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PATRIMOINE

NOS TITRES :
Les recherches de Cezanne à Gardanne

L’homme    (Nous orthographions Cezanne, comme il le faisait lui-même)

 

De trop nombreux livres sur Cezanne me laissaient sur ma faim. Il manquait une dimension. Les continuateurs du peintre (Braque, Derain, Matisse, Picasso …) semblaient l’avoir mesurée, mais ils ne l’avaient pas explicitée. Peut-être n’existait-elle qu’au-delà des mots, dans le silence de la peinture, accessible aux seuls initiés ...

Les confidences de Cezanne à quelques proches, à Gasquet en particulier (Joachim Gasquet, Cezanne, Versannes, Encre marine, 1921), me donnaient cependant espoir.

Par exemple : L’émotion, c’est le principe, le commencement et la fin. Le métier, l’objectif, la pratique, c’est au milieu (in Gasquet p 196).

 

Le livre d’Umberto Eco, Art et Beauté dans l’esthétique médiévale (2ième édition, 1997) avance une explication sur l’art du Moyen Age qui m’a semblée être transposable à Cezanne et susceptible d’apporter la dimension manquante. L’esprit, écrit Eco, identifie une harmonie extérieure (paysage, architecture, objet, musique, danse, sculpture, peinture) qui coïncide avec sa propre structure interne, ce qui induit une sensation agréable.

L’Homo Sapiens aurait développé son cerveau grâce à l’outil, le feu, le langage, la vie communautaire, toutes choses structurantes, pour agir selon un ordre précis et séquencé. Le cerveau, à la fois promoteur et redevable de cette activité méthodique et rythmée, aurait pris conscience d’un progrès, d’un passage du chaos à l’ordre, de l’animalité à l’humain, puis au chef d’œuvre surhumain, chaque fois que l’ordre externe est en harmonie avec l’ordre interne.

 

Lascaux, le Parthénon, Ephèse, Cluny, Chartres, tentent de créer une transcendance, une beauté universelle. Des modernes ont qualifié cette beauté d’authentique, au sens où elle atteint l’émotionnel de base du cerveau. Il n’y a plus analyse, mais synthèse, synergie (Kandinsky). Et Cezanne : Je rapproche dans le même élan, la même foi, tout ce qui s’éparpille (in Gasquet p 130) … Il y a une logique colorée, parbleu, et le peintre ne doit obéissance qu’à elle (in Gasquet p 144).

Donc, le motif vit, s’éparpille. Il est le monde mouvant, fuyant, mortel, ne serait-ce qu’à cause de la course du soleil, du passage des nuages, de l’évolution biologique, de la surabondance de détails enchevêtrés. Le peintre doit montrer la stabilité, la logique colorée.

Un tableau réussi ne vit plus, il existe. Il porte une vérité, la dégage, la sauve du non sens mortel et la replace dans une nature améliorée. Il a rejeté ce qui fait obstacle : Le temps, le grouillement des points particuliers, l’artifice, le préjugé, la théorie. Je tiens mon motif (Cezanne joint ses mains). Si je passe trop haut ou trop bas, tout est flambé. Il ne faut pas un trou par où l’émotion, la lumière, la vérité s’échappe … (in Gasquet p 130).

 

La conscience est mobilisée pour obtenir le résultat (réalisation), autrement dit l’équilibre dans lequel la forme et les tons sont à leur plénitude. Pas de rêverie, pas d’imagination, pas d’effets. Seulement un essai, une bouteille à la mer, des pas vers un accomplissement inconnu, une révélation, peut-être, vers la fin. Moïse au Sinaï. Le cerveau s’obstine, tel Sisyphe, chaque motif étant une aventure nouvelle. Or, Camus écrit : La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe (et Cezanne) heureux.

 

Avant d’avoir lu Eco, j’attribuais à la nature, au vivant, la vérité (la logique, le rythme), certes masquée, mais présent, car Cezanne répétait : Tout est en préalable dans la nature. Le peintre devait extraire la vérité comme un chercheur d’or isole ses pépites.

