures.
Gardane passe à la branche cadette d’Antoine, celle de Charles, chevalier de Malte. Ces marins et hommes de guerre tirent un maximum de revenus de leur terre, n’hésitant pas à y amener la cavalerie, mais ils ne s’occupent ni des infrastructures, ni de l’illettrisme des populations. Ils ne visitent Gardane que pour collecter l’impôt ou s’abriter des épidémies.
L’aîné Pierre, est officier sur les bateaux du roi. Il fait abattre une partie des remparts, ce qui désenclave Lenche, ouvre la Grand rue (Kruger et Puget) et gournot des pierres de construction. Vers 1650, il élève une maison au quartier de Lenche, 30, bd Forbin), logis qui s’ouvre au soleil et à la campagne. Sa modestie, marque l’étroitesse financière des Forbin. Elle est cependant la seule maison de Gardane à posséder une cour et une écurie. Les autres n’admettent que l’âne et la chèvre de la misère. Pierre y meurt en 1663.
Le village est dans une situation critique. Les habitants aspirent à se prendre en compte, à faire commune. La monarchie voit d’un bon œil cette perte d’autorité des seigneurs. Toutes les villes ont ce statut communal depuis longtemps.
D’autre part, les choses vont mal entre le roi et la Provence, et les Forbin ont une position très délicate. Le Parlement et la noblesse provençale sont des terriens, d’Aix, des Alpes, du Var, des villages. Ils sont contre la domination centralisatrice du roi. Les Forbin sont des marins, des militaires, pour le pouvoir du roi Soleil. Les bourgeois négociants marseillais sont contre, à cause des taxes.
Les Gardannais demandent à négocier des droits. Les refus occasionnent des troubles. En 1666, les habitants envoient à Paris deux représentants porteurs de la lettre suivante au roi : Il y a deux ou trois mois, par violence et voies de fait des seigneurs contre les habitants, leur démolissant leurs viviers, écluses, fosses, les privant des eaux pour l’arrosage de leurs terres, de laquelle ils avaient joui de tout temps, les réduisant à quitter leurs maisons…(7)
Les trois coseigneurs ont agi de concert, par des hommes de main : Les de Forbin, les de Gautier qui ont racheté Valabre aux Thomas-Milhaud, les d’Arbaud-Jouques qui ont racheté aux Forbin-Villeneuve où est aujourd’hui la mairie, le cours, le clos Reynaud.
Louis XIV savoure. Il a fait construire les forts Saint-Jean et Saint-Nicolas pour surveiller Marseille. Posséder ce village entre la capitale aixoise et le port international est une aubaine militaire et financière. Pour ne pas froisser les Forbin, il suffit de les dédommager, car ils manquent d’argent. Il commence par encaisser des pots de vin. Puis il fixe le prix à payer par la Commune : 134.492 livres, une somme énorme (1669). Son valet de chambre Alexandre Bontemps (qui a des cousins à Gardane), n’a pas de rôle modérateur. Alexandre, Claude de Forbin et le roi resteront en bonne amitié. L’affaire qui est conclue leur est profitable.
Gardane devient une Communauté, administrée par des consuls élus et des agents. Les droits seigneuriaux sont abolis. Les Forbin, Gautier et Jouques sont de simples propriétaires. Mais Gardane ne pouvant payer sa dette, la seigneurie est rétablie
L’héritage est passé aux fils de Jean, trois garçons qui sont militaires, les deux cadets chevaliers de Malte. L’aîné est Jean Claude Palamède de Forbin 1715-1779, militaire d’épée, marquis, comte, grand sénéchal d’épée de la ville de Marseille. La caserne aixoise pourrait avoir pour prénom ce Jean Claude Palamède. En 1751, il épouse à Marseille Perrette de Félix la Ferratière, dont il aura 7 enfants, 3 garçons, 4 filles, tous nés à Marseille. A Gardane, il ne possède plus que la maison de la Grand rue, des terres « à la chapelle Saint-Estève » et à Noire Dame, car le « grand pré aux mûriers » (boulevard Forbin, Pont de Péton, Jules Ferry) est vendu à François Pontier. Le fils de celui-ci sera maire de Gardanne en 1821-25. La petite-fille Madeleine sera la veuve Pontier, qui devra vendre pour laisser passer le grand chemin, futur boulevard Forbin.
Frère de Palamède, Gaspard-Anne est chevalier de Malte, colonel d’infanterie en Allemagne, Bavière, Flandres, aux combats de Fontenoy, Lawfeld, Tournai, Oudenaerde, Dendermonde. Il finit Major général des troupes terre et mer de Malte. Son cadet Henri Fortuné semble le suivre partout (il est blessé à Lawfeld).
Les deux tableaux de la Médiathèque évoquent ces batailles mais ne proviennent pas des Forbin.
Avec les 8 enfants de Palamède, va s’éteindre la branche des Forbin-Gardane.
L’aîné Pierre Paul 1751-1773, comte de Forbin, capitaine de cavalerie dans le régiment Royal-Lorraine meurt à 22 ans à Paris. La cause semble naturelle (?).
Gaspard Anne 1756-1818, chevalier de Malte, est garde de la marine à Toulon, comme son père grand sénéchal d’épée de la ville de Marseille. Il est sans postérité.
Fortuné 1760-1823 hérite du titre. Mais il émigre, et ses biens gardannais sont vendus.
A sa mort, la continuité par les mâles depuis Jacques s’éteint. Saint Marcel passe aux Forbin d’Oppède.
Des cinq filles, Adélaïde est l’aînée et hérite de quelques biens à Gardanne. Née en 1753 à Marseille, elle a épousé Joseph Marcilly mais elle est devenue veuve et s’est retirée à Gardanne à partir de 1791, à cause de la Révolution (probablement le seul cas de résidence permanente des Forbin). Elle estime la situation plus sûre à Gardanne qu’à Marseille. Elle est la 3ème plus riche propriétaire de Gardanne, après Alphonse de Gueidan et Jacques Bourrelly.
← Maison Forbin, 30, bd Forbin. L’une des toutes premières à génoise. Entrée Grand rue, mais pièces tournées vers le ruisseau et le soleil levant. Deux étages semblables, qui n’affichent pas le salon ni les chambres de bonnes. C’est un logis temporaire.
La cavalerie prend souvent ses quartiers d’hiver à Gardanne. En 1808, il faut loger les soldats, les capitaines choisissant les maisons confortables. Jean Millière, officier de 23 ans originaire de Dijon, couche chez la veuve Marcilly. Il ne repartira plus. Mariage à Gardanne 1er décembre 1809. Il est veuf le 15 mai 1831, à 43 ans,
Le nom de Forbin disparaît en 1823 à la mort de Fortuné. Celui de Lenche n’avait pas duré. On dit lice Saint-Pierre. A sa création, le boulevard Forbin ne désigne que le côté rive gauche, qui n’est pas celui de leur maison. Il faut donc supposer l’allusion aux anciens propriétaires du Grand pré, et non au mythe héroïque de Claude, dont les agissements néfastes n’étaient pas encore oubliés.