Depuis la lecture d’Eco, cette vérité me semble tenir à la conception du cerveau. Le peintre la met à contribution en l’obligeant à se concentrer sur le motif, comme le paysan atèle le cheval à la charrette. Peindre serait mettre le désordre externe (motif) en ordre externe (tableau), en harmonie avec l’ordre interne (cerveau).Un art qui n’a pas l’émotion pour principe n’est pas un art (in Gasquet p 196). L’émotion de l’artiste, c’est cette coïncidence des ordres externe et interne. Eco, placé en spectateur, se contente de noter une sensation agréable. L’admiration que Cezanne portait à Platon et à Virgile conforte cette hypothèse. Cosmos, en grec, désigne l’ordre juste, juste comme une note de musique, une proportion réussie (nombre d’or). La quiétude, la vertu, l’ordre social, résultent d’un bel ordonnancement. L’ordre parfait règne dans l’univers, qui est donc un cosmos. L’homme, à la différence de la bête, admire le cosmos et s’effraie du désordre (sexe, bêtise, conventions, guerres, le vécu). Cezanne fuyait ce désordre. Ordonnancer, c’est élever vers le divin. Mais si l’homme peut accéder à une surnature, il ne peut prétendre à l’éternité (Platon, mythe de la caverne) : Oh mon âme, n’aspire pas à la vie immortelle, mais épuise le champ du possible ! (Pindare).Le champ du possible … Progresser, dans l’harmonie avec la nature, comme le berger poète (Virgile). Cezanne ne peint jamais sans la nature, Pater Omnipotens. Mais il ne peint jamais l’imitation de la nature, ni d’après nature.Il peint après nature, par un vigoureux dépassement, une mobilisation totale de la conscience. Cette élévation est chez lui mystique (il emploie lui-même le mot de foi). Un mystique selon Platon et Virgile. Méfions-nous cependant des mots. Cezanne n’est pas peintre. Il se fait peintre à chaque tableau, la peinture pouvant ouvrir des serrures de son cerveau, mais pouvant subir de multiples échecs. Zola n’a pas compris cela.Je suis un primitif, déclare notre artiste. Non pas pour retourner vers l’animalité, mais pour entrevoir les futures capacités du cerveau humain en matière d’art. Là, il rejoint Eco, et le dépasse : La vie sociale et technique a façonné notre cerveau d’aujourd’hui. Cezanne veut en accroître le champ et l’émotivité, par un inlassable entrainement, tel un sportif de haut niveau : La part cérébrale consciente veille à placer la part sensorielle et émotionnelle dans les meilleures conditions pour qu’elle s’épanouisse. Pas d’art sans émotion.Qu’est-ce qu’un homme civilisé ? Un homme qui a perfectionné ses sens et son intelligence, qui a donc les capacités du savoir et du cœur, du progrès humain. Ce primitif des civilisés est à l’opposé des parvenus sauvages.Il ne veut pas dire : « Je m’inspire des peintres primitifs ». Il ne connait pas l’art nègre. Il a vu au Louvre les Flamands, mais il a plutôt apprécié les Renaissants (Vénitiens, Rubens, Rembrandt). Connait-il les Primitifs italiens ? Probablement pas, alors qu’il est proche d’eux par l’esprit. Artaud de Mentor avait une collection de Primitifs italiens qu’il avait montrée à Ingres, mais notre Aixois ne l’a pas vue, pas plus qu’il ne vit les Primitifs provençaux. Il réfute le sens de « Je suis un autodidacte, je peins de façon simple et naïve ». Vers 1900, ceux qui se recommandaient de primitivisme se sont finalement appelé les Naïfs. Cezanne est simple par conséquence, non par cause.Au sens profond, le mot primitif signifie : « J’ouvre une voix. Je suis l’origine de futurs mouvements ». Cezanne était conscient de l’impasse dans laquelle l’Impressionisme et le Pointillisme s’étaient engouffrés. Il se savait sur une piste nouvelle pour la mise en place des couleurs. Nous qui connaissons la suite, envisageons ce sens sans difficulté. Mais c’était plus délicat, sinon trop prétentieux pour Cezanne, qui ne savait pas où menait sa piste.Reste un sens technique, basé sur la concentration du peintre au travail. Prenons l’image que Gaston Berger appliquait à la caractérologie : Une pèche. En peinture, la peau est le contact avec le présent, l’immédiat, le motif. La pulpe est l’acquis, les influences profondes, la façon de voir. Le noyau est l’inné, l’inchangeable, l’universel, le rendu. Cezanne veut peindre avec le noyau. Sa naïveté est son refus de la pulpe, des écoles, du métier.En adoptant ce sens, nous englobons tous les autres et rejoignons Eco. Dès 1850, Delacroix fait l’éloge des Primitifs. Aux yeux des bourgeois, la valeur était péjorative, synonyme de rudimentaire. Aux yeux de Cezanne, la valeur est synonyme de pureté originelle, virgilienne. Il se veut autodidacte pour atteindre la base universelle. Cette activité « élémentaire » (au sens de la prise de conscience des éléments) ouvre à l’émotion directe, nue, vierge, primitive, mystique. Ceux qui l’ont prise pour du spirituel ou de l’abstrait nous égarent. C’est de la physique, de l’espace, du temps, des couleurs.Cezanne précède Picasso, Chagall, Delaunay, ou autres, mais il est si près des bases, si peu moderne, qu’il leur passe devant. Sa peinture est au-delà des désordres du temps.Elle n’est pas sa vie, elle est son existence. Il fait lui-même cette distinction : Moi qui suis faible dans la vie … Car il se sent fort dans son existence, dans sa recherche. Son but n’était pas de produire un tableau, comme l’auraient fait par exemple Bonnat ou Meissonnier, mais de guider un tableau dans son évolution. Toutes ses toiles méritent le titre d’Essai de Monsieur Cezanne. Il vivait Baudelaire, il existait selon Virgile. Il souhaita mourir en peignant, arrêter sa vie en pleine existence, ce qui lui fut à peu près donné. Comment regarder un Cezanne ?Etre calme, seul avec l’œuvre, ne rien chercher. Cezanne ne peint pour personne, pas plus pour les lettrés que pour les incultes, pas plus pour les experts que pour Marie Chantal. Pas besoin de faire appel à Véronèse, Rubens ou Pissarro. Pas besoin de connaître sa vie privée. A Maincy, il peint le pont de Maincy. A Annecy, il peint le lac d’Annecy. Les deux tableaux sont frères, expression du vert et du bleu, pas de ses voyages. Hortense ne se plaisait qu’en Suisse, et lui qu’en paradis des peintres. Pas de message, que ce soit les portraits, les pommes, les Sainte-Victoire ou autres baigneuses. Un jour, devant des pommes, on prenait Picasso à témoin de la beauté des pommes cézaniennes, en lui expliquant le geste de Zola enfant, la sphère dans la nature, etc. Picasso ouvre son canif, découpe et croque une pomme. « Vous avez raison », dit-il, « C’est ça la peinture ».Cezanne n’appartient pas aux exégètes, il est à vous, directement. Commencez par appréhender les tons, sans vous occuper du sujet. Une impression agréable se dégage-t-elle ou pas ? On peut ne pas avoir de plaisir (c’est mon cas devant une cinquantaine de ses tableaux, comme par exemple l’Autopsie, le Meurtre, l’Eternel féminin, pas mal de Baigneuses …). Si l’on goûte le concert des couleurs (les aquarelles sont en cela plus immédiates), on peut aller plus loin et passer à l’examen spatial.Tout se noue au centre. Mais comment aller au centre ? Suivre la lumière, les lignes, les tons les plus marqués ? Cezanne y va par un équilibre de balance romaine, une procession solennelle des tons, un apprivoisement du regard à l’harmonie suprême. Exemple : Gardanne, midi.Un grand nombre de lignes mènent au centre, mais indéniablement les maisons de la Planque sont les plus convaincantes. On va au centre par leurs toitures, donc de gauche à droite par rouges, jaunes et bleus. Les verts montent du bas et se permettent de participer à l’ombre de la rue de la paroisse, au sommet. La toile nue évite de s’évader de ce montage.On pourra alors examiner les formes. Elles se refusent à la perfection et conservent l’incertitude de la main de l’homme, le témoignage artisanal, la trace du peintre.Cezanne se place sur la hauteur (colline des Frères), dos au soleil, face au village (il bannit le noir comme absence de lumière et refuse donc le contre-jour ou le clair-obscur). Il serre son angle de vue, pour un tableau plus haut que large. Il tasse la perspective, ce qui renforce les verticales et accentue la domination du clocher. Il supprime 80 mètres devant lui, envoie 6 obliques buter contre les façades et la direction des toits qui, elles, filent vers le centre du tableau.Il crée ainsi une focalisation vers la trouée verte centrale, un effet de zoom, diraient les photographes. L’horizon, discret et relativement bas, laisse émerger la structure pyramidale du village. Les tons ne sont élaborés que de la gauche (645) au centre (468).La toile reste vierge dans le bas et aux 2/3. Rue de la paroisse Les maisons construites après 1834 sont notées A, B, C.)clocher Cezanne va peindre.chapelle N Le dessin, sommaire, expressif, est en place. Non, il tourne, d’en va, pense la nuit à son angle de vue. 537 Commençons, on verra bien. Cezanne peint. boulevard Nous sommes en mars 1886. Les ombres sont longues et 468 bleues. Toutes sont réalisées. Des volets adoptent ce bleuté, alors que le ciel, laiteux, n’imposer pas son azur. Le blanc cassé et les jaunes pales (plus la toile crue) donnent 659 beaucoup de lumière. 657 628 Des rouges font défaut, par le nombre de toits oubliés B et par l’atténuation due à des tons plus clairs. école Les verts sont des à-plats, dépourvus de luxuriance et des filles et des garçons de volume, sauf au centre. 652 Le tableau confirme la façon de travailler de Cezanne, A pont de Péton façon qu’a évoquée Emile Bernard. lavoir L’artiste commence par rechercher le point de vue,649 la sensation. Il met en place les éléments, puis il opère un La Bonde premier tour par des tons uniquement clairs, pales. 645 Il pose d’abord les bleus, autrement dit le ciel et les ombres,C début du tableau poursuit par un vert léger puis par les couples vert-jaune et jaune-rouge, toujours légers. Là, premier examen du maître. S’il sent bien venir l’œuvre, il refait un tour, ajoutant du violet Les Frères ou du rose aux plaques bleues, montant la force des verts, parant quelques lignes par du jaune vif, effleurant le rouge avec du vermillon. Il crée le modelé par assemblage de tons différents, non par l’assombrissement monochromatique, moyen qu’il refuse catégoriquement. Cezanne a horreur du modelé classique, qu’il considère comme un trompe l’œil (Malraux parlera d’illusion). Il emploie parfois le mot de modulation, ce qui rapproche de la musique.Second examen, troisième tour, ajouts de tons plus vifs et bordant les lignes.S’agissant du présent tableau, Cezanne s’est arrêté là. Il n’a pas déchiré la toile (ce qui arrivait), il ne l’a pas abandonnée, il ne l’a plus reprise. Il avait atteint l’harmonie recherchée, il avait dit ce qu’il avait à dire. Cubisme Ce tableau a fait l’objet de nombreux commentaires. Pour les uns, il est à l’origine du cubisme, pour d’autres, il révèle un problème de vue chez Cezanne. La plupart le trouvent inachevé. Certains y décèlent le penchant cézannien pour l’aquarelle.Ces affirmations prises séparément ont moins de valeur que réunies, l’esprit cézannien étant hanté de contradictions, de tensions entre conception et réalisation. Cezanne cherche. Il est loin d’avoir trouvé une théorie et d’appliquer une recette.Le précubisme du tableau n’est pas dans le dessin d’horizontales et de verticales qui feraient penser à des cubes, mais dans le traitement des tons, leur changement aux angles, afin de fournir la troisième dimension, la profondeur. Celle-ci est fortement ressentie, en particulier grâce aux bleutés et à l’étagement des verts.Pourtant, le tableau malmène la ligne de fuite de la perspective traditionnelle, et reste évasif sur plusieurs dessins, en particulier sous la ligne d’horizon.Cet état d’évolution de la toile convenait au peintre, qui craignait d’atténuer l’effet en chargeant plus les tons, en complétant les vides. Tableau non fini, mais parfaitement achevé.Picasso et Braque ont tout de suite senti la révolution qu’il ouvrait, la plus grande du siècle : Nouvel espace pictural, nouvelle façon d’aborder le monde de la nature et de l’esprit.Le précubisme du peintre aixois est le moyen de rendre la distance qui le sépare du clocher, non pas distance objective, mesurable, banale, mais résonnance entre celui qui peint et ce qui est peint. Cezanne affirmait que le motif le regardait.L’église est à peine évoquée, alors que la maison 537 est colorée avec soin, parce qu’elle termine la transversale 645, 649, A, 642, 468 et 537, qui est fondamentale. Deux détails me semblent démontrer l’affirmation de Cezanne :Malheur ! Une touche de plus et je dois reprendre tout le tableau !A droite du clocher, les maisons de la Rue de la paroisse sont gagnées par une ombre verte et bleutée. Mais des taches blanches, exactement dans le prolongement de la montée diagonale, subsistent. Comme quoi Cezanne dessine par la couleur et déborde (ou déforme) le motif. Ces mêmes maisons ont des toits blancs, car des toits vermillon attireraient et déséquilibreraient le centre, où réside le sujet : Le rendu de la profondeur par les tons.Le désordre de toutes ces lignes a été structuré dans la logique d’un tableau. Gardanne Le matin Paul Cezanne. Gardanne, le matin, 1886. Fondation Barnes, MerionHuile sur toile 65 x 100 cm Cezanne a quitté la hauteur des Frères. Il est toujours face au clocher, mais il est dans le pré, pour entamer une approche tout à fait différente.Il a perdu les ombres, la saison avançant et ce quartier s’exposant au matin. La profondeur viendra alors des verticales plus que des tons. Le tableau sera plus large que haut. Un dessin préalable compte une quarantaine d’horizontales et plus de 30 verticales. rue de la paroisse Cezanne se place au plus bas, dans le pré d’Escoffier. Par l’étroite sortie entre le pré et le lavoir, il jouit de laclocher verticale de base (maison 468) qui étale leschapelle horizontales (l’école, rue du pont de Bovieri, de la chapelle). Cette verticale 468, déjà rencontrée au rue Boviéri centre de Gardanne à midi, stabilise le clocher. Le village domine et monte en pyramide. 468 N Pour guider son idée, Cezanne coupe à gauche la boulevard maison A et fait barrage par des murs lumineux qui école 659 portent vers le centre. Même convergence à droite : des 657 628 Ruisseaux et bâtiment B filent vers l’axe central, oùSœurs B toutes ces lignes rattrapent la montée jaune 468, haute, école avancée, étroite, parmi des maisons basses. des filles et des garçons Les maisons A + 652 ayant fourni la perspective, 652 ruisseau le bâtiment agricole B (non enduit à la chaux) ayantA pont de Péton annihilé toute lecture par la droite, nous pénétrons par lavoir l’étroit passage central et élevons notre regard vers le649 ruisseau La Bonde clocher. La gaité en boule verte des platanes veille à tempérer le rythme effréné d’une quarantaine d’obliques, autant d’horizontales, autant d’angles. L’esprit, un temps troublé par ce chaos de vermillon, se rassure à l’émergence de l’ordre, des solides verticales jaunes (468, clocher, église, façades de la Rue de la paroisse). Au-dessus de la fournaise, à peine frôlé par la lumière, le clocher pointe vers la fraicheur bleutée du ciel. Un détail montre comment Cezanne suit le motif mais le reconstruit complètement : Partant du pied des arbres à droite, une ligne mène droit au clocher, faite d’un petit toit en bâtière, d’une ombre un peu plus verte, d’un bord un peu plus rouge, d’un bord plus orangé. Le conscient de Cezanne Nous sommes en 1886, un matin de mai, vers 8 h au soleil.Les tomates n’ont pas encore grimpé sur les piquets, mais l’herbe a déjà été fauchée.Le ciel est rendu laiteux par de longues touches simulant des stratus, mais qui sont là, comme le village, pour nous parler de la lumière du soleil. Les rares ombres sont très travaillées (bleu, rose, violet). Les jaunes sont des plans, recouverts parfois de touches orangées, et même bleutées. Les verts sont souvent posés par touches , comme dans l’aquarelle de la cruche et de nombreux autres tableaux.Les verticales se permettent de ne pas toujours être parallèles.Elles n’en donnent pas moins un fort effet de perspective,par le lavoir, par 468, la chapelle et par les toits rehaussés. →Cezanne a fermé les fenêtres. Le lieu est muet, étanche à toute circonstance journalière, à toute rêverie. La peinture parle. Les fenêtres closes regardent l’astre par la pensée, comme en méditation. Le clocher, et lui seul, tourne vers le peintre son rôle intercesseur, sa transcendance. L’œil écoute a dit Claudel. Solennité.Mille ans d’histoire ont façonné le village, ont recherché la protection du castrum et de l’église, se sont mis au sec devant le marais, se sont abrités du chaud, du froid, du mistral et des hordes. Mille ans d’ajouts comme des touches, d’entretien comme des reprises, mille ans de déformations plastiques qui deviennent en peinture cette pose où le soleil arrête sa course et les vies leur destin. Quête ascendante, élévation depuis les verts jusques aux bleus, par les jaunes et les rouges des hommes. Que de vies anonymes, que de labeur ! Quelque chose dépasse, moins mortel. Observant le village, le peintre voit son état d’esprit et le peint. Le motif et Cezanne ne font qu’un, le tableau.Pourquoi la période gardannaise est-elle si révélatrice des intentions du peintre ?A 46 ans, l’artiste est au sommet de sa culture et de sa force physique, au sommet aussi de sa solitude artistique, de sa misère matérielle, de son doute. Il a été conspué par les critiques, rejeté par ses amis les Impressionnistes. En mars 1886, il a reçu L’œuvre, de Zola, un coup de poignard dans le dos.Il a renoncé à Paris, renoncé à peindre pour être vu. Réduit à lui-même, il se concentre sur sa pensée. Malgré son manque d’argent, il n’envisage pas un instant d’arrêter. Il décide au contraire de leur répondre en peinture, de se libérer de tout autre but que pictural. La retraite à l’Estaque convenait, moins cependant que celle à Gardanne, où il est inconnu, dans la Provence aixoise, et plus près de sa famille. Fi des misères financières, des difficultés familiales. Il plonge dans le monde d’une humanité mystique, heureuse. Les tableaux de la période sont-ils la pure expression du génie de Cezanne, ou bien sont-ils dus en partie à l’influence du village sur le peintre ?Nous disposons au départ de données en apparence contradictoires.Cezanne disait qu’en peignant une carotte on pouvait révolutionner le monde. Rien dans le sujet, tout dans la manière. Mais au mois de mai 1886, il écrit depuis Gardanne à un ami : Il y aurait des trésors à emporter de ce pays-ci, qui n’a pas trouvé un interprète à la hauteur des richesses qu’il déploie. Le peintre interprète la partition écrite par le motif. Dans l’enchainement entre le réel, l’œil et le cerveau, les deux sens sont non seulement possibles, mais ils sont nécessaires. Cezanne se refusera toujours à organiser les couleurs à partir de son seul cerveau, même dans les dernières Sainte-Victoire. Il lui faut absolument partir de la nature Pater. La peinture n’est pas un pur jeu de l’esprit, une mathématique, mais une lecture de la réalité, de l’espace et du temps, une physique. Les formes et les couleurs, les modelés et les rythmes, sont dans la nature, préalables à la peinture, et la peinture est elle-même la nature, une physique de la nature à la recherche d’une vérité fondamentale. Le peintre interprète, insuffle un sens, arrête le temps pour mieux comprendre l’espace des hommes, le relai des générations, depuis le travail (le lavoir) jusqu’à la foi (l’église). Le tableau Gardanne le soir Sans le sou, Cezanne réemploie une toile qui laisse apparaître, dans le haut, ce qui ressemble à un carreau de mine. Il y avait à son époque un puits dit la Félicie, qui présentait cette silhouette. Mais Cezanne n’est pas le peintre d’équipes au travail. Il a dû vite renoncer.Il met en place par le dessin pour ensuite couvrir par la coloration. Le sujet est le couple jaune-rouge, couleurs du soir. Il commence par une fine couche jaune très claire, dont il laisse des traces (bourgade et 380). Au second tour, il fonce ce jaune, par exemple autour de la porte de la chapelle. Les faces à l’ombre reçoivent du rouge violacé, le clocher ayant droit à du violet. Mêmes séquences avec les toits, rouge clair orangé puis rouge, puis vermillon. Il souligne de marron très foncé les corniches, et, de façon plus surprenante, le faîte de l’église. Ce trait de géomètre aurait probablement disparu si Cezanne avait peint les maisons supérieures. Il place les fenêtres par du rouge et du marron. Il renforce des ombres, ici ou là, avec ce ton : Le passage devant la chapelle, sur la chapelle, le bossage du clocher, 373.Les parties bâties étant élaborées, Cezanne introduit les verts, qui ont pour mission de fournir les contrastes de formes et de couleurs, en priorité au pied et au toit de l’église. Il les fait passer devant (bourgade, 380, église). Au premier plan, des verts tendres subtils préparent des échos jusqu’à la droite de l’église, où sont les vignes du Ribas. 371 372 373 382 chap 380 Bourg. Carnot Paul Cezanne. Gardanne, le soir, 1885 (détail). Brooklyn Museum, New York.Huile sur toile 92 x 73 cm Le haut du clocher est à peine peint, dans un ciel non peint qui laisse paraître des repentis. Sainte-Victoire est juste ébauchée. C’est le signe d’un abandon. Ou bien la partie centrale ne satisfait pas le peintre, ou bien la mort du père et le déménagement perturbent.Cezanne cherche le contraste, la justesse des harmonies (analogie musicale : Le tableau est une symphonie). Il tâtonne, réfléchit longuement avant que de poser une touche, car le tableau vient du cerveau, non pas pour ce qui est vu depuis le motif, mais pour ce qui va être vu sur le tableau. Le peintre ajoute jusqu’à ce que tout se tienne.La plupart du temps, Cezanne ne trouve pas le la. Il commence alors autre chose. Il aurait probablement recouvert le repenti et amélioré l’état de Sainte-Victoire au tour suivant. Un détail prouve l’acuité de sa vue et donne la précision de son traitement. Il est à 500 m de l’église. Les avancées des toits de l’église sont des tuiles qui dépassent, créant une ombre forte, que Cezanne marque d’un trait marron foncé. Les deux corniches du clocher sont au contraire posées sur des corbeaux partiellement éclairés, traduits par un marron plus léger.Autre remarque : Le chevet de l’église est composé de trois bandes de pierres calcaires légèrement différentes (rempart, mur épais, mur mince), que Cezanne traite par l’ajout d’orangé sur le jaune. Cezanne choisit un point assez haut, pour une 173-72-71 confrontation avec ce motif particulièrement anguleux de l’église et du clocher. N Captivel Par ce soir de septembre-octobre 1886, 18 h Pasteur au soleil, rouge d’ooù sere, comme l’on dit, Eglise le peintre décide une recherche sur ces couleurs lumineuses et gaies selon sa pensée. 160 Cette 3ième approche est à nouveau très Clocher différenciée. chapelle Il serre son angle de vue sur l’église, qu’il bourgade 382 place très haut afin d’éliminer le ciel. 380 L’ébauche de Sainte-Victoire, très négligée, Carnot est un à-plat de violet clair. Selon le principe posé, le jaune se fonce parles Molx du rouge, dans l’ombre en particulier. Le rouge des toits s’éclaircit de jaune avec la la Planque distance. Portes et fenêtres sont rouges, parfois brunies de marron dans les ombres. Les Frères Des parties non peintes sauvent une lumière et une légèreté que l’agressivité des rouges compromettait. Au premier plan, vergers et peupliers sont juste évoqués, pour laisser à l’église et à la chapelle le rôle principal. Avec Sainte-Victoire, le clocher a droit aussi à du violet. Les bleus et les rosés ont été bannis. Le ciel du soir est resté toile nue. Le tableau de Payannet En 1886, le quartier de Payannet se présente sous la forme d’un hameau, d’une chapelle, et de trois fermes détachées. Les bâtiments numérotés sont antérieurs à 1834. Les maisons A, B, C, D, ont été rajoutées par les frères Baudoin entre 1834 et 1850. 447 N épaulement 632 455 chapelle St 633 Estève 628 630 636le Lauron chemin A B C D565 576 le Lauron Direction des champs La population de cet ensemble est de 53 habitants. Cezanne a certainement noué des relations avec eux, pour pouvoir se faire connaître, prendre de l’eau au puits, s’informer de la santé des vignes (son père en possédait et le phylloxéra sévissait).Depuis août 1885 Paul Cezanne a parcouru la contrée, il a posé son chevalet sur douze motifs extérieurs, il a traduit en logique picturale ce que la nature dispersée lui offrait. Les tableaux en extérieur de cette période présentent tous des mérites et des caractères différents, bien que l’on puisse les regrouper sous le thème de « maison(s) et nature », thème né bien avant (Auvers, l’Estaque), poursuivi bien après (Château noir, Maria, Jourdan), mais qui a peut-être atteint son sommet à Gardanne.Cette période est qualifiée de « constructive », parce qu’un motif géométrique (lettres p et t sur le tableau) est très présent, et traité par des changements de tons. Les cubistes désignent cette approche comme étant leur source.Ce tableau sur le hameau de Payannet, est selon nous le plus caractéristique, une véritable synthèse de ce que Cezanne a fortifié dans son esprit durant son séjour à Gardanne. Structure de l’œuvre : L’angle est choisi avec précaution. Sur la bute, près de 447, il aurait bénéficié d’une vue majestueuse sur Sainte-Victoire, mais sans bâtisse assurant la présence des jaunes, sans niveau identifiant le monde des hommes. Dans le vallon, face au hameau, il aurait mal accédé aux rouges et n’aurait plus vu Sainte-Victoire. Il se place haut et à gauche, de sorte que la montagne soit sur le hameau. Il centre sur le bâti, finit à droite par le lavoir, coupe la montagne, qui a terminé son rôle. Cette position de biais offre un avantage décisif : Placement « en quinconce » des verticales, afin que chacune d’elles soit coupée par une horizontale de toiture. Ainsi la lecture est diagonale, du bas à gauche vers le haut à droite, avec vue complète sur les motifs tierces (t) et paires (p) des maisons.Les lignes ici en noir étagent les tons avec ampleur, du sol vers le ciel. C’est ce que Cezanne appelle la surface (le plan de la toile). Les verticales, au nombre d’une vingtaine, confèrent la profondeur, dimension que d’autres peintres ont traitée par la perspective, et que Cezanne rend par la couleur. Au centre du tableau, et ce n’est pas un hasard, un motif quintuple lie le hameau à la chapelle. Fenêtres, portes et niches rythment cette ossature. Cezanne n’ajoute rien, ne retranche rien. Il part de l’apparence immédiate, s’attache à reproduire le moindre fenestron, tel un musicien écrivant une partition pour chaque instrument. Symphonie, mais non pas opéra. Pas la moindre hirondelle, poule ou chèvre. Pas de cheval, de chien, pas un humain. Son propos bannit tout reportage, toute anecdote. Il peint une sensation, non pas des effets. Point de fini, point de mélange des genres. Imaginez au premier plan Jean Baptiste Baudoin labourant, ou bien Julie Goulet étendant du linge sur l’herbe. Payannet serait accroché à un geste, daté, renvoyé dans le monde mortel, et la peinture serait de circonstance.Le hameau ne serait plus l’espace des hommes, Sainte Victoire ne serait plus l’esprit. Couleur : Les champs jaunis pointent une note de septembre, vers 9 h 30 du matin (heure soleil). Trois heures plus tard, Sainte-Victoire et le hameau n’auraient plus eu d’ombre, cette ombre si décisive pour imprimer le mouvement de la gauche vers la droite. Ombre bleue, sauf pour 447, qui touche la montagne, ombre donnant de la luminosité (!), faisant sentir l’air, comme disait Cezanne pour parler de la profondeur, ombre renforcée au niveau des ouvertures.La verticale centrale explose d’un blanc presque pur, éclairant les jaunes, les ocres, les rouges orangés, dressant sa solidité sur la mole verdure étalée à ses pieds.Le soleil règne. Le ciel est cependant laiteux, évitant l’impérialisme d’un bleu vif qui eut dévalorisé la montagne et anéanti l’effet de distance. En peinture, le ciel est derrière Saint-Victoire, et non pas dessus. La montagne ordonne l’horizon et se fait la complémentaire de toutes ces facettes jaunes et rouges qui boivent, comme elle, la lumière.Paul Cezanne. Payannet, 1886. White House, Washington.Huile sur toile 63 x 95,5 cmLa couleur donne forme, surface et profondeur. Cette conviction acharnée de Cezanne, selon laquelle le contour est un changement de couleur, et non pas un dessin, est une évidence dans la nature. Elle est à peu près respectée ici. Quelques lignes importantes se marquent cependant d’un trait, discret mais efficace. Les jeux de couleur, parfaitement réussis, donnent rythme, équilibre, plaisir visuel. Autre conviction de Cezanne : Selon lui, la nature ne fait jamais d’erreur de goût. Il suit le visible, le motif, sans cacher, sans incorporer certains éléments, sans inventer forme et matière. Mais il reconstruit tout, par la couleur. Il recherche le ton juste, celui qui donne la lumière, le modelé, la distance de l’objet. Il rend compte, mais il inverse la filiation habituelle entre l’objet et le tableau. Une peinture finie « comme une photographie » part de l’objet, passe par l’œil de l’artiste, par le cerveau qui dirige la main, et se réalise dans la plus précise des techniques, sans état d’âme. Elle est « bien faite », mais non accomplie intellectuellement.Cezanne part du cerveau, tente d’exprimer une sensation, de rendre objective l’émotion. Le tableau est réalisé au sens de faber, fabriquer tel le forgeron. Le fini serait une catastrophe, un retour à la représentation de surface, une élimination du sens, une perte de l’état d’âme.Au lieu d’être commandé par l’image, Cezanne commande l’image. Il propose par la couleur une révélation, une vérité supérieure, exprimée en langage pictural, toutes choses que le passant ordinaire n’aurait pas retenues de Payannet. On a dit à juste titre : Nous ne pouvons plus voir Sainte-Victoire de la même façon depuis que Cezanne l’a peinte. Autrement dit, nous nous révélons à nous-mêmes devant sa peinture, nous allons vers une profondeur délectable, une réflexion agréable et sereine. Il ne change rien au modèle extérieur, qui ne lui appartient pas. Il travaille l’expression que sa conception intérieure dicte. Sensation : Ses doutes, ses reniements quant à sa réalisation, Cezanne les a exprimés jusqu’à sa mort. Il a par contre toujours eu confiance en sa sensation, sens premier qu’il donne au tableau, premier signifiant « après avoir oublié ce qu’il y avait avant ». Cette remontée à la source du pictural, à la leçon de la nature qui ne dessine pas, est d’abord la rupture avec l’immédiat, l’apparent, l’imaginaire. C’est ensuite la mise en sûreté, en éternité, de ce qu’il aime et qui fuit avec le temps : La nature, l’humanité, la pensée universelle. C’est enfin le tribut de cet hyperémotif à dominer son obsession, le tribut de ce mystique à la défense de son idéal. Mystique, il l’est, par sa vie de moine et plus encore par son élévation d’esprit. Son questionnement, sa quête d’un espace absolu, sa fixation du temps, engage son œuvre au-dessus de l’artiste. La beauté exprimée par ce grand coloriste est ce qu’il nous reste quand on n’atteint pas sa dimension surnaturelle. Beauté qui n’est que la conséquence de l’idéalisation du langage pictural, qui n’est surtout pas le but ni le moyen. Un tableau n’est pas « beau » parce que l’objet est beau ou « bien rendu ». Cezanne ne concèdera aucun effort envers la « beauté » des baigneuses.Un tableau dans lequel l’artiste exprime une harmonie supérieure, une lecture simple et agréable comme une musique, un écho aux pensées immortelles de l’homme, rejoint chez nous cet ordre rassurant pour notre cerveau de Cro-Magnon, ordre recherché par Praxitèle, Bach, Valéry, etc. La sensation d’une perfection existentielle, hors de l’espace et du temps, est le plus haut plaisir face aux misères. Dans cette voie inébranlable et non polluée par les aléas de la vie, Cezanne fait penser à Mozart.Synthèse : La lumière arrive de droite, inondant les différents éléments, les diverses formes, qui, elles, vont de gauche à la droite. Croisement vital, accouplement. Ce moment journalier, ordinaire, fugitif dans la vie, devient en peinture, intemporel, stable, silencieux, équilibré par l’unité du sens. A matière différente, traitement différent. Les champs sont d’imprécises bandes herbeuses le long du ruisseau Lauron, des dos terreux sans caractère au flanc de l’épaulement. Leur vert porte le bâti, leur ocre assure l’écho avec le hameau, prépare le bleu rosé de la montagne. Point d’artifice risquant de distraire l’œil. Les trois arbres sont on ne peut plus discrets.Les constructions occupent le centre. Elles sont la matière des hommes. A l’occasion d’un mariage, une maison s’est rajoutée, plus haute ou plus basse, selon le temps imparti et le nombre de bénévoles. Savante réponse aux besoins, individualisation de l’espace et soudure familiale. Des causes logiques et précises ont abouti à ce désordre ordonné qui passionne Cezanne. De grange en niche à cochon, tout est rythme, renvoi, reprise, ivresse de lumière. Loin d’être mort, ce hameau qui se dore au soleil est animé de confiance en la vie.La montagne est apparentée à l’esprit. Face déployée, majesté trônant au-dessus de la terre des hommes, occupant le ciel et buvant sa couleur, cette masse minérale est pure pensée, cette sauvagerie géologique est calme méditation. Sainte-Victoire n’est pas unique, elle est l’unité. Elle n’est pas belle, elle est l’ordre guidant la ligne complexe des hommes. Le hameau suit la montagne dans sa capacité à s’offrir à la lumière, dans son évolution immobile vers le levant. Lente est splendeur …Cezanne déclare : Longtemps, je suis resté sans pouvoir, sans savoir peindre Sainte-Victoire, parce que j’imaginais l’ombre concave, tandis que, tenez, elle est convexe, elle fuit son centre. Au lieu de se tasser, elle s’évapore, se fluidise. Elle participe toute bleutée à la respiration ambiante de l’air (in Gasquet, p 135). Sainte-Victoire donne l’impersonnel, la distance, le senti de l’air et le rose écho du rouge humain. Elle est le Parnasse (lieu qui n’a pas connu le désordre du Déluge), table-autel habitée par Apollon et les Muses. C’est à Gardanne qu’il commence à peindre Sainte-Victoire. Depuis la Barque (route de Fuveau), elle est encore une montagne, impériale mais matérielle. Depuis le Pont de Bayeux (vers Beaurecueil), elle n’est plus que « flou éthéré ». Ici, elle participe au culte de la lumière. Une maison (447), fait rarissime, s’est hissée sur la butte pour toucher le bleu de l’esprit, pour lier les hommes à la matière supérieure de la pensée. Elle est toute jaune, pour contraster.Je hais le mouvement qui déplace les lignes … Tout est calme et volupté…Cezanne, qui ne néglige aucun détail sur une niche à lapins, ne signale pas la croix sur Sainte-Victoire (il ne le fera jamais, en une quarantaine de tableaux). Peut-être ne la voit-il pas ? Peut-être ne veut-il pas la voir ? Le peintre ne mélange pas l’espace matériel et l’espace spirituel. Les rochers et le ciel s’échangent les bleutés et les rosés de l’esprit, au faite du tableau. Une croix serait un trait noir géométrique fabriqué par les hommes au milieu des tons surnaturels. Les choses doivent rester ordonnées. L’esprit n’a pas de point particulier.On comprend Cezanne lorsqu’il s’effrayait :Malheur ! Une touche de plus et je dois reprendre tout le tableau ! A la mort de Cezanne, ce tableau partit aux USA. En 1916, son propriétaire milita pour que les USA entrent dans la guerre européenne. En 1917, le Président Woodrow Wilson prit la décision. En 1918, le tableau fut offert à la Maison Blanche en guise de remerciement. Il fut placé dans le bureau ovale, tout en haut, sous la coupole. Il y demeure depuis. La cruche (aquarelle) Certains commentateurs ont écrit qu’à partir de Gardanne Cezanne pratiquait une peinture rustique, sinon indigente, comme le prouverait le cruchon devant une maigre étagère. Quelle opinion de peu de foi ! Cette aquarelle est d’une exceptionnelle richesse picturale, un tournant dans l’histoire de la peinture ! Le volume est expressif et la couleur fraiche, par une réussite qui tient à la pure invention cézanienne. Il n’a pas suivi le cruchon dans ses couleurs, mais dans son cerveau et sa connaissance de la lumière.Première surprise : Cezanne a barbouillé au crayon noir une grande partie de la surface, parterre, mur et cruchon compris. On sait son refus de rendre l’ombre par le grisé. Les traits gardent la même direction rectiligne, aussi bien sur le cruchon sphérique que sur le mur plat, aussi bien à l’ombre qu’à la lumière. Finalement leur rôle est de préparer la direction des touches, que Cezanne allonge de biais.Paul Cezanne. La cruche verte. 1885-86. Musée du Louvre.Aquarelle 19,5 x 23,2 cm Deuxième surprise : Le vernis de la cruche brille-t-il ? La cruche réelle n’est vernissée que dans sa partie haute, elle est crue et mate au pied. Or, la seule brillance logique de la lumière est le blanc au pied ! Les autres taches blanches sont du papier non peint, non placées sur la direction lumineuse.Une famille de taches papier part du col intérieur, descend par le col extérieur et le ventre, presque verticalement. Elle n’est pas une vérité de l’objet, mais une vérité picturale. Une sous-famille, plus à gauche ou sur les anses, souligne cette recherche.Troisième surprise : Une pointe de vermillon sur le pied du cruchon, écho du vermillon de l’étagère. Elle n’existe bien sûr pas sur le l’objet réel. Elle a pour but d’encadrer le vert et de lui donner de l’éclat. Un tendre violet au mur à gauche précède l’ombre. Le premier plan est une coulée du même ocre léger que le cru du modèle. Il est aussi plat et nu que celui du cruchon est sphérique et envahi. A droite, le mur reprend discrètement ocre et violet.Grande surprise enfin : La cruche dite verte est faite de séquences de toutes les couleurs. La séquence jaune / vert / bleu se lit très bien des deux côtés de la tache blanche du papier. Il ne s’en manque pas de beaucoup pour que l’on entrevoie du violet à gauche, du rouge à droite. Ce sont les couleurs de l’arc en ciel, et dans l’ordre. La tache blanche, somme des couleurs, est au point appelé culminant, celui qui est le plus proche du peintre. Cezanne n’exprime pas le reflet physique, mais le reflet d’une surnature de la lumière. Réaliser Cezanne se plaignait de sa difficulté à réaliser. Le cruchon nous permet de comprendre ce que réaliser veut dire. Non pas contrefaire la nature, non pas traduire sur la toile une sensation née du motif. Le cruchon est totalement indifférent à Cezanne, d’où cette impression de peinture indigente pour ceux qui voient dans Gervex une peinture riche.Réaliser est rendre visible en peinture une conception, une loi de classification des couleurs, une organisation de l’espace, depuis une logique émanant du cerveau de l’artiste. C’est créer en parallèle à la nature, dit Cezanne. Malraux va plus loin : L’artiste n’est pas le transcripteur du monde, il en est le rival. Et Picasso encore plus loin : Ce n’est pas ce que fait l’artiste qui compte, mais ce qu’il est, entendons le cerveau qu’il est, la loi harmonique qu’il développe. Malraux a salué les créateurs, les réalisateurs, pour exprimer la part d’immortalité que l’homme a en soi. Moderne Cezanne ? Non. Conservateur ? Non. Humaniste ? Oui. Cezanne a ouvert la porte aux deux plus grands mouvements picturaux du XXe siècle, le cubisme et l’art abstrait, par sa logique des couleurs, dont le cruchon marque une grande étape. Nous qualifierons donc cette aquarelle de riche, riche de réalisation, de sens et d’avenir.Mais notre difficile artiste cherche. En 1903, alors que son placement des couleurs s’est affermi, 17 ans après la cruche, Ambroise Vollard lui demande une citation dont il approuverait le sens. Cezanne répond par écrit et cite deux vers de Vigny : Seigneur, vous m’avez fait puissant et solitaire, Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre.Le destin de Moïse, Cezanne en prend écho pour lui : Il a fixé le cap, il a parcouru une part du chemin, mais il ne touche pas au but. A Gardanne, son autoportrait à la palette offre le cas très rare d’un visage avec regard. Que dis-je ! Avec une vision ! Il est devant son tableau comme Moïse au Sinaï. Cezanne vénère la peinture en mystique. Il est conscient de son travail et des perspectives qu’il ouvre. Faible dans la vie, puissant et solitaire en art.La réussite du cruchon est telle, qu’il semble « bien fait », alors qu’il est loin du réel. C’est que la loi harmonique de Cezanne nous est agréable, tant elle se superpose à l’harmonie de la nature sans nous choquer*, tout en développant des finesses qui nous enchantent.Le cruchon est beau comme un champ du possible, un possible parmi d’autres, affirmant qu’où il y a beauté, il y a bonté, vérité et justice. Cet optimisme indien, grec, hellénistique, latin et cézannien, attend tout de la nature et des hommes, la beauté servant à parler à Dieu.*Pourtant, l’entrée du cruchon est vue de dessus alors que l’ensemble est vu de côté. Cette façon d’élargir les cercles en perspective est fréquente chez Cezanne.Les portraits d’Hortense Hortense Fiquet, Madame Cezanne à partir de 1886, était souvent mise à contribution. Jour de pluie, de froidure ou de grand vent, l’homme qui ne s’arrêtait jamais de peindre imposait ses longues séances de pose à sa compagne. Il n’y avait rien de sentimental dans ce choix : Un paysage, un portrait, une nature morte, sont une consultation pour appliquer le principe des couleurs. Les formes à rendre ne sont pas les mêmes, mais c’est le même cuisinier qui réalise ces trois plats. Hortense était une commodité.Une seule fois, il la dessina pour elle-même, derrière un hortensia, et s’arrêta là. La vue de face présentant plus de modelé, elle est souvent retenue. La robe, l’arrière plan (tapisserie, porte, abstraction), sont bien entendu primordiaux pour les contrastes. Par contre, les accessoires, les ouvertures et surtout les perspectives, sont bannis. Cezanne ne mélange pas les genres. Quand il étudie un portrait, c’est un personnage seul, devant un mur, portrait voulant dire étude pour rendre le volume d’un visage, non pas la ressemblance à la personne ni l’expression d’un trait de caractère. Trop de gens ont cherché des indices sur la façon dont le couple vivait et s’estimait. La réponse est simple : La peinture n’est pas faite pour les péripéties. Elle est dans un monde étanche. Elle ne dira rien.Avec une conscience aigüe, Cezanne connait les trois éléments de la problématique. Il compte deux éléments externes : Le paysage (visage, pommes …) et la toile (tableau). Plus l’élément interne : Le peintre, le cerveau, maître d’œuvre du phénomène pictural.Or, pour lui, le premier élément externe (la nature, la personne, les fruits) est noyé dans l’espace tridimensionnel et le temps. Il est fuyant et confus, d’avenir mortel, dans le chaos d’idées sans racines.Il réalise le deuxième élément pour fixer le premier dans un monde permanent, classifié, organisé pour le combat loyal des idées de la dignité humaine. Dans les tombes égyptiennes, les danseuses n’étaient la représentation des danseuses de Pharaon, mais des danseuses du monde de l’Au-delà (A. Malraux). Sur les chapiteaux romans, les sculpteurs mettaient en lumière des vérités éternelles, sûres d’elles. A partir des années 1880-1886, Cezanne réussit à insuffler cette stabilité, cette intemporalité dans les paysages avec maisons, en particulier au moment de la série des Gardanne et Payannet. Il initialise (avec la cruche) sa disposition des couleurs selon le spectre de la lumière. Il a trouvé sa direction. portrait du musée de Houston Deux volontés du peintre sautent aux yeux : Simplifier les formes par la géométrie et les rendre par des tons jaunes ou bleutés.Cezanne aimait animer les contrastes. Il contrarie la symétrie par une dissymétrie. La ligne qui coupe le tableau penche à gauche, comme la porte. Le décor à gauche est marron sombre alors que celui de droite est bleu clair. Avec le décor, nous passons d’un marron peu accueillant à un bleu lumineux.L’organisation des jaunes et des bleutés. Là encore, symétrie, ou plutôt réciprocité : Les jaunes seront foncés par des bleus violacés, les bleus seront éclaircis par des jaunes allant jusqu’au blanc.La priorité jaune va au visage et au cou. Les mains n’apparaissent pas, afin de garder cette focalisation. La priorité bleue va à la robe et à la collerette du chemisier, mais se poursuit par le décor, ce qui donne l’effet de profondeur et l’attirance vers le visage, en quelque sorte proéminent.Madame Cezanne, 1886Huile 73 x 60 cm, Musée de Houston.Le modelé visage-cou est obtenu par du jaune clair, du jaune, des rosés sur les points dits culminants (pommettes, paupières, lèvres, menton) et des bleutés violacés dans la partie moins éclairée. Les yeux restent discrets, presque dessinés, non modelés. De même, la coiffure se contente de sa géométrie et d’un faible effet brillant.Les bleutés de la robe sont riches, soutenus par des verts, des jaunes, des blancs, marqués par la profondeur des noirs dès qu’il y a séparation de fonction. A l’inverse, les bleutés de la porte sont sans vert, ni blanc, ni noir. Afin de faire jouer la loi des contrastes, les bleus se purifient en s’approchant du visage et du cou (porte et collerette). portrait du musée de Philadelphie Madame Cezanne, 1886 Huile 46 x 38 cm Musée de Philadelphie. Cezanne cadre sur le visage vu de demi-profil, afin d’avoir de l’ombre. Il écarte tout décor. La robe noire permet de travailler la chevelure et les yeux. Le modelé s’accentue par rapport au tableau de Houston. Le visage contient non seulement des jaunes, des rosés et des bleus, mais des bleus sombres et des rouges. Le nez « à la parisienne » d’Hortense est mis enbleus du décor à l’approche de la tête, une mèche de cheveux couvrant opportunément l’arrière de l’oreille.Dans la partie gauche du visage, Cezanne ne fait pas coïncider les tons et le dessin (menton, joue, pommette). Loin d’être une maladresse, cette pensée d’aquarelliste se multipliera par la suite (débordements sur des pommes en particulier).A droite la chaise est signalée, Hortense n’étant ni debout ne en lévitation. portrait du musée de l’orangerieMadame Cezanne. 1886Huile 81 x 65 cm. Musée de l’Orangerie. Hortense est toujours sur sa chaise, immobile, les bras ballants. Mais cette fois les mains sont en partie visibles. La symétrie axiale est reprise, contrariée par la chaise, un peu de biais. La géométrie simplificatrice s’exprime dans la robe, qui est devenue bleue marine. Le décor est abstrait.Pour les tons, Cezanne garde les bleus sombres pour marquer les bras et les plis. Il opère quelques changements notoires sur la lumière, qui vient de la droite. Hortense, qui n’est plus brune mais châtain (on comprend l’importance de la chaise marron), et sur le modelé, délibérément obtenu par des plaques de couleurs de plus en plus vives et variées. Que ce soit, au mur, à la robe ou au visage, le problème de Cezanne est la taille de ces plaques. Si elles sont trop petites, elles rejoignent un pointillisme qui n’est pas dans l’esprit du peintre. Il veut qu’elles soient vues, sans effet caché. Si elles sont trop grandes, le modelé perd de sa plasticité, n’arrive plus à donner la forme. Dans 18 ans, Cezanne grandira les plaques et sacrifiera la forme, en particulier dans ses dernières Saint-Victoire. A Gardanne, il crée une mesure intermédiaire. Sa solution se lit par exemple sur la poitrine, avec ses plaques claires ou violacées sur des bleus soutenus. Le sens de tout cela Avoir vu un tableau est un minimum. Il vaut mieux l’avoir bu. Avoir bu sa palette, sans modération (son alcool est pour l’esprit, non pour le foie). Avoir bu sa construction, les petits airs de-ci-de-là qui se retrouvent au final (je suis obligé de dire wagnérien, que Cezanne connaissait, au lieu de Beethovénien). Avoir bu les arômes, la toile, la préparation de la toile, ces passes successives qui vont vers la vigueur, mais en gardant du moelleux. Avoir bu le toucher, les approximations laissées par le peintre, relief humain là où la machine ferait lisse. Avoir bu ce goût qui n’est plus celui du sujet, mais de la valeur, plus celui fade de l’objet muet, mais somptueux de l’optimisme.Deux comparaisons Deux portraits Bonaparte Premier Consul Madame CezanneFrançois Gérard (1800, Paris) Paul Cezanne (1885, Gardanne)Musée Condé, Chantilly Musée de HoustonGérard est considéré comme l’un des plus grands portraitistes de tous les temps. Le dessin et la finition de son Bonaparte sont de l’ordre de la perfection. Le portrait informe. Bonaparte est général, il a la trentaine (31 ans exactement). Il est celui qui a conduit la fulgurante Campagne d’Italie (les Alpes, dans son dos, le rappellent). Sûr de lui, volontaire, il fixe le spectateur, comme pour lui dire « Vois qui je suis ». La mèche de cheveux, quelque peu désordonnée, accentue le caractère et éloigne du XVIIIe siècle.Le portrait est, pour Gérard, le moyen de capturer l’apparence du Premier Consul en 1800 et d’en exprimer le trait de caractère dominant, l’ambition. Il utilise pour cela les canons de la peinture académique : Recherche de la perfection, précision du dessin, habileté à cacher la touche (autrement dit finir, peaufiner), finesse du modelé des couleurs (le visage, la neige, la veste). On sent le tissu de la veste et du col, la laine des épaulettes, le métal des boutons, le volume du visage, le tout éclipsé par deux yeux extraordinaires de vérité.Le portrait atteint ce que permettra plus tard la photographie, et la dépasse, tant il renforce la présence physique du Consul.La peinture académique remonte à Le Brun et Poussin. Elle est passée par David, Gérard, et Ingres. Elle fleurit du temps de Cezanne chez une multitude de peintres tels Bonnat, Bouguereau, Cabanel, Couture, Gérôme, Gervex, etc. Cette Ecole suppose que l’Antiquité grecque et romaine a atteint un idéal artistique, dont il faut essayer de se rapprocher. D’où les sujets souvent antiquisants, les compositions métaphoriques, moralisantes. Cezanne, après Corot et Courbet, et avec les Impressionnistes, se détourne de cette Ecole. Mais lui plus que tout autre. Alors que David est l’un des plus parfaits peintres classiques, Cezanne dit à sa petite fille : Un grand malheur pour la peinture, que votre grand-père … Seul Poussin a grâce à ses yeux. D’abord parce qu’il reste proche de la nature, ensuite et surtout parce qu’il essaie parfois de traduire des pensées, des concepts venant de l’esprit. Quatre vingt cinq ans après Gérard, Cezanne réalise ce que nous appelons un portrait et où nous identifions Hortense Fiquet, sa compagne. Il privilégie la couleur, simplifie le dessin, qui reste souvent approximatif. Autant Gérard informait sur l’apparence, autant Cezanne la détruit, applique des taches, des traits de pinceau, quitte la « photographie » pour opérer une métamorphose. Madame Cezanne est statufiée, absente. Le peintre l’amène … L’amène où ?Cezanne ne le sait pas quand il commence un tableau. Maintenant, il se réjouit de ce rose des joues qui s’allie si bien aux bleutés, de la simplicité du visage (un ovale), devant le pied scabreux du vaisselier et une horrible tapisserie, de la lumière du chemisier, qui tranche avec la porte. Madame Cezanne est installée hors du temps, dans le monde pictural. Deux natures mortes Chez les Hollandais, la peinture de fleurs, sujet profane, était très apprécié par la société, qui se sécularisait. Peindre la nature, en rendre ses beautés, était une occasion pour l’art de rivaliser avec elle et de la dépasser. Ici par exemple, sont réunies des fleurs qui ne fleurissent pas à la même époque et qui ne fanent pas. Le propriétaire est fier de décorer son salon d’un sujet aiguisant le plaisir des sens (la beauté) et attestant la supériorité de l’homme. Bruegel utilise un fond noir, un dessus de meuble neutre, un vase terne, afin que l’éclat lumineux et les couleurs jaillissent des fleurs. Le bouquet explose carrément de blancs, roses, jaunes et rouges. Cette première impression passée, le dessin et le détail des tons sont rendus à la perfection. Le vase d’abord, puis les roses, les tulipes et d’extraordinaires iris. Le bourgeois d’Amsterdam possesseur du tableau donne à voir des fleurs nouvelles (tulipes), au meilleur de l’éclosion (roses, iris) et parfaitement conservées. Il ne manque que le parfum. Cezanne a demandé la permission de cueillir quelques fleurs dans un jardin, et il a monté un bouquet, de bric et de broc, avec des œillets, une pivoine, des feuilles et des tiges. Le vase a certainement été amené du Jas de Bouffan. Il lui faut faire vite. Après ce tableau, il renoncera à peindre des fleurs, trop éphémères pour sa façon de pratiquer. Vraie nature morte, le sujet comprend aussi des objets (bouteille, assiette, encrier) et des fruits (pommes).On sent la volonté du peintre de cadrer les fleurs (biologiques, brouillonnes), dans des verticales, des horizontales et une oblique très marquées. Au contraire de chez Bruegel, le dessin est très imprécis, et même éloigné de la réalité (le vase penche, l’assiette est allongée, l’ouverture de l’encrier est « vue de dessus »). Cezanne se fait malhabile. Des centaines de bouquets aussi réussis que celui de Bruegel existent et tombent dans le décoratif. Cezanne serait incapable d’en réaliser un de plus, par manque de technique, et surtout par manque d’attrait pour une peinture bien pensante, ou plutôt ne pensant rien.Au noir de Bruegel, Cezanne préfère le tout lumineux, une constante chez lui : Peintre, c’est profiter de la lumière, non de son absence. Le vase doit sa qualité non pas à son modelé, très modeste, mais au jaune éclatant du dessus de la table et aux deux rouges phares de la fleur et de la pomme. Bien sûr, ce sont les complémentaires. Elles démontrent ce que Cezanne répète : Tout se tient. Les œillets ressortent autant que les fleurs blanches de Bruegel, sans besoin du noir. Enfin, tiges et feuilles sont aussi importantes que les fleurs, apportant la vivacité des verts et les échappées folles de ce monde ordonné. relief. Le portrait prend un caractère vivant, que celui de Houston refusait. Il est pour cela plus facile.On retrouve la purification.