Mariage le vendredi 1er décembre par le maire Antoine Bourgal. Elle a 56 ans, il en a 23.
Témoins : Barthélemy Grognard né en 1779, huissier impérial
Rémi Gérard, né en 1777, percepteur
Antoine Gras, né en 1779, praticien
Claude Gouirand, né en 1779, receveur de l’enregistrement qui achètera à André Bailly le domaine Forbin de Notre Dame.
1841 n° 27-29 rue Puget (538) Jean Milhière, capitaine en retraite, propriétaire, veuf d’Adélaïde de Forbin. Cinq Locataires.
Le roi René et l’agriculture (1409-1480) Michel Deleuil
Janvier 2009
1. Le sentiment de la nature au Moyen-Age :
L’homme médiéval exerce l’agriculture comme un art, au sens de métier, au même titre que le tissage, la maçonnerie, la navigation ou la médecine (chronique d’Hugues de Saint-Victor, XII e siècle).
La nature policée par l’homme est amicale, dispensatrice d’un avant goût de la félicité céleste. Elle est le partenaire des humains dans leur passage terrestre, la contribution alimentaire et médicinale à leur survie, le théâtre du salut.
La nature sauvage est hostile, domaine du cri, de l’épine, du danger, de la foudre, des montres, des démons, des gargouilles. Elle est le froid, la peur, le péché, la maladie, le poison, la mort et la décomposition, le domaine du diable, le théâtre de la perte.
Les moines sont ceux qui connaissent le mieux les plantes et leur culture. Chaque monastère a son jardin. Théodore de Tarse (VII e siècle) a établi le plan du jardin bénédictin : Potager (hortus), jardin médicinal (herbularius), et verger (pomarium) servant de cimetière. La plupart du temps, les légumes sont cultivés dans de la terre surélevée, maintenue par un treillage, en plates-bandes de forme carrée. Parfois, un pré fleuri laisse libre cours à une pelouse et aux fleurs qui s’y produisent. Des haies ou des clôtures protègent du vent, des animaux, des regards indiscrets et des voleurs. Des biefs amènent l’eau d’arrosage. Une butte centrale (tabor) est parfois aménagée, pour donner une vue d’ensemble et distribuer l’eau.
L’hortus comprend les légumes pour la soupe au pain : Choux, navets, pois, fèves, lentilles, betteraves pour leurs feuilles, cardon, laitues, chicorées, épinards, poireaux, céleris raves, carottes, cressons, orties, mauve, plantain, pourpier, radis, ail, échalote, ognon, safran. L’artichaut n’est pas consommé. La vinaigrette n’apparaît qu’au XVe siècle.
L’herbularius contient les simples, c’est-à-dire les remèdes de base, basilic, fenouil, aneth, anis vert, cerfeuil, persil, maceron, coriandre, sauge, menthe, aspic (lavande), thym, romarin, hysope, sarriette, marjolaine, absinthe, rue, lentisque, camomille, séneçon. On y retrouve l’ail, l’ognon, la ciboule, car l'alimentaire et le médicinal se recoupent souvent.
Le cade (genévrier) pour la jaunisse, le fenouil pour la vessie, la coriandre et la sauge contre le pus. Mettez la sauge dans un baquet, remplissez et baignez-vous dedans. Si vous avez la pierre au foie, trempez des feuilles de sambéquier (sureau) dans du vin chaud. Si vous ne pissez pas assez, buvez un bouillon de queues de cerises. Le constipé prend de l’euphorbe et celui qui a les vers les déloge avec la menthe. L’hémorragie se soigne au perganoun (la rue), le serpolet est bon pour tout, à condition de le combiner à la graisse de cerf.
Le pomarium est basé sur les pommiers (rois des vergers), avec poiriers, pruniers, pêchers et cerisiers comme à-point. Selon les régions, s’ajoutent le framboisier, le groseillier, le sureau, le micocoulier, l’olivier.
Les fleurs cultivées, peu nombreuses, sont symboliques par la couleur et l’élégance de leurs fleurs (iris, lys, roses). La rose rouge représente l’amour, car elle est le sang d’Adonis ou bien la Passion, car elle est le sang du Christ. Au XIIIe siècle, les rois de France adoptent le lys pour symbole. Les décors s’inspirent des feuilles d’acanthe, de chêne et de lierre. Au XIVe siècle, on se met à cultiver les pivoines (des roses sans épine), les violettes, les pervenches et les giroflées. L’aubépine et l’églantine sont prisées, le lilas et le jasmin n’existent pas.
Les champs sont avant tout céréaliers (blés, orge pommelle, seigle, avoine, épeautre), afin d’avoir le pain. Ils sont fleuris de plantes utiles, bleuets, centaurées, nielles et coquelicots. Les fibres de lin et de chanvre fournissent habits et cordages. La soie (et donc le ver et le mûrier) existe au XVe siècle. Le mouton est élevé pour la laine. La vigne est présente en toute région, parfois en complément du houblon. La partie labourée, entre rangs d'arbres ou de vigne, est une oullière. On y plante l’avoine, des lentilles, des fèves. La bande où sont les pieds est le cavaillon, retourné à la houe. Le sucre provient du miel. On l’utilise en boisson (sirops, hydromel) plutôt qu’en cuisine. Le sucre de canne, très rare, est médicinal.
Dans l’enseignement et dans l’art, la nature n’apparaît pas (ou peu), car elle est trop présente, banale et profane. Les botanistes recherchent les bonnes plantes et introduisent des nouveautés (la pervenche, la cardiaca pour soigner le cœur, XVe siècle), mais les fresques et les miniatures restent sans paysage. La louange de la Création dépasse la copie de la création.
Dans le domaine privé, à l’inverse, les troubadours chantent les oiseaux et les fleurs. Bernard de Ventadour, à propos du rossignol :
Joie ai de lui, et joie ai de la fleur
Jaufré Rudel indique sa détresse par le désamour des fleurs :
Champs ni fleurs d’aubépine
Ne me plaisent plus que l’hiver gelé.
Vers 1240, Guillaume de Lorris intitule sa composition Le Roman de la Rose. Son héros entre dans un verger :
Et sachez que je croyais être
Au vrai en paradis terrestre
Tant était le lieu délectable.
Au Palais des papes d’Avignon, la chambre de Benoît XII est décorée d’un fond bleu orné de rinceaux et de feuillages de vigne et de chêne. Des écureuils et des oiseaux achèvent de montrer l’amour de ce pape pour la nature, qui avait Pétrarque pour jardinier (1334-1342). Son successeur Clément VI fait décorer plusieurs chambres par Matteo Giovannetti, artiste qui s’applique à rendre les fleurs et les plantes d’une nature luxuriante (1342-1352).
Durant le règne de Charles V, les princes rivalisent de commandes éblouissantes. Louis 1er d’Anjou, grand-père du roi René, construit Saumur, paie des musiciens, peintres, bijoutiers, et commande à Nicolas Bataille la tapisserie de l’Apocalypse (1373-1380), tapis de 140 m de long et de 6 m de haut où les fleurs et les herbes abondent (giroflées, ancolies, bleuets, marjolaine, pâquerettes, fleurs sauvages). Des lapins creusent un terrier pour ressortir plus loin, des oiseaux embellissent les branches. Le décor se met à compter, autonome par rapport au thème. Ce tapis fait partie du cadre de l’enfance de René.
Les frères de Louis, qui sont Charles V, Jean de Berry et Philippe le Hardi, et ses cousins Bourbon et Albret, vivent dans la magnificence, construisent châteaux, chapelles et tombeaux, en un mot embellissent le monde. Les Très Riches Heures du duc de Berry, vers 1415, égrainent les travaux des mois, semences, moisson, glandée… Les seigneurs respirent la finesse, les paysans sont au travail, le paysage est bienveillant. Ces miniatures permettent de connaître les habits, les outils, les attelages, les techniques de culture et d’élevage du XVe siècle. Inachevées, les Très Riches Heures appartiennent au roi René, qui finance une partie de leur poursuite, dans le même esprit. Exemple : Octobre, vendange, château de Saumur.
L’homme antique faisait partie de la nature, il rendait hommage à Déméter par l’art et la science. La beauté incarnait la morale, le savoir menait à la vertu. Puis le chrétien s’est senti exilé sur terre, puni. La nature était la cage d’où il s’envolerait quand il deviendrait Ange. Ce projet pour sauver l’âme dressait des cathédrales, jetait sur les chemins croisés et pèlerins. La contemplation de Dieu réduisait la nature à l’alimentaire.
Après saint François d’Assise, le sentiment change. Jean Gerson, théologien ami de la reine Yolande, mère de René, voit dans la nature non plus l’adversaire mais le projet de l’homme, projet de la raison (la nature fait vivre) mais aussi du sentiment (elle est plaisante). L’homme n’a pas cinq sens, mais six, avec l’entendement, la compréhension des choses, et la nature les satisfait tous. La civilisation est le développement harmonieux des sens humains.
Les malheurs (dits de la Guerre de 100 ans) voilent ce projet. La nature est un décor devant lequel l’homme joue seul. Il sort du projet et se pose en sujet. A lui de faire le beau et le bien, à lui de vaincre la Mort. Les artistes italiens signent leurs œuvres. L’homme doit découvrir, inventer, étudier. Brunelleschi construit, Masaccio forme, Henri le Navigateur cherche et Gutenberg trouve. D’autres font appel à l’alchimie, l’astrologie, la sorcellerie.
Gerson avertit : L’artifice n’est pas l’art, la verroterie pas le diamant. Nos princes chantent la vie simple des bergers, la fête au bord de l’eau, et ils sont en réalité accablés de peurs, figés de conformisme, assoiffés de pouvoir. Leurs déclarations courtoises sont un drap jeté sur leurs piètres actions.
2. La première vie de René. Le combattant, 1409-1453 :
Louis II et Yolande perdent trois nouveau-nés de suite. Arrive un nouvel enfant, baptisé René parce qu’une légende angevine redonne longue vie à un bébé décédé, Rénatus.
Sa petite enfance est heureuse. L’Anjou est en paix, riche de cultures, d’élevage et de pisciculture. En ces temps nerveux et superficiels, Yolande est une femme de tête. Louis est absent. Il lutte à Naples. Mais les artisans travaillent au château, les viandes, les poissons, les fruits et les légumes abondent, la basse cour est bien garnie. Tout cela va de soi pour l’enfant.
Les choses se gâtent vite. Armagnacs et Bourguignons déchirent le pays d’oïl. Louis II meurt. L’Angleterre attaque Charles VII, l’Anjou est dévasté. Pour des raisons politiques, René est éduqué à Bar (le duc), marié à Isabelle, héritière du duché de Lorraine (1420).
Louis II a gardé de l’Italie une image idyllique : Bâtiments romains, châteaux de chevaliers, institutions héritées de Frédéric II, blés propres, avalanches de fruits, moulins, canaux, ports, arbres dans lesquels on monte pour cueillir d’énormes grappes de raisin doux. Comme en France, les nobles s’entourent d’architectes, de peintres, de sculpteurs et de musiciens, mais ils s’occupent aussi d’élevage et de semences pour s’enrichir, alors que le Franc prélève, sans idée de rendement ni de commerce.
Attiré par la botanique, le jeune René (18 ans) part s’installer à Nancy avec une charretée de pruniers-mirabelles. Bientôt, les seigneurs lorrains demandent les plants, tant ils raffolent de ces petits fruits ! René apporte aussi sa Croix double d’Anjou, qui deviendra la Croix de Lorraine. Il visite la Savoie (printemps 1433) et remarque la variété des paysages, des habitations et des langages. En Anjou, les champs sont cernés de haies, les maisons parsemées, les vignes encloses. En Champagne, le regard s’enfuit sur de longs champs ouverts aux vents, les logis se serrent en hameaux près des points d’eau. Ici le seigle et là l’avoine. Dans un creux, le blé, le chanvre et le lin. A Chambéry, on ne voit plus de charrettes, mais des bâts placés sur des mules. Pourquoi le hêtre ici et le sapin là-bas ? Comment la ronce sait-elle la mûre et l’églantier la rose?
La nature possède un grand savoir-faire. Elle est infiniment riche, disent les maîtres, mais elle reste immuable, païenne. L’humanité chrétienne lui est supérieure, car l’homme évolue vers Dieu. Le Paradis est un jardin frais, égayé de harpes et de luths, parfumé d’ail, d’aloès et d’aubépine. Les sons, les parfums et les beautés florales y sont aptes à éloigner les démons. Le jardin est donc un lieu pieux, où l’homme recherche l’excellence.
En 1436, René retourne en Lorraine avec des charretées de rosiers, de poiriers et de pruniers (Henri Enguehard, conservateur du château d’Angers, écrit : « l’eau de vie lorraine est d’origine angevine »). Plus tard, et depuis la Provence, il introduira le mûrier.
En 1437, il descend en Provence et découvre un pays ruiné et désert. Les oliveraies sont abandonnées, les moulins et les ponts sont détruits. Les pillages et les maladies ont emporté 60 % de la population. Sur les 617 villages du Comté, 196 sont abandonnés, dont 10 autour d’Aix. La production de blé et d’avoine est insuffisante, il n’y a presque plus d’ovins, peu d’ânes, plus du tout de chevaux. La transhumance a disparu. Tout manque, les bras, l’organisation, le matériel, et l’espoir.