Les bastides de Valabre

Valabre, Bastide et chateau

 

Michel Deleuil, janvier 2012

 

Dans les Bouches du Rhône, entre Gardanne et Luynes, la D7 franchit une clue. L’eau ruisselante (en celtique vabero) a creusé dans la falaise nord une grotte et un abri sous roche (en provençal vabre). Le lieu se nommait La Vabre jusqu’au XVIe siècle, et ensuite Valabre.

L’espace est occupé par deux constructions mal connues, la bastide au sud, le château au nord. Historiens et architectes n’ont pu mettre à jour de documents autre que notariaux (1 à 4). Un consensus s’est établi sur les dates. Mais les aspects d’origine font débat. Etaient-ils ceux que nous voyons (1 à 3) ? Ou au contraire ont-ils été modifiés lors de rénovations (4) ?

En l’absence de preuves directes, nous avons étudié l’implantation, les familles tour à tour possesseurs des lieux, les mouvements de la pensée à l’époque. Ces éléments indirects ouvrent selon nous une nouvelle piste.

 

  1.  

 

La bastide fut construite entre 1575 et 1580 (1). Le terroir gardannais avait été ravagé en 1574 par les Protestants. La position et le plan laissent envisager un fortin, placé là pour défendre le moulin1 mitoyen et le chemin voisin.

 

Le château date du premier tiers du XVIIe siècle (1). Il occupe l’endroit le plus étroit, le plus malcommode, sur un terrain en dévers, sous la menace de rochers se détachant de la falaise et sous l’exposition au ruissellement. Il a fallu creuser au nord-est, combler ailleurs. La façade du levant est encaissée. La longueur est limitée. Un château aurait été implanté à deux cent mètres de là, en aval ou en amont, où les sites sont favorables. Ce bâtiment est conçu de toute évidence pour donner directement accès à la grotte, à la vabre, et à la chapelle, malgré les difficultés. Cette tétralogie château / grotte / vabre / chapelle lie le bâtiment à la nature et à la religion. Nous l’appelons « château », alors qu’il n’en prit la tournure qu’en 1735.

Le génial concepteur a réussi à transformer un handicap en avantages. Au lieu de combler tout l’ouest, il a lancé un voutement sur plus de 600 m2. Au-dessus, il a prolongé l’esplanade. Au-dessous, il a créé des écuries pour 50 chevaux et les a ouvertes de plain pied sur le chemin. Les murs des fondations sud et ouest ont été comblés. Ils assurent une moindre sensibilité aux vibrations de la terre, ce qui est indicatif pour la destination du château.

 

  1. Thomas-Milhaud, Nicolas Fabri, Joseph de Gautier :

 

En 1573, le conseiller au Parlement de Provence Barthélemy de Thomas-Milhaud achète le moulin et le quartier de la clue. Il est très lié à Rainaud Fabri, autre conseiller, seigneur de Rians, homme fort dynamique. Honoré, le fils aîné de Barthélemy, est seigneur de la Valette.

Milhaud construit le fortin (1575-80) et meurt en 1590. Son fils Charles vend la partie sud (moulin et fortin) à la famille Fabri, mais conserve la partie nord, vide. Quand il vend cette dernière, en 1632, le château est mentionné. Il est donc antérieur à 1632, et l’œuvre de Charles de Thomas-Milhaud (1 ; 2 ; 3 ; 4). Charles est conseiller au Parlement et parrain en 1696 de Suzanne Fabri, demi-sœur de Nicolas Fabri fils de Rainaud, que nous allons suivre.

 

L’acheteur de 1632 est Joseph de Gautier2, un moine, prieur de La Valette, conseiller au Parlement. De Gautier est né à Rians, la ville des Fabri. Religieux, il s’intéresse comme nombre de ses collègues à l’astronomie et aux mathématiques, sous l’influence « du maître », Nicolas Fabri, dit Peiresc. Nicolas a 16 ans de moins que Joseph, mais il est si brillant en sciences et en arts qu’il est la référence de toute la Provence.

A La Valette, Joseph a organisé dans les années 1620 des rencontres entre astronomes, avec exposition de matériel, documents et publications. Il a connu un grand succès. Participaient à ces salons des poètes, ambassadeurs, missionnaires, philosophes, historiens, peintres, érudits venant de Hollande, Vatican, Angleterre, Montpellier, Marseille, Lyon, Paris. Pourquoi un moine achèterait-il un château, sinon pour l’utiliser à ses fins, qui sont les colloques scientifiques ?

De Gautier achète et vient habiter Aix. Trois ans plus tard, à 71 ans, il cède ses biens à son neveu Antoine de Gautier, à l’exception du château, qu’il espère encore animer.

 

Nicolas Fabri (généalogie en annexe) naît en 1580 à Belgentier, près de La Valette. Sa mère, dame de Peiresc3, décède deux ans plus tard. Nicolas adoptera parfois ce nom. Nous l’appellerons désormais Peiresc. Il part en Italie étudier auprès de Galilée et d’autres savants. De retour, et devenu Docteur en droit de l’Université de Montpellier, il prend une charge de conseiller au Parlement, mais se consacre plus aux arts et aux sciences qu’à ses obligations. Il entretient des correspondances avec les plus grands (Galilée, Gassendi, Rubens, …), voyage beaucoup, devient le phare des savants et des architectes provençaux. Il organise des rencontres à Belgentier et à Aix. Sa méthode est tout à fait singulière : Il suggère, finance, transmet, mais il n’apparait jamais. Ce grand découvreur ne publie rien. Cet auteur de plus de 20 000 lettres n’écrit aucun rapport.

Une de nos difficultés provient de ce mode de fonctionnement.

 

Milhaud, Peiresc et de Gautier, conseillers au Parlement de Provence, militent contre Richelieu et Louis XIII, dans le sillage de Guillaume du Vair 1556-1621, premier Président du Parlement de Provence, garde des Sceaux en 1616-1621, protecteur de Malherbe et de Peiresc. Milhaud, Peiresc et de Gautier fréquentent les lieux d’Aix, Rians, Artigues, La Valette et Belgentier. Ils partagent la même passion pour l’astronomie, la même admiration réciproque. Le château est moins l’initiative du seul Milhaud qu’un projet concerté, pensé pour développer les belles réussites des salons varois, pour donner à Aix son éclat de capitale politique et scientifique, pour s’affranchir de la tutelle de Richelieu et de Paris (Peiresc a visité en 1616 le Collège Royal, achevé en 1612).

  1. Aspects à l’origine :

 

La bastide présente un corps archaïque et des éléments de façade à la fois externes et raffinés. La toiture a été agrandie en utilisant les tours comme support (4). La portée étant trop importante, la façade du levant a reçu un jeu de 4 colonnettes porteuses sur perron, la façade du couchant 2 grandes colonnes et un balcon, qui profite de la déclivité du terrain.

Gloton situe l’embellissement du fortin en 1690, date à laquelle l’ordre toscan et les anses de panier (du balcon) deviennent d’usage courant, grâce à Laurent Vallon (4).

Nous proposerons une rénovation plus précoce (1625) et donc bien plus innovante.

 

Le château des origines peut être reconstitué à partir de l’inventaire demandé en 1734 par les Gueidan. Il était à toit plat, avec balustrade et ouvertures à la capucine sur le toit.