Les Etats de Provence et Yolande ont élaboré un projet de relance. Les seigneurs accorderont des actes d’habitation à des forains venus repeupler les sites abandonnés. Ces sites seront libres de taxes pendant quelques années, à la condition de remettent les friches en culture. René fait adopter le projet, avec application immédiate.
Ces colons embrunais, alpins, rhodaniens, italiens d’Asti et de Cuneo vont transformer la Provence. En cinquante ans, les 2/3 des patronymes vont se renouveler. Des Génois peupleront Saint-Tropez, le Lubéron, Marseille. L’ancien habitat, qui se serrait en hameaux pour conjurer la peur et veiller sur l’eau va se disperser vers les défrichements et les pâtures. On ouvre des drailles, la transhumance redémarre par ceux d’en bas, à l’inverse de l’ancienne. Les Alpins avaient les moutons et les descendaient vers la côte en hiver. Les nourriguiers (éleveurs) aixois possèderont moutons et pâturages d’hiver, et loueront les alpages d’été.
Cette politique de repeuplement porte ses fruits en Anjou, mais pas en Provence. Le pays est si pauvre que René ne peut y prélever d’impôts.
Son séjour à Naples est d’abord un enchantement. Il découvre l’oranger, le citronnier, la pastèque, le raisin muscat, des espèces inconnues de melons et d’artichauts (la France a le melon vert et la carde.) Il chasse la caille rouge, emploie des domestiques noirs, entend le tam-tam, voit le sultan tunisien et les danseuses moresques, il reçoit les gens du peuple, les écoute chanter et jouer de la mandoline.
L’immense ville de Naples se nourrit de la pêche, de l’élevage et de l’agriculture. Les seigneurs habitent des palais campagnards, organisent l’exploitation et en tirent des profits.
René reçoit la visite d’un moine de renom, Bernardin de Sienne.
- A quoi servent les bijoux que vous portez, René ? Sont-ils la foi, la splendeur de l’immortalité, les joyaux du Christ ? S’ils sont le plaisir du monde, ils vous égarent ! Aimez les brins d’herbe, aimez les coccinelles et les rossignols plus que les pierres et les bijoux. Aimez les hommes plus que les coccinelles et Jésus plus que les hommes ! Voyez la ville, le golfe : Dieu nous élève et donne la beauté. Il a ajouté le parfum à la fleur pour qu’elle attire l’abeille. La beauté est diverse, ornée ou sévère, sûre ou interrogative, différente pour l’abeille et pour l’homme. Les Vierges peintes ne se ressemblent pas, mais elles sont toutes belles, parce que Marie existe. Malheur à qui peindrait une chose à laquelle il ne croirait pas ! La beauté a des joyaux chez l’Angelico, pas un seul bijou chez Masaccio ! L’un vénère, l’autre respecte… Utilisez la beauté, René, pour la vie et pour Jésus Christ, non pour la renommée…
Trahi, vaincu, René abandonne Naples (1442). Il expédie des cailles rouges et des plans d’artichauts à Marseille (l’artichaut est connu, mais non consommé), et va à Florence chercher une alliance. Il découvre des aménagements modernes (barrages, fermes, murs, ponts, canaux). Les seigneurs florentins, Medici, Pazzi, Strozzi, s’occupent de leurs villas de campagne, de la captation de l’eau, de la tonte des troupeaux, autant que du commerce, du palais citadin et des commandes artistiques. La vieille division tripartite franque (ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui cultivent) se dissipe ici pour offrir un homme complet.
René organise fêtes, tournois et concours de poésies. Son épouse Isabelle, comme bien des dames, s’occupe du jardin, des légumes, des arbres fruitiers et de ses chers rosiers (elle raffole de la rose de Provins, rosa gallica, que René installe en Anjou.)
Par le passé, l’activité de l’homme était tournée vers le mysticisme, la morale et la générosité. Aujourd’hui, le goût va vers l’intime, pour ne pas dire vers le confort terrestre. Le vieux monde s’évertuait à adapter l’homme à Dieu, maintenant, les hommes veulent adapter le monde, en demandant l’aide de Dieu…
René fait poursuivre le travail ancestral de l’entretien des digues de la Loire et du Rhône et met en pratique les idées de Jacques Cœur, qui explique qu’un prince se doit d’avoir des fiefs prospères, afin d’en tirer des revenus. Il fait agrandir le chantier naval de Tarascon et veille à la distribution des grains achetés après la terrible sécheresse. Il prend très au sérieux la constitution de son herbier. Lorsque le dauphin Louis vient le consulter en Provence (1447), il l’invite à un voyage jusqu’au Ventoux, pour récolter l’aristoloche aux belles volutes qu’il admire sur sa tapisserie.
Il ramène en Anjou certaines plantes découvertes en Provence : L’œillet cultivé et l’œillet-giroflée (dianthus caryophyllus), ainsi nommé parce que son odeur évoque le clou de girofle, la sauge (salvia sclarea) dite « toute bonne » et le micocoulier (celtis australis), arbre qu’il apprécie particulièrement et qu’il fait planter à Belligan, Epluchard et Launay.
Son épouse Isabelle meurt (23 février 1453). On place les fleurs dans le caveau, pour parfumer. Bien plus tard, on les laissera dessus, pour marquer l’attachement à la personne. Isabelle reçoit du houx, du thym et du romarin, les roses étant absentes en cette saison.
Eprouvé, René prend pour emblème le bâton écoté (branche de rosier sans fleur).
Parti guerroyer en Italie, éconduit par les accords secrets, il rentre, écœuré. On le marie à une jeune dame bretonne, Jeanne de Laval. Tous deux veulent vivre retirés : Il peindra, collectionnera, écrira, jardinera et jouera au berger (1454).
Dans son manoir de Reculée, il peint des groseilliers (la fertilité) et des chaufferettes (la foi, Bernardin). L’allégorie finale de son Mortifiement de vaine Plaisance est tirée de l’Imitation de Jésus Christ et révèle un changement décisif dans son esprit :
Le héros, Cœur, partage un fol maintien dans un jardin avec les filles, entre rires, jeux et faux amours. Il trébuche et verse à terre comme le bœuf qui tombe et fait tomber celui auquel il est lié par le joug. Cœur boute son museau dans la fange, boit, mange et dort (entendons que René menait une vie dépravée et que Dieu l’a puni en lui envoyant deuils, défaites et honte). Mais il se met à faire beau. Devant des fleurs délicates, Cœur mélancolieux reprend vertu, force et vigueur, le jardin devient consolatif. Finis l’ancolie, les soucis et le bâton sans roses ! Pousse l’œillet, le lys, passent les paons. Quatre dames enfoncent chacune un clou dans Cœur, pour que s’épanche vaine plaisance (crèvent l’abcès en quelque sorte). Cœur est mis à mort sur la croix, mais l’âme est sauve.
Le jardin et les fleurs ne sont plus la quête « des faux amours », mais l’élaboration de « vertu, force et vigueur ». Comme dans Platon, la beauté est bonne, la nature contient les valeurs fondamentales non seulement de la vie, mais aussi de l’âme..