Au levant, la porte nord du premier étage ouvrait sur un balconnet et sur une rampe, qui permettaient d’accéder à la grotte puis à la chapelle en passant sur la vabre.

Au couchant, l’entrée monumentale était surmontée d’un balcon à balustrade, sur piliers, de style identique à ceux des petits balcons d’angle, qui, eux, ont été conservés. Le vestibule, ouvrait à droite sur les cuisines, à gauche sur une salle à manger sans apparat. Ni cheminée, ni escalier à vis. On atteignait l’étage par une seule montée droite, qui isolait l’aile nord de la falaise et du froid. Le premier étage comportait bien deux salles, mais il fallait traverser la première pour aller dans la seconde et dans les chambres de l’aile sud. Le second étage était un labyrinthe de chambres et de pièces obscures. Au total, 30 chambres et autant de retraits.

Cette profusion de chambres et ces immenses écuries ont fait avancer l’hypothèse d’un lieu de rendez-vous de chasse (1). Il est difficile d’y croire : Pas d’ostentation, pas de cheminée, aucun signe seigneurial, à l’extérieur comme à l’intérieur. Si Milhaud projetait des rassemblements, c’était ceux des adversaires de Richelieu. Mais alors, pourquoi ces pièces obscures ? L’acheteur Joseph de Gautier est un moine mystique fort éloigné de l’esprit de la chasse. Par sa passion de l’astronomie, il a besoin de pièces isolées pour protéger le matériel.

 

Les extérieurs de la bastide et du château affichent l’ordre toscan. Billioud, Roux et Massot (1 ; 2 ; 3) les considèrent comme ceux de l’origine, alors que Gloton (4) renvoie ce style aux rénovations (1690 et 1735). L’enjeu est de taille. Ou bien l’extérieur est celui de 1625-1632, et Valabre innove avec un demi-siècle d’avance sur les hôtels d’Aix, ou bien il ne date que de 1690-1735, et il entre dans la routine des successeurs de Laurent Vallon.

La même pierre blanche de Calissanne est présente partout, aux colonnes, aux angles, aux encadrements, aux balustres, etc. Il aurait fallu refaire complètement le château, ce que nie le projet de 1735 : Rénover l’intérieur et placer une toiture. Dans les ailes, les portes ouvertes par les Gueidan ne sont justement pas de style toscan. Laurent Vallon utilise cet ordre à Aix autour de 1700, mais avec la molasse de Bibémus, non avec la pierre blanche. Gloton juge que les voutes en anses de panier ne peuvent être antérieures à 1690. Pourtant, elles existent au château de Blois, dans l’aile Louis XII, dès 1498, et Peiresc les a vues. Elles sont donc possibles à la bastide dès 1620, au retour de Peiresc.

La même pierre, la même facture, l’ordre toscan pur, se retrouvent à la bastide et au château. Nous proposons de voir là une même conception, une même réalisation. Le fortin de 1575 reçoit ses deux façades vers 1625, puis le château est construit vers 1625-1632.

 

Qui mieux que Peiresc pouvait choisir un style, un matériau, un plan adapté au besoin ? Il était architecte, il avait vécu 4 ans en Toscane, il avait vu Paris et Blois. Le toit plat, les balustrades, le calcul des anses de panier, l’abandon de tout signe seigneurial (créneaux, tour, mâchicoulis, dissymétrie), sont tout à fait dans l’esprit savant et pacifique de Peiresc.

Mais il valait mieux rester discret. Nombre d’opposants au cardinal eurent la tête tranchée, nombre de châteaux furent rasés. Valabre s’est peut-être réalisé dans le secret. Il est le seul château provençal de cette période difficile, et il est sans documents.

Les constructions qui précèdent Valabre (1540-1590) n’ont pas d’élément toscan : Hôtels d’Arles, les Baux, Châteaurenard, Alleins, Marseille, châteaux de Lourmarin, d’Allemagne et de la Tour d’Aigues, Grand Saint-Jean.

L’ordre toscan se caractérise par des colonnes légèrement galbées et de hauteur 7 fois le diamètre, des pilastres plats sans cannelures, des pieds et des entablements simples, avec usage fréquent de balustrades pour les terrasses et les balcons.

Ce style sera repris dans les hôtels d’Aix et d’Avignon, (d’Arbaud-Jouques au 19, cours Mirabeau, de Caumont rue Cabassol, façade de la chapelle des Oblats place Forbin, hôtels de la rue Cardinale, hôtel Villeneuve à Avignon, etc.) sans atteindre, à nos yeux, la belle simplicité initiale de Valabre.

← Façade ouest, angle nord.

Ordre toscan. Colonne, balconnet, balustres aveugles courant sur l’horizontalité, pilastres liant la verticalité. La petite porte date de 1735 et ne bénéficie pas de ce style, malgré le réemploi du seuil.

 

  1. L’astronomie au début du XVIIe siècle :

 

Agrandir la toiture du fortin est une idée d’astronome pour éviter la chaleur estivale. De 11 H à 16 H, les façades sont à l’ombre l’été. Et le fortin appartint à la famille Fabri.

A l’époque, les astronomes travaillent avec du petit matériel, qu’ils installent dans leur maison (pièce obscure dite chambre, la grotte de Valabre étant appelée petite chambre). L’information circule par lettres, publications, rencontres. La Provence est très dynamique. Aix s’honore de noms prestigieux comme Peiresc, Gassendi, Joseph de Gautier.

Peiresc surmonte sa maison d’Aix d’un petit observatoire. Sa bastide des Arnavaux est surnommée « le bureau des longitudes ». L’observatoire de Paris, dû à Cassini en 1667, ceux de Marseille (1685) et de Toulon (1719), ont des plans qui rappellent Valabre : Toit en terrasse, corps orienté vers le sud, deux retours d’ailes, murs épais, caves profondes, division interne en multiples chambres et cabinets obscurs.

Une parfaite horizontalité, une température constante, l’absence de vibrations, sont nécessaires aux pendules et aux mesures d’angles. Des ouvertures verticales et latérales, dans toutes les directions, permettent d’utiliser les lunettes. Valabre suit ce cahier des charges au retour Sud. Les observations sont nocturnes (Joseph de Gautier, sur invention de Peiresc dite du puits de Rians, est le premier à observer de jour). Les colloques se tiennent dans un lieu à chambres et cabinets nombreux, à l’abri du vent, escaliers rares, cheminées prohibées.

La phase des débuts (1610-1680) est due « aux équipes de Peiresc, Wendelin, Kircher, Gassendi, Joseph Gautier et leur héritiers directs4, une astronomie de cabinet pratiquée par un honnête homme, un lettré. Elle se caractérise par son autonomie, par la diversité de ses recherches, et par sa polarisation autour d’Aix. C’est par Aix-en-Provence que la France connut les découvertes de Galilée et c’est par Aix-en-Provence que s’introduisent les premières lunettes (1610-1667) » (5).

Valabre semble avoir été pensé comme lieu de rencontre. A l’époque, astronomie et astrologie sont mêlées. On veut côtoyer la grotte, utiliser la chapelle, la vabre. Prédictions et commerce ne sont pas distincts de conférences, d’expérimentation en commun. Science, religion et philosophie, nature et homme forment un tout.

Valabre unit le religieux, l’essor de l’art et des sciences, en une même pensée. Il propose le savoir plutôt que la Fronde, la beauté sans défense ni ostentation, l’harmonie entre la connaissance et les mystères de la nature. Il clame la confiance en l’homme au travers d’une époque tragique faite de corruptions, de révoltes, de guerres, d’épidémies et de misères.

Robert Mandrou (6) a étudié les manuscrits de Peiresc. Voici ce qu’il écrit pour les années 1620-1630 : La république des lettres est devenue la république des savants … preuve en est donnée par les activités de ces assemblées informelles, non institutionnalisées, qui n’ont malheureusement pas souvent laissé de trace derrière elles … Le cas provincial le plus remarquable est celui de Nicolas Peiresc. Dans sa maison d’Aix et dans son domaine de Belgentier, il a rassemblé manuscrits et objets rares, il a installé des lunettes sous les toits, et entrainé ses visiteurs à la découverte des merveilles du ciel.

Mandrou ne mentionne pas Valabre, qui ne fonctionne probablement pas.

 

          5. Le destin d’un château (1635-1683) :

 

Point de trace de rassemblements. La correspondance entre Peiresc et Gassendi ne fait aucune allusion à Valabre. Malgré les pertes, le nombre de lettres restantes est assez élevé pour que l’on puisse conclure à l’improbabilité de la fréquentation de Valabre par les savants.

 

Le grand homme que fut Pierre Gassend est né près de Digne en 1592. Il devint moine, astronome, élève de de Gautier à La Valette. Puis il se partagea entre Digne et Aix et fut le meilleur ami de Peiresc, qui mourut dans ses bras.

Atteint de tuberculose, Peiresc est très affaibli à partir de 1635. Il meurt en juin 1637. Gassendi part à Paris (il est nommé professeur au Collège royal). Le foyer culturel aixois est décapité. Joseph de Gautier a 73 ans. Il souffre de calculs rénaux et devient acariâtre. Il refuse tout contact. Peut-être est-il jaloux de l’ascendant de Peiresc sur Gassendi, peut-être souffre-t-il trop. La correspondance entre Peiresc et Gassendi révèle l’attitude négative de de Gautier, qui ferme sa porte, garde les dossiers, donne ses instruments d’optique à son neveu Honoré de Gautier. La rupture est patente, même si les domestiques portent encore quelques billets.

Joseph se retire dans sa bastide de Puyricard et meurt en 1547.

 

Construction savante, Valabre est un rêve non abouti. Des facteurs ont pu jouer, comme l’insécurité, les pestes, la tuberculose de Peiresc, le caractère de de Gautier, la volonté « de ne pas laisser de traces ». Nous sommes réduits aux hypothèses.

Le nouveau propriétaire, Antoine de Gautier, agrandit le domaine. Il est coseigneur de Gardanne avec les Forbin, Président au Parlement. Quand éclate la « guerre du semestre » (1648), il est l’un des meneurs des détenteurs d’offices contre Mazarin.

En 1666, les habitants de Gardanne envoient à Versailles deux représentants portant la lettre suivante au roi : Il y a deux ou trois mois, par violence et voies de fait des seigneurs contre les habitants, leur démolissant leurs viviers, écluses, fosses, les privant des eaux pour l’arrosage de leurs terres, de laquelle ils avaient joui de tout temps, les réduisant à quitter leurs maisons… Le roi arbitre. De Forbin et de Gautier perdent leurs droits, mais doivent être dédommagés de 134.492 livres (1669). Antoine meurt cette année-là. Son fils Antoine II traverse des péripéties. Finalement, la commune est incorporée au domaine royal (1673).

En 1683, Antoine II de Gautier vend Valabre à Pierre Gueidan.

 

 

← Le château s’encastre dans la vabre. Une porte ouvre devant la grotte et une rampe mène à la chapelle. Deux colonnes toscanes soutiennent l’auvent. Elles sont de la même pierre et du même style que les encadrements façade ouest. Pour éviter les dégâts du ruissellement, le vallat au dessus a été canalisé et dévié.

Selon Billioud (1), la chapelle n’a pas disparu par la volonté des Gueidan, mais par l’incompétence des maçons chargés de l’entretenir.

 

 

 

 

 

 

 

← Bastide aux 4 tours, façade ouest. Remarquer la rusticité des tours, qui sont aveugles, sauf la N/E qui contient l’escalier. La rénovation efface le fortin au profit d’une résidence d’été. Ouverture de grandes portes fenêtres, apparition d’un balcon aux belles anses de panier. Les tours ne sont plus que les porteuses de la toiture, qui a été avancée de 2 mètres. Les grosses colonnes porteuses devancent les colonnettes du balcon. Style toscan le plus pur.

Valabre et les gueidan (1683-1882)

 

  1. Les premiers Gueidan (1683-1734)

 

Gaspard I Gueidan5, né en 1616 à Reillanne (84), riche négociant en bœufs et moutons, achète en 1650 un poste d’auditeur à la Cour des Comptes d’Aix.

 Il vient vivre à Aix, s’acquitte du prix de la charge, et se met à étudier le Droit.

A 50 ans, il est reçu bachelier. Son épouse lui a donné un fils, Pierre, né en 1646.

Il nous faut insister sur cette ascension, car elle conditionne le comportement de tous les Gueidan, y compris du dernier, 200 ans plus tard.

Un phénomène fréquent à l’époque (7) va fonctionner sur tous les Gueidan : Le père étant monté dans la hiérarchie, il exige au moins autant de son fils. Malheur à qui régresserait et dilapiderait. Pierre est donc averti : Il faut devenir magistrat. Il étudie le Droit à l’Université, épouse une fille de Conseiller au Parlement. C’est parfait, Gaspard dote grassement. Mais en 1680, le père commence à railler le fils, qui, à 34 ans, ne monte pas. Après 10 ans de mariage, il est sans enfant et sans charge. Non, le vieillard ne cède pas la sienne, pourtant héréditaire. Mieux, quand naît enfin le premier petit-fils (1688), il déshérite son fils au profit de son propre frère Jean, lequel devra le céder à l’héritier de Pierre quand celui-ci atteindra l’âge de 25 ans. Gaspard I ne plaisante pas sur l’arrivisme.

Pierre a été mal aimé, mais il est riche, car l’oncle Jean est mort. En 1681 il achète l’hôtel du 22, Cours des carrosses (Mirabeau), puis en 1683 le domaine de Valabre. Il s’intéresse aux terres, à l’élevage des moutons. En 1701, « Le tènement de Valabre est mieux clos et mieux fermé qu’aucun autre des terroirs d’Aix et de Bouc ». Ce mur de Gueidan enferme 100 hectares qui protègent les moutons. Des pâtures en clairières sont aménagées à l’intérieur.

En 1691, à 75 ans, le patriarche Gaspard avait enfin cédé à Pierre la charge d’auditeur à la cour des Comptes, avant de mourir en 1694.

← Pierre Gueidan en magistrat. Main droite « de justice ». Atelier H. Rigaud, vers 1685. Château de Valabre.

 

En 1713, Pierre achète un office de Président à la Cour des Comptes (8). Il entretient le domaine de Valabre avec soin. Après le mur, il fait une écluse, plante des chênes et des peupliers, garantit l’approvisionnement en eau, ouvre un chemin, gère les labours, les troupeaux et la forêt, malgré le terrible hiver de 1709 et les années de peste 1720 et 1729.

La bastide aux quatre tours sert de grange, le château se dégrade. Il pense à intervenir, sollicite de grands architectes mais tous déclinent (Thomas Veyrier, Laurent Vallon, Jean Baptiste Franque). Respectent-ils trop l’œuvre initiale pour la déformer ? Le but n’est pas assez créatif.

Pierre meurt en 1734 dans son hôtel du Cours. Ses enfants lancent sur Valabre le fameux inventaire qui nous permet de connaître l’aspect 1734 et donc l’aspect 1632.

L’architecte Esprit Brun entame la reconversion en château (1735). Il pose une toiture, enlève le porche d’entrée ouest, supprime le petit balcon qui menait sur la vabre. La chapelle finira par disparaître. Le changement majeur concerne l’intérieur, où salles, cheminées, chambres, escaliers, prennent enfin des allures aristocratiques. Il faut dire que l’héritier, Gaspard II Gueidan, ne recule devant rien pour accéder à l’élite.

 

  1. Sous le grand homme de la famille (1734-1767) :

 

Pierre a eu 7 enfants. Seul l’aîné Gaspard II concerne Valabre. Né en 1688, il est l’enfant le plus doué et le porteur de la règle familiale : Viser plus haut.

En 1714, il laisse à son frère la charge de Président à la Cour des Comptes, car il ambitionne le Parlement. En 1724, il épouse Angélique de Simiane6 (la Rotonde, 04), fille de haute noblesse d’épée. Ce mariage est selon lui de fantaisie, c’est-à-dire sans calcul.

Pour plaire à Madame, il achète un nouvel hôtel au 10, cours Mirabeau (1730). Cela évite de vivre chez papa, au 22, car le malaise est grand entre les deux hommes, à cause du testament de Gaspard I. En 1694, quand ce dernier meurt, Gaspard II reçoit tout le patrimoine.

 

Avocat général depuis 1714, il est remarqué pour son zèle, son intelligence et son désintéressement (8). Ses discours sont très appréciés, autant pour la forme que pour le fond. Il rêve d’entrer à l’Académie française. En 1740, une place se libère au Parlement et Gaspard la saisit : Il achète la charge de Président à mortier. Cet un tournant.

Autant il était dynamique et brillant au palais de justice, autant il sera effacé au Parlement, dans l’ombre de Boyer d’Eguilles. Il fait partie de l’élite, mais il n’est pas satisfait. Commence en lui un comportement de mythomane, alimenté par son désarroi devant les réalités. Réalités de pestes, d’intrigues, de déchirements familiaux et de pertes d’argent.

 

Angélique donne 9 enfants à Gaspard, 6 garçons, 3 filles. Il sera ici question des 2 aînés, Joseph et Adélaïde, qui sont nés tous deux en 1725, l’un en janvier, l’autre en décembre, l’un héritier et l’autre héroïne d’une aventure. Pour son aîné, Gaspard vise le titre de marquis, rien de moins. Sa mégalomanie lui dicte de posséder un fief noble pour être un noble d’épée. En 1737, il demande que Valabre soit érigé en un tel fief. Levée de boucliers à Aix, recul.

En 1746, il achète le Castellet (près de Guillaumes, 06) et demande aussitôt au ministre de l’élever en fief noble. Le chancelier d’Aguesseau accepte. La particule est gagnée. Il est Gaspard de Gueidan. Il sollicite le roi pour que le fief du Castellet soit appelé Gueidan et qu’il soit élevé en marquisat. Louis XV en décide ainsi en mai 1752, au regard du beau travail exercé par Gaspard quand il était avocat général, et aussi au toucher de quelques pièces d’or.

Gaspard fréquente l’aristocratie aixoise des d’Entrecasteaux, Mazaugues, Boyer, Forbin, Fauris, d’Arbaud-Jouques, d’Albert et autres. Il descend parfois à Valabre. Il est le plus gros propriétaire de Gardanne, mais n’intervient pas dans la vie publique, alors qu’une guerre ouverte oppose dans le village les bourgeois aux ménagers (petits propriétaires).

 

Le domaine de Valabre compte 188 hectares, dont 163 d’un tenant et 25 isolés. En 1738, Gaspard fait démolir la Forbine (ferme au couchant) et déporte l’entrée du couchant au levant.

Deux clauses fort anciennes, qui remontent aux Forbin, stipulent qu’aucun hameau ne pourra être construit, ni aucun arbre abattu. L’exploitation du bois est tolérée dans une zone précise, intra muros du mur de Gueidan pour agrandir les clairières à moutons.

 