3. La seconde vie de René, 1454-1480, de la cour au jardin :
Il écrit des poèmes. Regnault et Jehanneton évoque une colombe venue protéger de son aile un vieux mâle solitaire… A la Ménitré, il ne fait plus construire un élégant manoir, comme à Launay, mais carrément une maison campagnarde.
- Si j’écris, si je peins, c’est que la vie m’a placé là. Les Nobles ne rendent plus la justice, ne mènent plus les batailles, et leur générosité coûte fort cher ! La terre ne doit plus fournir corvées et denrées, mais monnaies.
En 1457, René arrive en Provence avec baratte, tonneaux d’huile de noix, vin de Saumur, moutons à tête noire, bovins rouges angevins, et un énorme foutre empli d’eau qui sert d’aquarium à des alevins qui iront peupler les viviers.
Dans Le Cœur d’amour épris, roman de René, miniatures de Barthélemy d’Eyck, le peintre offre une large place au paysage. La rosée sur les brins d’herbe respire le vrai alors que les inscriptions officielles sentent l’artifice. Quand Cœur embarque, les coquillages sont à l’avant-scène. Les chevaux piaffent, les tapis sont moelleux. Par opposition, l’accoutrement des personnages et les allégories ressassées fatiguent. Cœur a pour devise per non per, la paire sans pareille (René et Jeanne), mais aussi celui qui perd n’a pas perdu… L’homme commence à la sincérité, au naturel. Son tempérament d’artiste, sa complète éducation, sa compréhension de l’Italie et l’influence de Bernardin se conjuguent pour le persuader que la grande œuvre de l’homme, c’est l’aménagement terrestre.
Il reste au jardin, habillé de la blouse et du chapeau de paille, entant arbres, édifiant tonnelles et pavillons, creusant piscines et viviers, plantant ici et récoltant là. La vie rurale est la plus sûre façon de vivre, dit souvent René. Le placide sommet vaut mieux que la rude trajectoire, le bel état est supérieur à ses causes et à ses conséquences. Lente est splendeur !
- Ah, René ! J’aimerais ne vivre qu’à la campagne, répète Jeanne…
Les bœufs et les moutons venus d’Anjou sont installés à Gardane (orthographe d’alors), domaine vaste et varié, propice à la chasse comme à l’agriculture et à l’élevage. Il y fonde sa ferme modèle, et cherche avec son régisseur Gibert d’Authon la rentabilité agraire.
En trois ans, on élève devers la ville, la muraille du vergier, enclos de quatre hectares avec maison à étage. Un pont et une entrée monumentale font passer directement du logis royal au jardin. On creuse un puits communal, on capte l’eau du ruisseau par une priou (prise) dont le béal (bief) alimente le jardin avant de se perdre dans les près.
Le vacher angevin est satisfait de ses bœufs. Le Grison et le Fauveau dépassent cinq quintaux. Mais les moutons ne s’adaptent pas à la garrigue. Gibert d’Authon va à Manosque acheter un troupeau de 1318 moutons et embauche six pastré (bergers) dont René dessine l’habit. Pour l’instant, la ferme coûte et ne rapporte pas.
En Anjou, le saumon est un don de la Loire. Les prunes, les poires, le craspois (chair de la baleine) de la mer et le luz (brochet) des viviers, les châtaigniers des haies, les néfliers, les sorbiers, n’ont pas d’équivalent provençal. Les terres y sont labourées, fumées, et les rendements en lentilles ou grains sont bons. En Provence, la plupart des villages ont des champs minuscules. Certains ne font que 6 ares. Avec son couffin et son eissardo (la houe), le paysan travaille par-ci par-là et passe son temps en déplacements.
Gardane n’a pas d’aires ni de moulin. On fauche l’herbe pour les chevaux d’Aix, on récolte raves, fèves, ognons. La vigne est pour tous. René donne un terrain pour les aires. Les galliniers sont rares, car la poule pond peu et picore beaucoup. René fait installer un poulailler contre son logis et une auquerie (élevage d’oies) dans les prés. On vit d’un carré de poireaux et d’un hectare de blé. On trouve l’ortie près du ruisseau, les baies dans le sous-bois, le pissenlit par-ci, quelques amandes par-là. Une pluie sort le limaçon, un piège retient un pigeon, un conil se prend au collet, l’enfant capture une écrevisse.
- Ce monde champêtre, je veux le chanter… Toi, Jean le Prieur, mon écrivain, écrits une pastorale, l’histoire en vers de mon bonheur, pense aux bords de Loire, à mon petit Launay, à Pertuis, à Pérignane où cette idée est née, mets les fleurs de Gardane, les beaux jours de l’année, qu’on voit vache se traire, martin-pêcheur plonger…
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Regnault et Jehanneton
Une fois son remariage enjolivé, un fois la rupture avec la cour affichée, le personnage principal de cette pastorale est la nature. La verdure frémit, l’eau chuchote, les cailles s’envolent, les oiseaux s’activent, le crépuscule flamboie, des cerfs paissent dans un carré de blé.
Le merle mauvais, le pinson
Recordent bien leur leçon.
Les mouchettes, le grésillon
La cigale et le papillon
Et l’avette qu’a l’aiguillon
La sincelle et le moucheron…
D’autre part, dedans le bouillon
Chante le petit grenouillon.
La fraîcheur de ces inventions est peut-être inconsciente, noyée dans un travail bâclé ne semblant vouloir assurer que le nombre de lignes (3 000.) Bien de faux vers titubent au goût facile des fadaises, mais les meilleurs marchent gaillardement vers une sensibilité nouvelle. Attentifs au geste paysan, ils croquent l’individu, notent les choses intimes, sourient à l’union de l’homme et de la nature. Les bergers entendent Regnault et Jehanneton chanter, approchent et entament une danse sous les saules. Les bovins de Gardanne labourent :
Leurs bœufs, lesquels vont tout bel charruant
La terre grasse, qui le bon froment rent
En ce point ils les vont rescriant
Selon leur nom
A l’un Fauveau et à l’autre Grison
Brunet, Blanchet, Blondeau ou Compagnon
Puis les touchent tel fois de l’aiguillon
Pour avancer.
Jean le Prieur touche de l’aiguillon, Barthélemy peint la rosée, René encourage et publie.
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Selon le métier, on gagne de 12 à 30 deniers par jour, du manœuvre au meissou (moissonneur.) Avec 12 deniers, on peut acheter 6 kg de pain noir ou 800 g de pain blanc ou 6 litres de vin ou 7 centilitres d’huile ou 2 kg de porc ou de mouton, 2,5 kg de bœuf, 12 kg de sel, 15 kg de noix, 1,5 kg de fromage ou 3 kg de légumes. On peut brûler à l’église 150 g de bougies ou donner à son âne 30 kg de foin…
En tenant compte des fêtes, des intempéries, parfois d’une blessure, un manœuvre ne travaille qu’un jour sur deux dans l’année, alors que sa famille mange tous les jours… En un an, chacun avale de l’ordre de 280 kg de pain (dans la soupe), 22 kg de mouton, 5 de porc, 10 de poisson et autant de légumes secs, des légumes frais (4 kg), 90 œufs en omelettes et 1 kg de fromage, 5 kg de sel, 1 litre d’huile, 1 kg de bœuf, et 240 litres de vin.
Un kg de farine de blé donne 1,4 kg de pain. Pour obtenir 280 kg de pain par an et par personne, la récolte doit atteindre 275 kg par personne, 200 pour le pain et 75 pour la semence. Un hectare donnant 500 kg, il faut plus d’un demi-hectare de blé par personne. Souvent, on ne l’a pas (manque de bonnes terres, guerres, mauvais temps.) On complète par du seigle, ce qui donne la farine de méteil, le pain noir, et, sans le savoir, le mal des Ardents.
Le moulin peut broyer en quatre moutures. On sort la fleur pour le pain blanc des fortunés, puis la bise, la noire et le son, de plus en plus pour les cochons. Si l’on fait meunerie basse, on meule tout et longtemps, pour obtenir le pain entier. Les pauvres se contentent soit du méteil, soit des farines sans fleur… A Gardane, les aires sont aménagées.
A Tarascon, René fait remplacer les pont-levis du château par des ponts fixes en bois, pour signifier qu’il n’y aura plus de guerre (1458.)
- Le jardin, Jeanne, c’est un dedans. On y voit dehors, on sent, on touche, mais on y pense dedans. Si mon latin ne m’abuse, hortus veut dire enclos, et je ne serais pas étonné que gart de Gardane soit garder l’intimité, regarder… Si les tyrans s’occupaient de fleurs, il y aurait moins de pleurs ! Quant à l’amoureuse affaire, ce n’est pas un péché si le plaisir est partagé. Je deviens comme les gens simples, qui ne distinguent pas l’amour céleste de l’amour terrestre. On idéalise pour l’église, on épure pour l’art, mais en réalité, l’amour, c’est la vie, c’est Regnault, mieux que Le Cœur épris. Je fais des portes avec des sonnettes, pour mes visiteurs, je trace un parcours de giroflées et de sarriette, je taille une tonnelle pour ombrager les demoiselles.
Le travail des champs a inventé la géométrie et le paysage. Il confine à la poésie et à la peinture, car le sillon va droit et le chemin bifurque.
René ramène à Angers l'œillet de Provence, le plan nouveau du muscadezt, et l’artichaut comestible. Dans les douves, un bassin est creusé, un vivier bâti, les volières agrandies, pour des volailles que l’on n’a jamais vues ici, paons blancs et perdrix rouges…
Jeanne s’occupe des chevaux, édite des règlements pour leur élevage. Le cheval est plus délicat que le bœuf. Il se nourrit d'avoine. Sa chair et sa peau ne sont pas utilisées. Les hécatombes militaires, les maladies et le manque de soins l’ont exterminé. Mais depuis le retour au calme, l'élevage progresse. Les fiefs de René (Anjou, Barrois et Lorraine) ont autant de chevaux que d'habitants. Pour le comté de Beaufort, Jeanne autorise chaque habitant à mettre en herbage une bête chevaline et des poulains, mais interdit de faire faras (haras, troupeau), de poursuivre le mode ancestral d'élevage qui consiste à laisser dans les forêts des bandes de chevaux sauvages. Monsieur de Rohan a 600 bêtes en forêt de Loudéac.
Pour le transport des armes, draps, épices, laine, vin, blé et sel, on utilise de plus en plus le cheval. L'armée a amélioré la traction des bombardes, et il n'est plus rare de voir 6 chevaux de file tirer une charrette. Les caravanes de mulets qui franchissent les montagnes contiennent parfois des chevaux chargés à dos, et la remonte des grands fleuves par les radeaux ne se fait plus par l'homme mais par la traction chevaline.
On se met donc à élever le cheval à la ferme, à installer des bourreliers dans les villes, à lire dans les livres anciens les soins qu’il faut apporter. Le cheval tracte, porte, galope.
Louis XI crée une messagerie par chevaux au galop, ancêtre de la poste.
Le logis du jardin d’Aix est achevé. Dans la salle du pavillon coule une fontaine. Deux galeries et un moulin achèvent d’enclore des plates-bandes. On a posé une cage à oiseaux (grillage de cuivre) de 10 mètres de haut. Les vaches ont leur étable, la femme de Nicolas Gienot fait son beurre. De précieuses plantes sont là : Sourcil de Vénus (armoise) contre le mal de dents, feuilles de saule et valériane, pour le mal de tête, soucis, millepertuis, buis, et l’harmonie d’ensemble, pour la beauté… Le clou, c’est l’allée ombragée ! Imaginez un chemin pavé de 8 mètres de large, bordé par des murs de 2 mètres de haut, murs qui sont doublés et remplis de terre. Les arceaux qui relient ces monticules guident la vigne muscatelle et les plantes odorantes, si bien que l’on va du palais au logis sous grappes et parfums !
Son fils Jean de Calabre échoue à Naples, sa fille Marguerite perd à Londres. René taille ses rosiers et retourne sa terre.
John Fortescue traverse le royaume de France et note ses impressions. Le pays est immense. Trente jours pour aller de Flandre en Navarre, vingt de Nantes à Héricourt, des espaces sans fin, à travers la nature sauvage. La terre humaine, consacrée aux céréales, n’est qu’une faible part, peut-être un quart. La faucille scie, puis on dépique au nord au fléau, au sud avec le pied des bêtes. Le bœuf tire la charrue et le mulet l’araire. Le cheval de trait est rare, plus rare qu’en Angleterre... Chaque humain travaille, avec sa spécificité. Le mâle sème la terre féminine. Le pain cuit deux fois (biscuit) se conserve mieux...
John voit des légumineuses, chou, asperge à Argenteuil, ognon à Bourgueil, vigne à Saint-Pourçain, vergers et prairies dans la Brie. Il déplore l’insuffisance des bocages et des jardins, le peu de légumes verts et le bannissement des fruits rouges (fraises, groseilles, framboises) parce que les gens les croient empoisonnés...
Le pain blanc, le pain épicé, la viande, le cygne, le faisan des riches, ne cachent pas la pauvreté de l’immense majorité, l’ordinaire au pain noir, au lait, œufs, pois, fèves, lentilles et poisson. L’extraordinaire arrive parfois, avec le gibier non noble, lapin, oie, grue, cigogne, cormoran, butor, héron. La nature a du bon...