L’armorial nobiliaire de Provence est remis à jour à cette époque. Gaspard s’invente une ascendance mythique, aussi prestigieuse que fausse. Selon lui, le fief de Gueidan existerait de très longue date. L’ancêtre serait Bertrand, comte de Forcalquier7, vers 1024. Les descendants auraient participé, comme il se doit, à tous les grands événements royaux, sacres, croisades, conquêtes, guerres de religion, pour aboutir à son grand-père Gaspard I. Notre marquis se dit « haut et puissant seigneur ». Chez les notaires, il signe « Marquis de Gueidan des comtes de Forcalquier » mais au Parlement il reste prudent et signe « Gueidan ».Angélique est-elle résignée, consentante, ou complice ? Cet homme brillant et égoïste a dû éteindre son entourage. L’aîné Joseph n’a pas de ressort. Il vit à 38 ans avec papa et maman, marquis sans charge, héritier assisté. Adélaïde, quant à elle, a su s’affranchir et vivre une histoire d’amour. Demoiselle de l’aristocratie, elle reçoit une éducation musicale. En 1749, elle part en Italie étudier le violoncelle. Dans ses mémoires, Casanova affirme n’avoir eu dans sa vie qu’un seul amour, celui pour une certaine Henriette identifiée aujourd’hui en Adélaïde (8).Elle rencontre Casanova à Civita Vecchia et elle a un enfant de lui. Ils placent le bébé à Genève puis se séparent, avec promesse de ne plus se revoir. Elle rentre et se marie à 29 ans à Pierre de Demandolx, marquis de la Palud. En 1763, Casanova n’y tient plus et vient à Aix, à la recherche d’Henriette. Il prétexte d’un ennui de carrosse pour entrer dans le château de Valabre. On lui offre le dîner et la chambre, mais point d’Henriette. Au matin, en partant, il trouve un billet écrit d’un seul mot : Henriette. Elle était bien là, mais s’était cachée. Il reviendra en 1769, mais ses mémoires laissent supposer qu’il ne la rencontra pas. Gaspard reproche à Joseph ses dépenses et son célibat. Maman Angélique soutient son fils et choisit une promise (une parente) pour une alliance que Gaspard réprouve. En 1764, à 39 ans, Joseph de Gueidan se marie à Claire Marie Hélène de Clapiers, 45 ans, veuve. Le choix laisse pantois quand on pense que le but est d’obtenir un héritier. Autre surprise : Le mariage est célébré à Gardanne, dans l’église paroissiale, inaccessible aux carrosses. Gaspard est absent mais un fondé de pouvoir le représente, qui n’est autre que François de Simiane 1705-1782, frère aîné d’Angélique. Les tourtereaux comptent vivre à Valabre, faute de moyens et d’accueil paternel. Deux ans plus tard, Joseph est veuf et sans descendance. ← Tableau dit à la perruche, posée sur la main d’Adélaïde et montrée par Catherine. Vers 1742. Château de Valabre. Les derniers Gueidan (1767-1882) : Joseph et sa mère vivent en silence dans l’hôtel du Cours, quand soudain, 14 ans après, en 1781, remariage. Il a 56 ans, Henriette de Félix Ollières en a 19. François de Simiane a épousé en 1776 Anne de Félix Ollières, sœur aînée d’Henriette. Il avait alors 71 ans et n’en a pas moins eu 4 enfants, mais tous morts en bas âge. Les derniers espoirs des Simiane reposent sur Joseph.Un fils naît en 1783, baptisé Alphonse. Il était temps, Joseph meurt l’année suivante. Joseph semble avoir manqué de personnalité. Fils d’un père jovial et dynamique, il était mal à l’aise dans son titre de marquis. Il n’adopta jamais la généalogie des comtes de Forcalquier. La noblesse d’épée était sans pitié pour ces nouveaux venus, qu’elle considérait comme des usurpateurs. La vie de Joseph dut être amère, entre un père dominateur, une mère irrationnelle et une ville hostile. La règle ascensionnelle des Gueidan devenait de plus en plus contraignante. Alphonse est élevé au 22, sur le Cours. Sa mère, pourtant très jeune, ne fait pas parler d’elle. Pas de remariage, pas d’émigration ni de scandale. Elle subsiste grâce à la location d’une grande partie de l’hôtel et à l’arrentement de Valabre. Les temps de la Révolution et de l’Empire ne favorisent plus les nobles. Alphonse a cependant un soutien de poids, son oncle Jean Baptiste de Félix Ollières, comte du Muy, général de Napoléon. Vers 1809, Alphonse fait partie de la garde d’honneur. En 1814, l’oncle général revient aux Bourbons, puis meurt en 1820, sans enfant. Alphonse est qualifié en 1823 d’ancien capitaine de chevalerie, Chevalier de l’ordre royal de la Légion d’Honneur. Mais depuis longtemps il mène une vie effacée. Les recensements le qualifient de fils, même à l’âge de 28 ans (8). A-t-il été blessé ? Est-il dépressif ? Avec lui s’éteindront les de Gueidan, les de Simiane et les de Félix Ollières. Alphonse est tenu d’incarner des sentiments dépassés, étouffants. Les Grognards lui ont appris les chansons de l’An II. En 1822, l’hôtel du Cours entre en ébullition. Lassé d’être écarté par les Légitimistes aixois, d’être moqué par les dames de son rang, Alphonse décide de se marier à une roturière. La marquise manque de défaillir. Alphonse insiste. Il veut Françoise Sibilot et personne d’autre. Devant la colère de la mère, il part vivre à Valabre. ↑ Le marquis Alphonse de Gueidan. Pastel d’Honoré Charles Sardou, vers 1850-52. Françoise Joséphine Sibilot, marquise de Gueidan ↑ Ecole d’Agriculture de Valabre Pastel d’Honoré Charles Sardou, vers 1859. Henriette fait rédiger par son notaire un acte d’opposition au mariage, mais notre amoureux ne cède pas. La cour royale lève l’opposition le 16 juin 1823. Le 26 juin, il se marie, à Aix, sans aucun noble ni parent présents.Françoise Joséphine Sibilot est née à Aix en 1797 d’Augustin Sibilot, tailleur d’habits, et d’Anne-Reine Cotty. On ne sait rien de sa jeunesse, mais la tradition veut que ce soit en portant le linge et les vêtements au château de Valabre qu’elle rencontra Alphonse.Au recensement de 1831, les mariés habitent au 24, rue d’Orbitelle, Aix. Henriette, prostrée, vit seule dans l’hôtel du Cours. Elle décède en 1834, à 72 ans. Alors Alphonse et Françoise, flanqués du frère puiné de celle-ci, se précipitent au 22, cours Mirabeau.Qu’il est bon d’être seuls au monde, marquis et marquise, d’avoir pour simple but le présent, avec les moyens de vivre, dans l’entourage d’amis de qualité ! Car depuis 1830, les arrogants Légitimistes en ont rabattu. Les Constitutionnels triomphent. Et Alphonse est des leurs, comme les rapports secrets de la préfecture le notent à plusieurs reprises. Il rattrape le temps perdu, court les banquets, fréquente le procureur général et conseiller général Toussaint Borély (9), le recteur d’académie Defougères, le jeune et brillant docteur Joseph Goyrand. Tous sont voisins, et bien décidés à enterrer l’esprit de la Restauration (qui par exemple a baptisé la bastide d’Alphonse Pavillon de chasse du roi René, de façon tout à fait erronée).Borély 1788-1875 et Antoine Aude 1799-1870 se passionnent pour les sociétés agricoles, pour la pomme de terre, les prairies, la lavande, le mûrier, les abeilles, pour le chaulage, les engrais tourteaux et oléagineux, la charrue Dombasle et la herse. L’Académie d’Aix publie les travaux de Gaston de Saporta (botaniste) et de biens d’autres, appelle à une agriculture plus rationnelle. Mais pour cela, il faut éduquer l’agriculteur.Au dessert, chacun y va de sa tirade sur l’éducation. Aude et Borély, leurs amis Adolphe Thiers, ministre, et Auguste Mignet, académicien, lorsqu’ils sont de passage, prêchent en ce sens. Aude, maire d’Aix de 1835 à 1848, fonde les écoles Normales d’instituteurs et d’institutrices, l’école des Arts et Métiers. Il introduit l’éclairage au gaz, l’adduction d’eau par le barrage Zola pour lutter contre la terrible épidémie de choléra de 1835.A partir de 1841, les recensements situent le couple à Valabre : Château. Alphonse de Gueidan, son épouse Françoise Sibilot. Louis Richemont de Maisoncelle, rentier. Louis Jacquemus domestique, son épouse Marie, leur fille Augustine. Apparaît là un personnage important pour la suite : Louis Jules Lemercier de Maisoncelle de Richemont8, 39 ans. Première fortune de Gardanne et 58e d’Aix, Alphonse pourrait piloter la vie publique à Gardanne, mais il laisse le pouvoir aux élites locales (Auguste Baret, Paul Escoffier).Le train de vie est passé de 3 à 6 domestiques, car le couple héberge la mère et le frère de Françoise, plus le surprenant Jules Lemercier de Maisoncelle de Richemont.Richemont est né en 1802 à la Martinique, fils de planteur, exploitant de canne à sucre. Marié, père de 3 fils, puis veuf, Jules entre en France à moins de 39 ans. Sa venue est mystérieuse, sa décision de rester à Valabre l’est tout autant. La première idée est celle d’un coup de foudre entre notre marquise et notre veuf : Il est beau, cultivé, riche, et nous sommes au temps du romantisme. La liaison n’est cependant pas obligatoire. Si elle existe, elle est consentie par Alphonse. Nous proposons le scénario suivant : Napoléon rétablit l’esclavage. La traite des Noirs bat son plein depuis Bordeaux et Nantes. Notre homme n’aime pas cette misère. Il « établit » ses fils et vient en France pour vivre les temps, glorieux à ses yeux, de la révolution de 1830. Une piste le mène à Aix (Thiers ?). Chez les Gueidan, il rencontre des orléanistes, des abolitionnistes, des admirateurs de Lamartine. Comme Borély, il adore les banquets et les parties de chasse. Peut-être aussi se sent-il utile. Alphonse l’héberge pendant 13 ans, car Jules le maintient dans le monde, alors que lui grossit et décline. Pour fuir les rumeurs aixoises, on vit essentiellement au château, mais l’on y serait isolé sans le dynamisme de Richemont. Alphonse meurt à Valabre (août 1853). Sans postérité, il laisse tous ses biens, sans condition, à son épouse, par estime ou à cause de l’ascendant que Françoise a pris sur cet homme maladif, au physique ingrat. De toute façon, il n’avait plus de famille.Françoise et Jules mènent grand train, que ce soit au château ou sur le Cours, avec 6 domestiques. Mais le tout Aix du second Empire rejette cette roturière liée à un constitutionnel, ami qui plus est du détesté Borély. Comme ce dernier, ils n’iront plus souvent à Aix. Richemont participe à la vie politique gardannaise, soutenu par Borély et les anciens maires Jean Baptiste Girard et Auguste Baret. Il arrive en tête des élections, mais il se désiste pour François Deleuil. Celui-ci est maire de 1860 à 1868. ← Jules Lemercier de Maisoncelle de Richemont. Pastel d’Honoré Charles Sardou, vers 1850-59. Ecole d’Agriculture de Valabre.Dix ans après la mort d’Alphonse, Jules épouse la marquise, en catimini (1863). La cérémonie a lieu au château. Le maire François Deleuil officie, Borély et Jean Baptiste Girard sont les témoins. Mariage civil, privé, républicain avant l’heure, sans visée patrimoniale. Chacun garde sa fortune. Ainsi, dès les années 1860, le legs final est dans l’esprit du couple.Dans la débâcle qui suit 1870, Richemont accepte d’être le maire de Gardanne, François Deleuil étant malade (1872-73). Pendant que l’Assemblée à majorité monarchiste laisse faire « le sale bouleau » à Thiers, Jules donne son vaste terrain du Captivel pour qu’on réalise le 2ième cimetière. Il offre les murs, la grille, et le monument aux Bienfaiteurs des pauvres. En 1880, la marquise rédige son testament. Elle meurt le 15 mars 1882. « Je recommande mon âme à Dieu » est sa seule déclaration religieuse. Le testament de Richemont n’en a aucune, comme quoi la page Noblesse-Clergé était chez eux bien tournée. La confiance en la République (IIIe), en la laïcité, en l’éducation publique est affirmée. Une grosse part des biens va au public, aux communes d’Aix et de Gardanne. Cet acte digne, qui honore les idées de 1789, 1830 et 1848, de Gambetta et de Jules Ferry, a valu à la marquise l’admiration des Gardannais. Qui a connu Borély (mort en 1875) devine une convergence entre ses idées et celles du couple valabrais, devenu peut-être plus radical que lui.« Pour perpétuer la mémoire du marquis … je lègue à la ville de Gardanne, le château et tous les bois, terres, fermes et immeubles … destinés à assurer la fondation et le fonctionnement d’un établissement public qui prendra le nom d’Institut Agronomique … Les élèves viendront du département et pour la moitié de Gardanne … »Consciente du coût d’un tel Institut (on sent la patte de Richemont), la marquise aide Gardanne en lui cédant les pâturages d’Annot, une maison et un terrain aixois, plus 200 000 F. Richemont laissera 20 000 F pour la construction du pont de la Pousterle, réalisé en 1885.Le château et tous les bois, terres, fermes et immeubles … La bastide aux 4 tours n’est qu’un bâtiment agricole parmi d’autres. On n’écrit pas pavillon de chasse du roi René, appellation due aux Légitimistes, datant de 1823, inventée pour redorer le blason des rois.Un établissement public qui prendra le nom d’Institut Agronomique de Valabre … La marquise fréquente des personnalités progressistes, qui misent sur l’éducation et la chose publique. Borély rédige et publie un almanach pour agriculteurs et éleveurs. De nombreux nobles sont devenus gentlemen farmers. Un Institut est plus ambitieux qu’une Ecole. Il assure l’enseignement, mais aussi la recherche, la récolte des savoir-faire, l’échange national. L’Ecole ouvre dans le château en 1884, celui-ci revenant à sa première destination, celle de Peiresc, celle de la transmission du savoir !Que les grands arbres soient respectés … La clause existait déjà du temps des Forbin. Bienfaitrice, la marquise l’est. Il faut lui associer Alphonse, Richemont et Borély. La ferveur des Gardannais alla à la seule marquise, dite La Bonne Personne. L’histoire de ce qualificatif mérite d’être contée.En 1903, la ville plaça devant la mairie un buste de la marquise, dû à Auguste Carli. Le quartier de la Bonne Personne, dédié à la Vierge Marie, était tout proche. En 1906, le maire Agricol Maurel changea le nom des rues. La Bonne Personne disparut pour les rues Ledru-Rollin, Mirabeau, Parmentier (laïcisation marquée). En 1920, le buste dut s’exiler pour laisser la place au Monument aux Morts de la guerre. Mais les habitants avaient assimilé la marquise à la Bonne Personne et son nouveau quartier devint celui de la Bonne Personne. Aujourd’hui, l’Ecole est un établissement du ministère de l’Agriculture installé aux Moulières depuis 1961. Le château abrite l’Entente pour la forêt (Direction de la Sécurité civile, lutte contre les incendies). La bastide aux 4 tours accueille des bureaux de l’Observatoire de la forêt. Les bâtiments ont retrouvé leur vocation première de 1632 : Observer la nature, la protéger, créer et échanger des connaissances. Références 1 Joseph Billioud, Arts et Livres de Provence, Marseille, 1956, p 79 à 862 Augustin Roux, Arts et Livres de Provence, Marseille, 1956, p 106 à 1123 Jean Luc Massot, Architecture et Décoration, Edisud, 1992, p 324 Jean Joseph Gloton, Le Baroque à Aix en Prov, Ecole Française de Rome, 1979, p 351-3525 Jean Marie Homet, Astronomie et astronomes en Provence 1680-1730, Edisud, 1982.6 Robert Mandrou, Histoire de la pensée européenne. Des humanistes aux hommes de science, XVI-XVIIe siècles, Seuil, 1973.7 Monique Cubells, La Provence des Lumières, thèse, Paris, Maloine, 1984.8 Michel Vovelle, Les folies d’Aix, Pantin, 2003.9 Michel Deleuil, La vie de Toussaint Borély, 2009, vente privée. Notes Moulin dont le meunier est Jean Le Fort, consul à Gardanne en 1490. Le chemin qui va de Gardanne à Valabre porte encore aujourd’hui le nom de « Chemin de Fort ». Généalogie des de GAUTIER Suffren Gautier + Anne de Flotte bourgeois de Rians qui obtient la particule Honoré de Gautier, grand juriste Joseph de Gautier, moine, prieur de La Valette Né à Rians 1564-1647, astronome Achète Valabre en 1632, le cède à Antoine en 1635.Antoine de Gautier 1615-1669, Doyen du Parlement, rénovateur d’Artigues, assembleur du domaine de Valabre, seigneur de Mimet, Gardanne et Saint-Pierre. Antoine de Gautier, qui vend à Pierre Gueidan en 1683. Peiresc, aujourd’hui Peiresq, est un hameau du haut Verdon proche de Thorame-Haute, où l’Association organise des Congrès. Quelques astronomes provençaux liés à Peiresc : Agarat, élève et domestique de Peiresc. Dom Anthelme, du milieu animé par Peiresc. Bollon, élève de Wandelin à Digne. Toussaint de Forbin-Janson, cardinal, ambassadeur de Louis XIV. De Galaup de Chasteuil, né en 1588, élève de Peiresc. Gassend, élève de Joseph de Gautier, prend la suite de Peiresc mais part à Digne et Paris. Honoré de Gautier, neveu du suivant. Joseph de Gautier. Il réalise avec Peiresc les tables des satellites de Jupiter, si utiles pour déterminer la longitude. Il construit un petit observatoire dans sa maison aixoise et travaille aussi dans sa bastide de Puyricard. Magnier, avocat à Aix, observe avec Peiresc. Claude Mellan 1598-1688, graveur venu chez Peiresc pour peindre les taches de la lune. Son travail reste inachevé à la mort de Peiresc. Théophile Minuti 1592-1662, de Bras, minime. Il mesure avec Peiresc la Méditerranée et observe l’éclipse de lune du 27 août 1635. Balthazar de Monconys visite en 1646 le cabinet de feu Peiresc. Jean François Niceron 1613-1646, minime d’Aix. Pierre François Tonduti 1583-1669, religieux d’Avignon, collabore avec Peiresc. Godefroi Wandelin 1580-1660, hollandais venu à Digne. L’orthographe est Gueidan, prononcé Guê i dan. Nom originaire du Gard. Celui de la dernière marquise est Sibilot, prononcé si bi lo (quartier de Cabriès). Les de Simiane (généalogie en annexe) ont acheté Collongues, où vit François, le frère aîné d’Angélique. Elle emprunte le pont sur la Luynes, achevé en 1738, pour se rendre chez son frère, d’où le nom de (la famille). Collongues n’a pris le nom de Simiane qu’en 1814. Le ruisseau Saint-Pierre change de nom en quittant la commune de Gardanne et devient la Luynes, nom qu’il a donné à un village. Blason des de Gueidan-Simiane choisi par Gaspard II. En termes héraldiques, il est écartelé. Aux 1 & 4 de gueule avec une croix de Toulouse d’or. Aux 2 & 3, d’or semé de tours et de fleurs de lys d’azur. Sur le tout d’azur à trois losanges d’argent.En termes courants, le blason des comtes de Forcalquier apparaît aux 1er et 4ième quarts, fond rouge et croix d’or, celui des Simiane aux 2ième et 3ième quarts, avec tours et lys, ce qui revendique l’appartenance à ces deux familles de vieille noblesse. Le petit écu posé dessus est celui du légendaire fief de Gueidan. Sa prétention est moindre. Le blason signifie : Nous appartenons aux deux familles des Forcalquier et des Simiane (Forcalquier à la place d’honneur car par les hommes) et notre fief noble actuel est la terre de Gueidan. Seule la partie Simiane n’est pas usurpée. Richemont est né en 1802 à Lamentat, en Guadeloupe, partie de la Martinique. Il est le fils d’un (Charles), planteur, exploitant de canne à sucre, et de Charlotte Sophie de la Beaume. Ses parents meurent tous deux en 1806. Il est élevé par sa grand-mère, une des Gatières, et nous savons que la première épouse de Pierre II, Hélène de Clapiers, avait pour mère Jeanne des Gatières du lieu de la Martinique. Marié, père de 3 fils, veuf, Jules entre en France pour des raisons qui nous échappent. ANNEXESGENEALOGIE PEIRESCFouquet Fabri + Sylvette Lévesque Guillaumené à Rians, assesseur sous Louis XII et François 1er Nicolas Fabri + Catherine de Chiavari Balthazar baron de Callas (05) Rainaud Fabri -1625 + (1577) (1er mariage) Marguerite Bompar Claude2baron de Callas, Conseiller au Parlement dame de Peiresc1 1560-1582 Anne3acquiert la baronnie de Rians Suzanne4 1696 (2ième mariage) Nicolas Fabri de Peiresc Palamède de Vallavès 1582-1638 + Madeleine de Caradet1 déc1580-24 juin1637 baron de Rians et d’Artigues5 Conseiller au Parlement Catherine Claude 1607-1666 Suzanne Louise Marquis de Rians + Marguerite des Abrics Elisabeth Suzanne6 de Rians 1643-1695 Gabrielle de Rians 1644- + François de Valbelle de Meyrargues + Scipion du Périer Marguerite de Valbelle + Joseph de Simiane La Cépède Angélique de Simiane + Gaspard Gueidan 1 Peiresc fut le seigneur de ce hameau de 1606 à sa mort. 2 Charlotte, fille de Claude, est la filleule de Barthélemy de Thomas-Milhaud en 1567. 3 Anne Fabri, tante de Peiresc, achète en 1606 les terres et le fortin au sud du chemin. Son fils Gaspard donne aux Feuillantines. 4 Suzanne Fabri, demi-sœur de Peiresc, est filleule de Charles de Thomas-Milhaud en 1696. 5 Artigues, village en ruines à l’est de Rians, rénové par Antoine de Gautier. 6 Suzanne de Rians, petite nièce de Peiresc hérite de la correspondance de Nicolas. Ellel’utilise comme litière pour ses vers à soie. Par bonheur, 10 000 lettres ont été sauvées.Elle est la grand-mère d’Angélique de Simiane. La possession de Valabre fut-elle unatout de Gaspard aux yeux d’Angélique ? Il ne le semble pas. L’architecture n’était pasplus prisée que les lettres. La bastide était une grange et le château allait être modifié. GENEALOGIE DES GUEIDAN GASPARD I GUEIDAN 1616-1594, CHARLES de TRETSReillanne, négociant, puis Aix, Cour des Comptes noble+ Catherine Bermond 1621-1687 + Louise de Lieutaud Veuf, + Anne de Reillanne 1657-1695 PIERRE GUEIDAN 1646-1734 + (1677) Madeleine de Trets Aix, Conseiller au Parlement, Cour des Comptes Achète Valabre en 1683 Catherine Louise Madeleine Jean Marie Anne Thérèse1682-1754Mariée à César de Cadenet François de Valbelle + Suzanne de Fabri (voir généalogie Peresc ) Jean de la Cépède + Jeanne des Porcelets Joseph de Simiane + Marguerite de Valbelle GASPARD II 1688-1767 + (1724) Angélique de Simiane Aix, avocat général, Conseiller (voir généalogie des Simiane) Anobli en 1747, marquis en 1752 Adélaïde Joseph François Catherine Secret Alexandre Zéphyrène Timoléon 1725-1786 1726-27 1727 1728 1733 1735 1744 Adélaïde épouse Pierre de Demandolx en 1754. Secret, Alexandre et Timoléon entrent dans l’Ordre de Malte. JOSEPH Gaspard + (1764) Claire Marie Hélène de Clapiers 1719-1766 de GUEIDAN 1725-1784 + (1781) Henriette de Félix Ollières 1762-1834 marquis ALPHONSE + (1822) Françoise Joséphine Sibilot 1797-1882 de GUEIDAN 1783-1853 + (1863) Louis Jules Lemercier marquis de Maisoncelle de Richemont 1802-1882 sans postérité GENEALOGIE DES de SIMIANEIssus des Agoult, noblesse remontant au XIIe siècle, les Simiane ont formé jusqu’à dix branches. Celle d’Angélique est la dernière. Les Simiane s’éteignent avec elle. Agoult branche des Simiane branche des Simiane Lacoste Claude de Simiane Lacoste + (1567) Catherine de Vétéris, conseiller au Parlement Henri + (1614) Angélique de La Cépède, conseiller au Parlement Jean + (1632) Charlotte de Cambe, Président au Parlementbranche des Simiane La Cépède. Jean de Simiane La Cépède + (1670) Jeanne des Porcelets. En 1684, Collongues est érigé en marquisat Joseph né en 1672 + Marguerite de Valbelle (voir Peiresc) Henriette Marguerite François Claude Léon 1705-1782 Angélique Mousquetaire, marquis de Rians et de Collongues Marié en 1776 (!) à Anne de Félix Ollières Louis Esprit Pierre Jules Anne Pauline Toussaint + (1824) Gaspard Gueidan1777-78 1778-78 1780-80 1781-1795 LES TABLEAUX des d’ALBERT Le legs du château de Valabre comprend des tableaux de la famille d’Albert. Leur présence à Valabre était inexpliquée. Généalogies des Familles nobles fait descendre les d’Albert de Guido Alberti, Italien qui accompagnait la reine Jeanne en 1349, reine qui l’aurait doté de Boulbon et Grambois. Thomas Alberti († 1455) acquiert Luynes. Son fils Jean est secrétaire du roi René, qui l’anoblit et qui lui offre des terres, à Riez et à Aix. La branche aînée devient d’Albert de Luynes. Il est possible que l’écu de la branche puinée (de gueule à trois croissants d’or en 2 et 1) soit lié à l’Ordre de chevalerie créé par le roi René, qui se nommait Ordre du Croissant.Les de Luynes aînés seront célèbres par Charles (1578-1621), passionné de chasse et devenu pour cela favori de Louis XIII. Il achète la terre noble et le château de Maillé (37), la baptise Luynes et se déclare duc de Luynes. Il ne semble pas que cette branche lointaine ait joué un rôle à Valabre. Richelieu vouait une haine mortelle à Luynes, mais la peste ou la scarlatine le devança, qui fit disparaître le duc (1621). Tout de même, Valabre, était riverain du domaine de Luynes.A partir de Balthazar, la branche puinée des frères de Charles, tient une charge à la cour des comptes d’Aix pendant 5 générations. Les tableaux proviennent de cette branche, dite d’Albert de Bormes. Jean († 1696), époux de Thérèse d’Aimar, devient conseiller en 1672. Le musée Granet possède le tableau Madame d’Albert de Bormes, par van Loo, 1684. Valabre a son portrait en magistrat debout daté de 1674. Leur fils Henri 1683-1743 devient Président à la cour des comptes en 1713, exactement comme Pierre Gueidan 1646-1734. Les deux hommes sont très proches. Jean Gueidan, frère du célèbre Gaspard, succède à son père et travaille avec Henri. Jean sera sans postérité. Esprit, fils d’Henri, est officier des galères, époux de Jeanne de Palerne. Leur fils Jean Esprit Hyacinthe Bernard 1735-1809, Président à la cour des comptes, époux de Suzanne Lenfant, est l’ami de Joseph de Gueidan († 1784). Il fait construire pour son épouse, sur le plateau de Puyricard, une bastide qui prend le nom de La Présidente. Ils émigrent à la Révolution après avoir confié les tableaux à Henriette de Gueidan. La Présidente est vendue en bien national. Jean Esprit, sans postérité est le dernier des d’Albert. Henri d’Albert de Bormes en Président de la Cour des Comptes, 1713. Atelier de H. Rigaud. Château de Valabre →Portrait classique, avec main de justice, plastrons, accoudoir du fauteuil au premier plan et rappel des armoiries. Remarquer les croissants de l’écu. En 1780, le prêtre Jean Baptiste Garcin marie à Gardanne Jean Pierre Garoulle bourgeois de Marseille et Catherine d’Albert (son père est capitaine de vaisseaux). Témoins : Le marquis de Gueidan et le chevalier de Gueidan, l’un de ses cadets, probablement Timoléon. LES DEUX SCENES DE BATAILLE Légués par la marquise de Gueidan, deux scènes de batailles sont aujourd’hui exposées à la Médiathèque. On n’en connait pas l’origine ni le peintre. Les peintures de batailles étaient très prisées dans les années 1680-1750, la noblesse se devant d’admirer les campagnes de Louis XIV puis celles de Louis XV. Les styles de ces deux tableaux sont très proches, sinon identiques, car les peintres travaillent en atelier et de père en fils, comme les Parrocel. Les costumes militaires changent peu à l’époque et ne peuvent indiquer qu’une vaste période. A Gardanne, il s’agit de costumes Louis XV. Joseph Parrocel 1646-1704, dit Joseph des batailles, a travaillé dans l’atelier d’Hyacinthe Rigaud 1659-1743 quand celui-ci était à Aix, avant 1681. Cet atelier a réalisé le portrait de Pierre Gueidan en magistrat assis, les portraits de Jean d’Albert de Bormes et de son épouse. Les tableaux de Joseph sont plus mouvementés que ceux de Gardanne. Ils ont des costumes plus anciens, et contiennent des pigments qui ont foncé avec le temps. Ce ne peut pas être lui.Son fils Charles Parrocel 1588-1752 s’est engagé deux ans dans la cavalerie (1705-1706) pour bien intégrer les scènes de batailles. Il a travaillé à Paris dans l’atelier d’Hyacinthe Rigaud. Il a accompagné celui-ci à Aix en 1719 puis en 1734 lors des commandes de Gaspard Gueidan. Gaspard aurait pu lui commander des scènes militaires au moment où il sollicitait Louis XV pour l’anoblissement, vers 1750-1752. Charles bénéficiait, comme son père, d’une excellente notoriété. Quand Rigaud mourut (1743), Louis XV versa à Charles la moitié de la pension du maître. Valoir la moitié de Rigaud était fort gratifiant. Les tableaux de Gardanne sont dits de Parrocel par les restaurateurs aixois, mais l’expert des Parrocel, venu les examiner, a infirmé cette attribution.Les élèves d’Hyacinthe Rigaud étaient Parrocel, Ranc et Colin. Jean Ranc 1674-1735 était un portraitiste. Colin nous est inconnu. Pierre Lenfant 1704-1787 est un élève de Charles Parrocel. Le style est le même. Les scènes sont cependant moins mouvementées, comme à Gardanne. On y voit surtout le roi et le Maréchal de Saxe donner des ordres. Resté à Paris, Lenfant n’a probablement pas connu Gaspard de Gueidan, mais il faut noter que l’épouse d’Esprit d’Albert de Bormes se nomme Suzanne Lenfant (nous n’avons pu établir de lien familial). Ce peintre est allé dans les Flandres à la guerre de succession d’Autriche. Charles Parrocel meurt, Philibert de la Rue devient fou, les commandes de Louis XV tombent à l’eau. Lenfant est reçu comme peintre de batailles dès 1745. Les costumes correspondent à cette époque. Il n’est pas impossible que les tableaux de batailles proviennent des d’Albert, ce qui laisse une présomption sur le peintre : Pierre Lenfant. L’Entente occupe depuis 1967, et après réparations, le magnifique Château de Valabre dit aussi Château des Gueidan, car il fut la résidence d’été de cette famille de 1683 à 1840 et la résidence principale de la dernière génération (1840-1882). De 1884 à 1963, le bâtiment a accueilli l’Ecole d’agriculture, créée par la volonté de la dernière marquise de Gueidan.Ce château est singulier à plus d’un titre, par sa position, son style, et sa date de construction, en plains troubles des années 1620-1632. Il est unique et mystérieux, l’absence de documents ayant réduit les historiens et les architectes à des hypothèses. Selon nous, la construction implique plusieurs familles fortement liées par l’origine (Rians), par la charge (Conseiller au Parlement), par la passion (astronomie), par l'opposition à Richelieu et par l’estime réciproque. Un projet concerté, un lieu de rassemblement, de rencontres entre savants, lettrés et religieux.Alors se conçoit mieux l’implantation contre la grotte et la vabre, la chapelle, le toit plat, la multiplication des chambres, la taille des écuries, l’absence initiale de tout apparat intérieur. D’après ce point de vue, le château pourrait se prévaloir de plusieurs titres de gloire :Introduction du style toscan en Provence, style qui va s’épanouir cinquante ans plus tard dans les hôtels d’Aix,Conception d’un centre pour colloques et expériences, aboutissant quelques décennies plus tard aux observatoires d’astronomie (Paris, Marseille, Toulon),Participation de grands noms comme Nicolas Claude Fabri de Peiresc, Joseph de Gautier et Pierre Gassendi. Il ne semble pas que ce Centre ait fonctionné. De Gautier devint acariâtre, Peiresc mourut et Gassendi partit à Paris. Les héritiers de de Gautier finirent par vendre le domaine aux Gueidan, en 1683. Ceux-ci ne touchèrent pas à la bastide, qui servait de grange, ni aux écuries. Ils transformèrent le Centre en château (1735). On abandonna grotte, vabre, chapelle et toit plat, on rénova l’intérieur en créant des salons, des cheminées, des escaliers.L’essentiel des origines reste visible.Vers 1625, un génial architecte métamorphose un fortin rustique en l’élégante bastide aux 4 tours. Selon nous, vers 1630, le même concepteur, dans le même esprit, la même pierre, crée Valabre, Centre qui deviendra château. Il efface tout signe féodal, unit dans la clarté le religieux, l’essor des sciences et la nouveauté artistique (style toscan, anses de panier). Il propose le savoir plutôt que la Fronde, la beauté sans défense ni arrogance, l’harmonie entre la connaissance et les mystères de la nature. Il clame la confiance en l’homme dans une époque tragique faite de corruptions, de révoltes, de guerres, d’épidémies et de misères.Devant tant de qualités universalistes, nous ne pouvons penser qu’à Peiresc, qui malheureusement pour nous, avait l’habitude de ne pas se montrer. Ces valeurs du savoir et de l’équilibre avec la nature se perdirent. On dévia la bastide en métairie, le Centre en résidence d’été. Jusqu’au jour où la dernière génération des Gueidan, qui avait abandonné les idées de sa classe sociale pour celle de la République et qui était sans héritier, légua Valabre à la ville de Gardanne, à la condition d’en faire une école.De nos jours, l’Ecole d’Agriculture est installée dans des bâtiments modernes, la bastide abrite l’Office des forêts et le château est redevenu un Centre, celui de l’Entente.Valabre a retrouvé ses prestigieuses racines (!)Les Gueidan Troisièmes possesseurs du domaine, après les Thomas-Milhaud et les de Gautier, les Gueidan présentent les caractères typiques de ces familles roturières qui s’enrichirent et n’eurent de cesse que de monter dans les classes sociales, par la noblesse de robe puis par celle d’épée, par les alliances gratifiantes et par une implantation sur le Cours aixois. Ils en éprouvent alors la difficulté de s’y maintenir, l’amollissement des volontés, l’abandon des valeurs de départ, jusqu’à extinction finale.La saga commence à Raillane, en 1616, à la naissance de Gaspard Gueidan. Il devient un très riche négociant en matière de bœufs et de moutons. En 1650, il achète un poste d’auditeur à la Cour des Comptes, vient vivre à Aix et se met à l’étude du Droit. Parallèlement, veuf d’une roturière, il se remarie à une noble. Il a un fils, Pierre, dont il exige qu’il poursuive l’ascension. Pierre commence bien. Diplôme de Droit, mariage avec une noble. Puis il stagne. Son père achète le 22 du Cours et Valabre, puis il déshérite le fils au profit du petit-fils.Ce dernier, Gaspard II sera le grand homme de la famille. Beau mariage (avec Angélique de Simiane, grande noblesse d’épée). Belle carrière comme procureur général, grâce à sa hauteur de vue et à ses phrases élégantes. Trois fils dans l’Ordre de Malte. Il obtient la particule de Gueidan, puis en 1752 le titre de marquis. Commandes à Largillière et à Rigaud. Tout n’est pas aussi glorieux. Il entre au Parlement et perd sa superbe. Il se ruine. Ses enfants manquent de personnalité. On marie l’aîné, Joseph, 39 ans, à une veuve de 45 ans.Dans sa mégalomanie, Gaspard a transformé Valabre en château et a créé son blason. Il a introduit ses enfants dans la noblesse d’épée, sans penser qu’ils y seraient les mal venus. La Révolution et l’Empire ne leur faciliteront pas la tâche. Notre marquis meurt en 1767.