Après l’hiver, les hommes boivent de l’eau (et non de la bière). John s’étonne qu’ils mangent des pommes. Ils n’ont pas de viande, sauf le lard et les entrailles préparées en tripoux. Ils vont sans vêtement de laine, avec une cotte de toile sous la blouse. Ils laissent aller nu-pieds leurs femmes et leurs enfants. C’est qu’ils ne peuvent faire autrement : On leur enlève ce qu’ils produisent. Les fermiers ne paient plus un mais six écus, depuis que le roi (Louis XI) en prend cinq. Alors, ce pays fertile compte beaucoup de faibles paysans, gens courbés, inefficaces, et pour tout dire délaissés...
Dans son pays anglais, l’élevage s’est mieux développé, pour la viande et pour la laine. Les bêtes nourries à l’étable offrent le fumier. La guerre des deux Roses n’a pas atteint les paysans, qui vivent dans une abondance non rencontrée en France... Que n’êtes-vous venu trente ans plus tôt ? Vous auriez vu des malheureux encore plus pauvres et plus nombreux, à cause de la guerre, qui ajoutait le viol à la misère. La nourriture n’était même plus céréalière.
La vie a maintenant gagné 10 ans. Les mariages et les baptêmes se multiplient, le royaume atteint 14 millions d'habitants malgré la peste de 1466.
L’élevage, la pêche et la vigne, ont fait des progrès que John n’a pas eu le loisir d’apprécier. Marseille compte 200 pescadous, qui retirent des sardines et des favouilles (crabes.) Saumur déguste le bon jus d’Anjou... Bien sûr, peu de gens ont un lit ou une armoire, encore moins des étains, du verre et des jades, mais de nouveaux meubles se répandent, vaisselier et buffet à tiroirs...
John a écouté les procès sous l’orme, suivi les sermons du dimanche, noté combien l’élevage et l’agriculture vont mal ensembles : Les chèvres et les vaches vont faire leur repas dans le bien d’autrui, des travailleurs perdent parfois leur âme pour gagner un sillon avec leur charrue sur le champ voisin, d’autres déplacent les bornes. Il est pourtant dit dans les Paraboles « Ne déplace pas les limites posées par tes pères ». Le pire concerne la dîme : Certains laïques refusent de rendre les dîmes. Mais eux qui ne célèbrent pas la messe, qui n’administrent pas les sacrements, de quel front détournent-ils le salaire des clercs ? Ils font comme Caïn, qui offrait à Dieu les épis du bord du chemin, parce que ce sont ceux que les bêtes ont rongés... Et Dieu se détourna de Caïn !
Le voyageur arrive sur la place. Le barbier rase, le forgeron frappe, un enfant ramène des chèvres. On aura l’eau du puits, une soupe dans un bol en terre, de la paille pour la nuit...
A Gardane, le domaine pilote est en déficit. Les pluies diluviennes de 1468 ont tout gâté. Les foins et les blés ont moisi. La terre s‘épuise. Il faut alterner les racines longues avec celles de surface. La suite céréale / jachère / blet / jachère, semble être la bonne. Les moutons coûtent plus qu'ils ne rapportent... Le mieux, c'est encore la vigne et les fruits. René achète la vigne de dame Maurière, côté levant de la colline Captivel et aménage des restanques, plante des cerisiers, des pêchers et, à leur pied, des crocus pour le safran (plante tinctoriale).
L’argent lui fait si cruellement défaut qu’il met à bail pour 50 florins son jardin aixois. Il vend le surplus du potager au marché de la ville, place aux Herbes. Il veut qu’on économise sur tout, sauf sur les œuvres. Avide, il renonce cependant au fermage des terres qui ont subi une catastrophe (gel ou grêle).
Il perd son fils (Jean de Calabre), sa fille bâtarde (Blanche), son gendre (Ferry), son petit-fils (Edouard). Sa fille Marguerite est en prison. Il récupère ce qu’il peut de ses trésors angevins et déménage en Provence. Notre intention est nous y tenir…
Il passe de plus en plus de temps au jardin, se fait réveiller tôt pour Saint-Jean, pour aller avec les paysans ramasser les herbes vertueuses, fenouil, mille-pertuis, pourpier, comme le crocus à l’automne.
Pour la tonte des moutons, Gardane est en fête (1472). Au son des cornemuses, le troupeau défile devant le roi, puis les 40 tondeurs se mettent à l'ouvrage. La laine récupérée remplit 12 charretées bien tassées. Mais les profits ne sont pas aux rendez-vous. René accuse les habitudes manouvrières sans voir ses propres erreurs : Multiplication des fonctionnaires, laxisme propice aux profiteurs.
La Provence bénéficie d’un climat humide et tempéré. La forêt et les marécages occupent la majorité du sol, mais aucune futaie n’est capable de fournir de belles poutres. Du coup les maisons sont étroites et hautes, accolées les unes aux autres. Le bois des chantiers navals vient de Boscodon par la Durance.
Désertes, les collines sont néanmoins exploitées. Des bûcherons coupent le bois de chauffage, livrent les feicines au fournier (les fagots au boulanger du four banal) et portent le chêne kermès aux fabriques de vermillon. Collobrières récolte le liège pour les bouchons. Partout on cueille les mures, les noisettes et les champignons, on fait son sucre avec le miel. Les glands nourrissent les cochons, les arbustes contentent les chèvres, le gibier régale les hommes, le gros étant chassé par les nobles et le petit par les braconniers.
Des migrants savoyards et italiens occupent les terres pauvres et sans eau des plateaux. L’olivier n’y vient pas, mais ils ont planté des lavandes, des pistachiers et des arbousiers. Sans prospérer comme les fermiers des terres arrosées, ils vivent. L'aïgue es d'or (l’eau est un bien précieux) pour qui veut tenir prés et légumes.
Le blé est produit dans de grands domaines, autour d’Arles, le long de la Durance et près de Valensole. Les fréquentes inondations du Rhône et de la Durance réduisent cependant l’exploitation de leur vallée. Les récoltes sont plus sûres autour de Salon, de Puyricard et de Trets, où le rendement reste correct (un grain semé en donne dix à dépiquer alors que dans les restanques des murets il n’en promet que quatre).
Les villes sont approvisionnées par les muletiers. Ceux qui amènent le blé de Riez s’arrêtent devant le palais d’Aix et font de leur file un troupeau, puis ils repartent à Riez avec de l’huile et du vin. La vigne domine autour de Marseille, Brignoles et Châteauneuf du Pape. Gardane a ses vignes du roy.
Les oliviers plantés près des côtes au temps de Jacques Cœur commencent à donner (La Fare, Bandol, Hyères, Grimault, Antibes). De leurs villages perchés où ils se protègent des pirates, les hommes descendent vers les cagnards (coteaux ensoleillés) pour tailler quelques rameaux, gratter au pied des troncs et répandre les pètes des moutons, laissant à leurs femmes le soin de la cueillette quand vient la saison. A l’intérieur des terres, les oliviers alternent avec les fruitiers. Aix a un moulin à huile rue des Trabaux, et de nombreux pommiers, figuiers, abricotiers, cerisiers et amandiers pour les repas avec dessert.
Sur la terre noire des vallons, l’homme fait ses hortolailles (cultures maraîchères.) Les citrons d’Ollioules sont là pour le symbole. L’ail et l’ognon font eux des repas. Le pain, le poireau, le chou, l’ortie, parfois enrichis de fèves ou de pois, font les soupes au lard…
Les murets retiennent la terre où poussent le seigle et la pommelle que les sangliers veulent bien laisser. Le champ est étroit, juste bon pour l’araire et la jachère biennale. Le cultivateur gratte la terre et s’aide d’un âne pendant que la chèvre mange un buisson.
Un âne vaut 10 fois moins qu’un bœuf, 60 fois moins qu’un cheval et peut se nourrir au bord des chemins. Les rues étroites des villages n’admettent que le bât. Tout ceci nuit au travail d’équipes et à la pratique des redevances en argent. Le village de Rognes comprend 57 familles dont 7 ne possèdent rien, dont 25 ont chacune 6 à 60 ares. Seulement 15 détiennent plus de 2 hectares, et encore, la plupart du temps, éparpillées en dizaines de petits lopins.
A l’inverse, l’élevage marque un progrès. Autour de Trets, de Rians, dans la Crau et sur les iscles de la Durance, les nourriguiers élèvent de grands troupeaux. A Gardane, la ferme de René est tenue par 29 personnes qui exploitent 2500 moutons, 240 chèvres, 60 cochons adultes, 150 cochons de lait, 15 vaches angevines, des oies et un poulailler…
Les étangs naturels ou artificiels n’ont pas attendu les alevins angevins pour donner du poisson. Gardane a par exemple trois étangs, où s’activent les barquejaïres (bateliers) mais il faut avouer que le brochet né à Baugé a bien amélioré l’ordinaire.
Depuis un siècle, il fait plus froid. Des Savoyards racontent qu’ils ont été chassés par le glacier qui est descendu jusqu’à leur village. La vigne et les amandiers gèlent, l’olivier reste cantonné au bord de mer.
En Angleterre, l’élevage à l’étable des bovins donne d’excellents résultats, et les labours se transforment en herbages. Le champ ouvert devient bocage.
En France, c’est par la façon d’exploiter la propriété que les choses évoluent. Les nobles vont vivre en ville et abandonnent le faire-valoir direct pour le fermage (au Nord) ou le métayage (au Sud). Beaucoup d’entre eux changent de mentalité : A la civilisation de la terre et de l’âme succèdera celle de la monnaie et de l’esprit, de l’initiative et de la civilité.
Le prix élevé de la main d’œuvre affecte les grands domaines, où l’habitude seigneuriale n’est pas de lésiner sur le nombre des valets. René n’a aucune idée de l’utilité des gens qu’il emploie à Gardane. Un domaine comme Bayle (aux Hospitaliers, au pied de Sainte-Victoire) paye 200 jours de femmes pour sarcler, 200 jours de moissonneurs, 66 jours de femmes lieuses, 12 jours d’hommes pour faire le guerbeyroun (gerbier), 230 jours de taille de vigne, 30 jours de vendanges, 18 jours de fauchage des foins, 15 jours de fanage, 5 pour engranger. Un vaillant petit exploitant peut faire autant de numéraire d’un seigneur malchanceux, et l’on voit des nobles faire travailler leur femme, ne doter leur fille que d’une paire de bœufs ou bien, comme Ulysse, labourer eux-mêmes (Michel de Forbin par exemple).
La chronique décrit René usant ses jours entre l'oubli et l'éloignement des causes de sa mélancolie. Il aimait la vie rurale parce que la plus éloignée de l'ambition.
René meurt en juillet 1480.
Au-delà des introductions anecdotiques, mirabelle en Lorraine, œillet en Anjou, artichaut comestible en Provence, etc., au-delà même des efforts plus ou moins adroits pour repeupler les campagnes, relancer l’élevage ovin et la pisciculture, étudier les plantes par l’herbier, les jardins et la ferme pilote de Gardane, René est un précurseur de la Renaissance, par son goût d’honnête homme, son intérêt pour les livres, les collections, les manoirs, les horloges, les plantes, l’instruction (sa plus grande fierté est l’école qu’il crée à Saint-Maximin), l’entreprise (il accorde une concession pour l’extraction du charbon) et l’art.
Son époque est celle d’une perte d’influence des moines, de l’émergence d’une vision bourgeoise de la vie (curiosité, individualisme, monnaie) et de la monarchie (centralisation). C’est aussi celle des derniers feux du raffinement et de la courtoisie. Son ami Le Viste commande les Dames à la Licorne, la reine Anne de Bretagne commande à Jean Bourdichon des Grandes Heures consacrées aux plantes, les jardins deviennent des lieux où l’homme s’apprivoise à la beauté et au temps calme, où il aiguise tous ses sens : La vue des plantes, l’odorat par les parfums, l’ouïe par les gazouillis et les chants d’oiseaux, le toucher par les feuilles rêches ou lisses, le goût des fruits, l’intelligence par la création de l’harmonie, la compréhension des saisons et des besoins des plantes.
Cet aspect humaniste, ce droit à la vie qu'exprime du Buisson Ardent, ne sera pas suivi. Les paysans seront de moins en moins représentés sur le plan politique, les religieux et les nobles seront de plus en plus citadins, l’instruction et la science de plus en plus urbaines. Le projet de Gerson périclitera dans celui des propriétaires.
René aura vécu une transition majeure. Maigre consolation, les rois vont faire les châteaux de la Loire et le paysage va envahir la peinture.
REFERENCES
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René. Dessin de Revoil. La grappe, mirabelles, œillet, sauge, micocoulier, rosa gallica, melon, artichaut, caille
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Génèse, 840, Eve au foyer, Adam aux champs
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Travaux des 4 saisons ? XIième. Mont Cassin. C’est la destinée.
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Ornementation. XIIIe Oxford. Nonnes en brouette ou jouant à la balle.
JARDIN
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Ce qui va dans le pot, hortus, potager : choux, navets, pois, fèves, lentilles, betteraves, cardon, laitues, chicorée, épinards, poireau, céleri, carottes, cresson, orties, mauve, plantain, pourpier, radis, ail, échalotte, ognon, safran.
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Ce qui donne des pommes, pomarium, verger : pommiers, poiriers, pruniers, pêchers, cerisiers, sureau, micocoulier, olivier.
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Ce qui donne les simples infusions, herbularium, : basilic, fenouil, aneth, anis vert, cerfeuil, persil, maceron, coriandre, sauge, menthe, aspic, thym, romarin, hysope, sarriette, marjolaine, absinthe, rue, lentisque, camomille, séneçon.
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Fleurs : iris, lis, roses.
CHAMPS : blé, orge, seigle, avoine, épeautre (sarrasin), lin, chanvre (cannabis), mûriers (soie) vigne, houblon, miel