Une vie hors du commun.

Peiresc — de son vrai nom Nicolas Claude FABRI — voit le jour le 1er décembre 1580 à Belgentier (qu'il écrira Boisgency ou Beaugentier) dans l'actuel département du Var. Ses parents y possédaient une propriété sur les bords du Gapeau. Sa famille — les Fabri étaient originaires de Pise — s'était fixée à Aix (en Provence) en 1254. Son père, Reynaud Fabri, était membre de la Cour des Comptes et Aides de Provence, et son oncle — sans descendance — était conseiller au Parlement.

C'est pour fuir une épidémie de peste que les parents du jeune Nicolas Claude se sont réfugiés à Belgentier. Les guerres de religion prolongeront ce séjour hors d'Aix.

Très tôt il perd sa mère qui ne survivra que quelques semaines à la naissance de son frère Palamède. La charge d'éduquer les deux orphelins sera assurée par son père et son oncle.

Nicolas Claude fait ses premières études à Brignoles (1587), qu'il poursuit à St-Maximin (1588), Aix (1589) et Avignon (1590). Il revient à Aix (1595) pour y suivre des études de philosophie, suit un enseignement au célèbre collège de Tournon (Ardèche) en 1596. Puis c'est à nouveau Aix (1597) afin d'y suivre des études de Droit qu'il termine à Avignon (1598).

Le voyage en Italie.

En septembre 1599, en compagnie de son frère, il quitte Aix pour entamer un voyage en Italie qui le conduira à Gênes, Lucques, Pise, Florence, Bologne, Ferrare, Venise, Padoue où il va suivre des études. En octobre 1600 il voyage en Italie centrale et visite Florence, Sienne, Rome (où il est présenté au pape), Naples, Pouzzoles, Pérouse, Ancône, Viterbe, Ravenne. En juin 1601 il est de retour à Padoue où il poursuit ses études. À Florence il assiste au mariage par procuration de Marie de Médicis et de Henri IV. C'est au cours de ce périple transalpin qu'il fait la connaissance de Galilée.

Le retour en France.

Il rentre en France en 1602 en passant par Genève et Lyon où il décide de rejoindre Montpellier pour y compléter sa formation de Droit. Il revient à Aix en décembre 1603.

Le 18 janvier Nicolas Claude Fabri présente à Aix sa thèse de doctorat qui sera suivie par celle de son frère (20 janvier). Ce fut pour lui l'occasion de montrer toute son érudition.

Il reçoit de son père des terres situées dans les actuelles Alpes de Haute-Provence (à proximité de la Colle St-Michel) et devient seigneur de Peiresc. Il porte désormais ce nom (qui signifie pierreux), bien qu'il n'ait jamais mis les pieds dans ce village (actuellement orthographié Peyresq).

Conseiller au Parlement d'Aix.

Le Parlement d'Aix est présidé par Guillaume du Vair, nommé Intendant de Justice à Marseille par Henri IV. En 1605 ce dernier appelle du Vair à Paris : Peiresc le suit. Il en profitera pour voyager en Angleterre et aux Pays Bas.

En octobre 1606, il rentre à Aix et devient Conseiller au Parlement le 24 juin 1607 — charge qu'il reçoit de son oncle.

Sa vie se partagera désormais entre ses fonctions de magistrat et son goût pour l'étude. Cette activité débordante ne l'incitera pas à se marier : il refusera même le parti que son père lui avait préparé à l'âge de 24 ans.

Au cours de ses nombreux déplacements, tant à l'étranger qu'en France, Peiresc rencontrera quasiment toutes les sommités du moment. Il entretiendra avec elles une correspondance peu commune.

Il résidera à l'hôtel de Calas, rue de la Trésorerie (non loin de l'actuelle rue Peiresc). Cet immeuble n'existe plus, il a été détruit en 1811 afin de laisser la place au futur palais de justice.

En 1618 il reçoit de Louis XIII l'abbaye de Notre Dame de Guîtres (non loin de Libourne) où il ne passera qu'une semaine en 1623.

C'est le 24 juin 1637 que Peiresc meurt, entouré notamment de Gassendi. Il est enterré dans le tombeau familial de l'actuelle église de la Madeleine à Aix-en-Provence.

L'érudit.

La science au XVIIe siècle n'avait ni l'étendue, ni la multiplicité des disciplines actuelles. Comme tout bon humaniste de son époque, Peiresc était un esprit universel et il excellait dans bien des domaines. Il a entretenu une correspondance suivie avec quelques 500 contemporains (Galilée, Gassendi, Kepler, Hevelius, Malherbe, Mersenne, Rubens…).

Très jeune, il s'intéresse aux médailles et il les collectionne. C'est l'un des sujets qui le rapproche de Rubens avec qui il correspond. Il collectionnera monnaies et médailles dans sa galerie de « curiositez, étrangetez et raretez » (17 000 pièces).

Il possédait une bibliothèque fort riche (5 402 ouvrages).

Le botaniste.

Ses fréquents retours à Belgentier (notamment lorsqu'il y séjourne trois ans, de 1629 à 1632, pour fuir la peste qui sévit à Aix) l'incitent à étudier les plantes. Il possède autour du château un vaste terrain le long de la rivière Gapeau. C'est là qu'il acclimate et cultive nombres d'espèces : le myrte à larges feuilles, le jasmin indien, le papyrus, des vignes rares de Tunisie, la noix muscade, le gingembre, la nèfle. Il possédait un verger avec plus de soixante sortes de pommes et presque autant de poires.

De cette étude des plantes il tire une « pharmacie provinciale », que nous appellerions aujourd'hui pharmacopée provençale, qui était un recueil de purgatifs et de laxatifs.

Le physiologiste.

Peiresc s'intéresse aux « veines lactées » (dénommées de nos jours chylifères) qui avaient été remarquées sur la paroi de l'intestin des chiens et qui se gonflent au moment de la digestion. Afin de découvrir si de tels vaisseaux existent aussi chez l'homme, il saisit une opportunité peu banale pour s'en convaincre. Il recommande de faire bien se restaurer un condamné à mort, juste avant la pendaison : il pourra ainsi noter la présence effective de ces mêmes veines lactées.

Il étudie l'œil et la vision, sans toutefois parvenir à une interprétation correcte.

Le naturaliste.

Profitant du passage d'un éléphant à Toulon, Peiresc étudie sa denture et évalue sa masse.

Il introduit en France le chat angora. Il prend en pension chez lui un animal mal défini disparu, l'alzaron (sorte de gazelle à tête de taureau).

L'historien.

Peiresc montre que Jules César, lors de sa conquête de l'Angleterre, n'est pas parti de Calais, mais de St Omer.

L'astronome.

Peiresc est un contemporain de Galilée qu'il a connu lors de son voyage en Italie. Il est aussi lié avec Gassendi, célèbre astronome vivant à Digne. C'est tout naturellement qu'il s'intéressera au ciel.

  • En octobre 1604 il observe une étoile nouvelle (supernova), mais il est en voyage et ne peut être certain qu'elle n'était pas déjà connue.

  • Le 26 novembre 1610 il découvre la nébuleuse d'Orion.

  • En novembre 1610, soit 10 mois après Galilée, il redécouvre les satellites de Jupiter. Il dispose alors d'une lunette (appelée alors lunette de Hollande) qu'il a fait construire. Avec beaucoup de génie — mais trop d'humilité — il procède à des mesures des instants d'immersion et d'émersion des satellites de Jupiter, en déduisant ainsi des tables (plus précises que celles de Galilée) qu'il ne publiera pas. Ces tables auraient pu permettre une meilleure détermination des longitudes terrestres (il est le premier à avoir l'idée d'utiliser cette ronde régulière pour déterminer les longitudes). Il est le premier à montrer que les satellites de Jupiter satisfont à la 3e loi de Kepler.

  • Le 15 janvier 1611 il découvre l'amas de la Crèche.

  • En 1631 il veut observer le passage de Mercure devant le disque solaire, mais un bon repas lui fait manquer l'événement.

  • En 1635, à l'occasion de l'éclipse de Lune du 28 août, il coordonne l'observation de l'entrée de notre satellite dans l'ombre de la Terre. Ses observateurs sont répartis tout au long de la Méditerranée : à Aix (ceux-ci s'endormiront au sommet de la Sainte-Victoire au moment crucial), à Marseille, à Digne, à Padoue, à Venise, à Rome, à Césène, à Naples, à Malte, à Carthage, au Caire, à Alep. Les résultats de cette première observation coordonnée sont un succès : ils permettent de « raccourcir » le bassin oriental de la Méditerranée de 1000 km. Mais Peiresc est convaincu que l'entrée et la sortie de la Lune dans l'ombre de la Terre ne sont pas des événements suffisamment fins pour que les mesures déduites ne puissent être améliorées. Ce qu'il lui faut, c'est un détail de la surface de la Lune (cratère, par exemple), permettant de déterminer plus facilement l'instant précis de son entrée — ou sa sortie — dans l'ombre de la Terre. Avec l'appui (notamment financier) de Gassendi, il entreprend, avec le graveur Claude Mellan, de dessiner la carte de la Lune. Sa mort (1637) l'empêchera de mener à terme ce projet.

Importance de Peiresc.

Bien qu'il n'ait écrit aucun ouvrage d'importance — ce qui est certainement une des raisons pour lesquelles il a été longtemps oublié — Peiresc représente un moment charnière dans l'histoire de la pensée scientifique : sa méthode qui annonce par ailleurs les temps modernes reste cependant encore engluée dans les croyances moyenâgeuses — il croit aux sorciers.

Touche-à-tout de génie — l'époque le permet encore — il expérimente ce qui va devenir une méthode efficace de compréhension du monde : comprendre, c'est observer puis interpréter. En relation épistolaire avec les plus grands esprits de son époque, c'est dans ces échanges qu'il faudrait chercher ses contributions. Malheureusement il est sans descendance directe et sa nièce (Madame de Meyrargues) utilise une partie des lettres qu'il avait laissées pour étaler des vers à soie, ou faire des papillotes. Il subsiste encore, de nos jours, un fonds déposé aux archives de Carpentras. Un certain nombre de ses découvertes ont été attribuées à d'autres : il fallut attendre la lecture de sa correspondance pour en connaître le véritable auteur. Poussé par la curiosité, avide de tout explorer, « amateur de génie », Peiresc apportait une façon nouvelle d'aborder les faits. Viendra le temps où approche et réflexion feront naître la science moderne.

Philippe Malburet

Pour d'autres renseignements sur Peiresc,connectez-vous à l'un des sites suivants :

  • Fondation Peiresc (Bruxelles)

  • Site de Belgentier (83)

  • Collège Peiresc (Toulon)

© 2016 créé pour Michel Deleuil par Le Martelot Thomas

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